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Kabila quitte la scène mais reste en coulisses

A 47 ans, le président congolais Joseph Kabila est loin de songer à une retraite politique s’il devient le premier « ex-président » à avoir quitté le pouvoir par les urnes en République démocratique du Congo (RDC).

« En tout cas, je ne songe pas à aller en vacances aux Bahamas, ni même en Espagne, à Dubaï ou ailleurs », a lancé M. Kabila au journal belge ‘Le Soir’ avant les élections prévues le 23 décembre. Tous ses prédécesseurs ont été tués ou renversés, à commencer par son père, Laurent-Désiré, qu’il a remplacé après son assassinat du 16 janvier 2001. Que va faire celui qui est encore le plus jeune chef d’État africain si la RDC réussit son pari: une première transmission pacifique du pouvoir? « Blague à part, je resterai certainement dans mon pays, où je vais m’occuper de beaucoup de choses », avait-il ajouté devant la journaliste du ‘Soir’. « Dans la vie comme en politique, je n’exclus rien », a-t-il ajouté devant des médias britanniques et américains, à qui il a suggéré d’attendre jusqu’en 2023 la réponse sur son avenir politique. La date n’est pas choisie au hasard.

Si les élections se déroulent comme prévu, le successeur de M. Kabila sera élu pour un mandat de cinq ans, jusqu’en 2023, selon la Constitution. La Loi fondamentale prévoit « un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ». Avec deux ans de retard, M. Kabila a choisi en août de ne pas briguer par la force un troisième mandat consécutif. M. Kabila a désigné in extremis un « dauphin », l’ex-ministre de l’Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary (dit ERS), qui a évidemment pour mission de remporter l’élection présidentielle de 2018. Le président congolais a déjà préparé son avenir matériel et politique. « Je vais aussi m’occuper de mes fermes », a-t-il avancé au Soir, référence à ses propriétés rurales de Kingakati près de Kinshasa ou dans le Katanga. Une enquête de l’agence Bloomberg en décembre 2016 avait avancé que lui et sa famille s’étaient constitués « un réseau de +business+ qui s’étend à tous les recoins de l’économie congolaise ». D’un point de vue politique, la Constitution garantit à l’ancien président de la République un poste de sénateur à vie. De plus, M. Kabila a pris soin de constituer une coalition politique des cadres de sa majorité, le Front commun pour le Congo (FCC).

Kabila quitte la scène mais reste en coulisses
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M. Kabila reste « l’autorité morale » du FCC selon l’expression consacrée en RDC. Par ailleurs, l’actuel président garde la haute main sur l’armée et l’appareil sécuritaire, les pivots de l’État congolais. A la veille de désigner son « dauphin » le 8 août, M. Kabila était apparu sur les ondes de la chaîne d’État RTNC pour installer un nouvel état-major, avec à sa tête le général Célestin Mbala. M. Kabila a aussi promu au poste d’inspecteur général des armées John Numbi, soupçonné d’être responsable de la mort du militant des droits de l’Homme Floribert Chebeya et de son chauffeur. John Numbi fait partie des 14 personnalités congolaises sanctionnées par l’Union européenne pour « violations des droits de l’Homme ». « Moi, je fais pleinement confiance à tous ceux qui ont été sanctionnés, et surtout les officiers », a lancé M. Kabila au ‘Soir’, en dénonçant ces sanctions. Parmi les 14 sanctionnés, figurent deux autres fidèles du président Kabila, qui occupent deux postes ultra-stratégiques dans l’appareil sécuritaire: les patrons des renseignements intérieurs et militaires.

Une source de la présidence explique en substance: Kabila va continuer à contrôler la sécurité et le jeu politique. Le président élu gérera les affaires courantes et l’économie. Encore faut-il que les conditions politiques permettent à M. Kabila de vraiment quitter le pouvoir. La période s’annonce très agitée entre le jour des élections, la proclamation des résultats prévue le 30 décembre, les recours très probables devant la Cour constitutionnelle, et la « prestation de serment » du nouveau président élu annoncée pour le 12 janvier 2019. « Le président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu », rappelle opportunément la Constitution.

Les grandes dates depuis l’arrivée au pouvoir de Joseph Kabila

Principales dates depuis l’arrivée au pouvoir en 2001 en République démocratique du Congo de Joseph Kabila, qui doit céder sa place après la présidentielle du 23 décembre.

– « Succession héréditaire »

Le 26 janvier 2001, Joseph Kabila est porté au pouvoir, quelques jours après l’assassinat de son père, le président Laurent-Désiré Kabila. Il hérite d’un pays déchiré depuis août 1998 par une guerre régionale impliquant de multiples groupes armés et plusieurs pays africains.

Après le retrait des armées étrangères, un accord de partage du pouvoir est signé en décembre 2002 pour une période de transition.

Le 28 mars 2004, quatre sites militaires de Kinshasa sont attaqués. Une tentative de coup d’État échoue en juin.

– Élections controversées

Le 29 octobre 2006, Joseph Kabila est élu président, battant l’ex-chef de guerre Jean-Pierre Bemba aux premières élections libres depuis l’indépendance en 1960.

En mars 2017 des combats à Kinshasa entre la garde rapprochée de Bemba et l’armée font 300 morts. M. Bemba quitte la RDC.

Fin 2008, Human Rights Watch dénonce une « répression brutale », avec plus de 500 opposants tués et un millier arrêtés en deux ans.

Le 28 novembre 2011, M. Kabila est réélu lors d’élections marquées par des violences et entachées d’irrégularités. L’opposant Étienne Tshisekedi rejette les résultats.

– Rébellion du M23

En mai 2012 débute dans le Kivu (est) la rébellion du Mouvement du 23 Mars (M23), surtout composé d’ex-rebelles congolais tutsi intégrés à l’armée. L’ONU accuse le Rwanda et l’Ouganda de soutenir la rébellion, qui sera vaincue militairement fin 2013 par les Forces armées de la RDC (FARDC) et les Casques bleus de la Mission de l’ONU (Monusco).

– Crises politiques émaillées de violences

A partir de janvier 2015 des manifestations contre un possible maintien au pouvoir de M. Kabila après la fin de son dernier mandat fin 2016 font des dizaines de morts.

En septembre 2016, le Kasaï (centre) bascule dans la violence après la mort d’un chef coutumier tué par les forces de sécurité. Ce conflit a fait plus de 3.000 morts dont deux experts de l’ONU et 1,4 million de déplacés.

– Accord de transition

Le 20 décembre 2016, dernier jour du mandat présidentiel, plusieurs villes connaissent des affrontements meurtriers.

Le 31, pouvoir et opposition signent l’accord de la Saint-Sylvestre, sous l’égide de l’Eglise, autorisant M. Kabila à rester jusqu’à « fin 2017 », en contrepartie de la création d’un Conseil national de transition et la nomination d’un Premier ministre de l’opposition.

Le 7 avril 2017, Bruno Tshibala est nommé Premier ministre, poste que briguait Félix Tshisekedi, fils d’Étienne Tshisekedi décédé en février.

– Elections retardées fin 2018, marches réprimées

Le 5 novembre 2017, la Commission électorale fixe la présidentielle au 23 décembre 2018, permettant à Kabila de rester jusqu’en janvier 2019.

Les 31 décembre 2017, le 21 janvier et 25 février 2018 plusieurs personnes sont tuées lors de marches catholiques interdites contre le maintien au pouvoir de Kabila. La communauté internationale durcit le ton contre Kinshasa.

– Dauphin et opposition divisée

Le 8 juin 2018, la Cour pénale internationale (CPI) acquitte en appel Jean-Pierre Bemba, condamné en première instance pour crimes contre l’humanité en Centrafrique.

Le 8 août 2018, M. Kabila désigne l’ex-ministre de l’Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary comme son dauphin à la présidentielle, s’engageant « à quitter le pouvoir ».

Le 19 septembre, la commission électorale publie la liste des 21 candidats à la présidentielle, excluant M. Bemba et l’opposant en exil Moïse Katumbi.

Le 11 novembre, sept ténors de l’opposition choisissent un candidat unique, Martin Fayulu. Le lendemain Félix Tshisekedi et le président de l’UNC Vital Kamerhe, se retirent de l’accord. M. Kamerhe se rallie à M. Tshisekedi pour former « un ticket ».

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