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L’affaire Garzón, ou les dérives de la justice espagnole

Le juge espagnol vient d’être sanctionné de 11 ans d’interdiction professionnelle pour des écoutes de conversations entre accusés en prison préventive et leurs avocats… Mais le premier des inculpés à passer en jugement pour cette affaire de corruption, a, lui, été acquitté.

Le Juge Garzón aura été le premier condamné dans le cadre de l’affaire Gürtel. Il a été sanctionné, ce jeudi, par 11 ans d’interdiction professionnelle par le Tribunal Suprême espagnol pour avoir ordonné des écoutes des conversations entre accusés en prison préventive et leurs avocats. Et cela dans une enquête sur un réseau de corruption et de blanchiment d’argent, qui touche certains dirigeants du parti populaire.

Cette condamnation met fin à la carrière judiciaire de Baltasar Garzón, âgé de 56 ans. Ironie de l’histoire, c’est donc le juge qui a mené l’enquête et décortiqué le réseau de trafic d’influence Gürtel qui est condamné. Alors qu’il y a quelques semaines, le premier des inculpés à passer en jugement pour cette affaire a, lui, été acquitté par un jury populaire, à la stupeur générale: Francisco Camps, ex-président de la région de Valence, était sorti triomphant du tribunal. Non coupable. Camps avait pourtant été poussé à la démission par son propre parti, préoccupé par l’accumulation des preuves qui signalaient sa proximité avec les chefs du réseau de corruption.

Au tribunal, les témoins à charge avaient défilé et raconté. Tout y était, dans un schéma de corruption des plus classiques: Grandes déclarations d’amitié et petits cadeaux, en échange de gros contrats publics pour les « amis », qui savaient ensuite récompenser les faveurs. Mais les jurés du Tribunal de Valence n’ont rien vu de répréhensible dans cette intimité. On a bien le droit d’avoir des amis, après tout. Même aux frais du contribuable.

Une brèche qui pourrait bénéficier aux capos du narcotrafic
Des amis, c’est justement ce qui semble manquer à Garzón: Les sept magistrats du Tribunal Suprême l’ont désigné coupable d’avoir agi sciemment contre la loi. Il a eu beau expliquer lors du procès que les écoutes avaient été validées par le parquet, solidement encadrées, et que sa seule préoccupation était d’éviter que les inculpés n’organisent la fuite et le blanchiment des capitaux depuis leur cellule, en passant messages par l’intermédiaire des avocats. Les policiers et le procureur qui travaillaient avec lui sur l’enquête ont eu beau raconter comment il avait fait expurger toutes les écoutes de ce qui ne concernait pas les opérations de transferts de fonds… Il a été jugé coupable d’avoir porté atteinte aux droits à la défense. Alors que le procureur général avait demandé son absolution.

« La condamnation va ouvrir une brèche qui risque de bénéficier à tous les capos du narcotrafic qui continuent de diriger leurs affaires et d’ordonner des assassinats depuis la prison », glissait dans les coulisses du procès un avocat pénaliste. Garzón, d’ailleurs, avait mené les grandes opérations pour démanteler les principaux clans de la drogue, au début des années 1990, à l’époque où les côtes de Galice servaient de porte d’entrée en Europe pour les cartels colombiens.

Une peine disproportionnée, un acharnement « insolite » pour ceux qui soutiennent le magistrat. Mais ils sont peu nombreux au sein des milieux judiciaires espagnols. Garzón, le tombeur de dictateurs, héros de la justice universelle, celui qui a prononcé le mandat d’arrêt contre Pinochet exaspère ses pairs. Trop star, trop perso, trop admiré ailleurs, il a l’art de se faire des ennemis chez lui. Il a touché à suffisamment de dossiers embarrassants pour énerver tout le monde: à droite comme à gauche. Dans les années 1990, il a fait tomber le gouvernement socialiste de Felipe González en révélant le scandale du Gal. Quinze ans plus tard, il ouvre une enquête sur les crimes du franquisme qui met la droite sur les nerfs. Des ennemis venus des horizons les plus variés, unis par un même « Pour qui se prend-il ? » paraissent avoir décidé de se payer une bonne fois pour toutes un magistrat décidément trop incontrôlable .

Cécile Thibaud

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