Kaboul, le 29 juillet dernier © Reuters

« L’Afghanistan écrira à nouveau sa propre histoire, comme il l’a fait pendant des siècles »

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Les États-Unis ont fait d’énormes sacrifices, dans un pays où le réservoir de résistants s’est avéré infini », écrit Jonathan Holslag (VUB). « Mais la présence occidentale ne sera qu’un bref intermède dans cette histoire. »

Un général afghan a décrit ce qui s’est passé récemment à Paktika, une province située à la frontière avec le Pakistan, comme « un retrait tactique ». Moins d’un jour après le retrait des troupes du gouvernement afghan, des combattants talibans se trouvaient à Charan, la principale ville de la province. La chute de Paktika illustre bien le sort de l’Afghanistan. Il y a environ cinq ans, les Américains se sont retirés de la province. Ils ont été remplacés par l’armée afghane. Aujourd’hui, l’armée afghane a disparu et les talibans prennent leur place. Une défaite en trois étapes.

Les Américains veulent bientôt quitter l’Afghanistan. À Washington, ils estiment qu’il y a peu à gagner dans le pays. Les États-Unis espèrent parvenir à un accord avec les talibans, au terme duquel le groupe armé promet de cesser de soutenir les terroristes internationaux et de permettre au gouvernement afghan de maintenir au moins l’apparence d’un contrôle partiel. Les talibans se réunissent avec les États-Unis au Qatar, mais pendant que les pourparlers se déroulent dans l’État du Golfe, la lutte se poursuit en Afghanistan. En juillet, quelque 500 personnes ont été tuées. Les talibans contrôlent environ 12 % du territoire afghan, mais ils combattent désormais les forces gouvernementales sur près de la moitié du territoire. Ces dernières années, ils n’ont cessé de gagner du terrain.

Quoi que rapporte le Qatar, il est évidemment préférable pour les talibans de négocier en position de force. Ils recrutent à nouveau en abondance et on dit qu’ils ont à présent entre 60.000 et 80.000 guerriers. Ces dernières années, un nombre considérable d’armes ont été prises à des soldats de l’armée gouvernementale lors de batailles. Les lignes d’approvisionnement vers les pays voisins ont été renforcées. Les taxes sur le commerce et la contrebande de drogues, de minéraux et de bois fournissent au moins 3 milliards de dollars par an aux talibans.

Les talibans essaient de monter des opérations à petite échelle pour miner davantage le moral des Américains. Les actions font assez mal pour faire comprendre aux Américains que la bataille est vaine et qu’elle est suffisamment limitée pour ne pas provoquer de mesures de représailles majeures. Mais quel est le but ultime ? Les talibans veulent continuer à prospérer économiquement. De toute façon, leurs réseaux de contrebande demeureront intacts, mais ils pourraient aussi viser une partie des fonds gouvernementaux et une position forte pour bénéficier des investissements chinois à un moment donné dans l’avenir. Par exemple, ils se sont enterrés à divers endroits à Faryab, où les Chinois ont investi des centaines de millions dans un champ pétrolifère.

De nombreux observateurs se demandent si la Chine pourrait réaliser ce que les États-Unis n’ont jamais réussi: créer la stabilité, non pas en utilisant la force militaire, mais en offrant des opportunités économiques. La Chine achète l’Afghanistan, entend-on. Pékin aurait également plus d’influence sur l’armée pakistanaise, qui a voix au chapitre auprès des talibans. Cependant, les talibans ne sont pas une entreprise avec un conseil d’administration et un CEO, mais un rassemblement de clans et de tribus. Maintenant, ils ont un ennemi commun, mais que se passera-t-il si les Américains partent ? Y aura-t-il une lutte interne pour le pouvoir et le profit ? En outre, il existe de grandes lignes de fracture entre les Pachtounes et, par exemple, les Tadjiks, les Turkmènes et les Ouzbeks.

À Pékin, ils sont conscients de ce risque. La Chine investit dans des contacts avec de nombreux groupes d’intérêts en Afghanistan et définit clairement son engagement. Lorsque le risque est trop grand, elle reste dans l’expectative ou elle lève le pied. C’est le cas, par exemple, de la mine de cuivre Mes Aynak. La Chine hésite à inclure l’Afghanistan dans la nouvelle Route de la soie. Dans l’état actuel des choses, elle s’efforce surtout de sécuriser ses frontières avec l’Afghanistan et de se concentrer sur le Pakistan voisin. Elle veut s’assurer de la sécurité autour de l’Afghanistan avant de continuer à s’y profiler.

Quoi qu’il en soit, le retrait américain et le pragmatisme à l’égard des talibans confirment que les États-Unis ont fait d’énormes sacrifices depuis 2001 sans stratégie claire, une sorte d’opération guidée dans un pays où le réservoir de résistants s’est révélé infini. Une fois de plus, l’Afghanistan écrira sa propre histoire, comme il l’a fait pendant des siècles. Dans cette histoire, la présence occidentale ne sera qu’un bref intermède.

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