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John Kelly, le garde-fou de Trump

Le Vif

Ancien général de la guerre d’Irak, John F. Kelly a été bombardé chef de cabinet de la Maison-Blanche. Un poste clé pour la présidence Trump.

Verbe posé, visage impassible, maîtrise de soi, John F. Kelly n’a pas besoin de hausser le ton pour qu’on l’écoute. Quarante-cinq années chez les marines et un sens inné du commandement font de ce général quatre étoiles une légende unanimement respectée, par les démocrates comme par les républicains. Lors des points presse à la Maison-Blanche, il arrive que les journalistes le remercient  » pour les services rendus à la nation « . A 67 ans,  » Kel  » – son surnom – affiche la force tranquille de ceux qui ont beaucoup vu et beaucoup combattu, aussi imperturbable sous le feu de la presse hostile à Trump qu’à l’heure de lancer l’assaut victorieux sur Bagdad, en 2003. A l’époque, il était l’adjoint d’un autre général des marines, lui aussi recruté depuis lors par Trump : James Mattis, actuel secrétaire à la Défense. Droit dans ses bottes, costumes impeccablement coupés, condition physique irréprochable (il est capable, dit-on, d’aligner 200 pompes sans s’essouffler), il possède une autre caractéristique : il sourit environ tous les 36 du mois. Guère davantage.

Le nouveau chef de cabinet filtre désormais l’accès au Bureau ovale

Tempérament, états de service : ce dur à cuire a tout pour plaire à Donald Trump qui, à part lui-même, ne respecte qu’une seule trempe d’individus, les militaires, et en particulier les marines. Des winners comme lui, pense-t-il. Aux Etats-Unis, ce corps militaire hors catégorie jouit d’un prestige particulier, en raison de son audace, de ses succès et, le cas échéant, de sa capacité à s’affranchir des règlements pour remplir n’importe quelle mission avec des moyens dix fois inférieurs à ceux de l’US Army. Des têtes brûlées, en somme, à l’image de la série éponyme des années 1970 inspirée de la vie du marine  » Pappy Boyington « , héros de la guerre du Pacifique.

En poste depuis le 31 juillet 2017, John F. Kelly (au c.) rétablit l'ordre, impose de la discipline et... quelques renvois.
En poste depuis le 31 juillet 2017, John F. Kelly (au c.) rétablit l’ordre, impose de la discipline et… quelques renvois.© J. Ordonez/afp

En janvier 2017, Donald Trump promeut Kelly secretary of Homeland Security (ministre de l’Intérieur). Fraîchement retraité, celui-ci accepte, paraît-il, à contrecoeur et par sens du devoir. Six mois plus tard, le président le bombarde White House chief of staff (en remplacement du républicain Reince Priebus, en disgrâce). Chef de cabinet de la Maison-Blanche ?  » Souvent considéré à juste titre comme le deuxième personnage le plus important de l’Etat, le chief of staff est à la fois le plus proche conseiller du président et celui dont ce dernier dépend pour la mise en oeuvre de son programme « , explique Chris Whipple, auteur de The Gatekeepers ( Les Gardiens, 2017, non traduit), précisément consacré aux titulaires successifs de cette fonction influente.  » C’est lui qui filtre les accès au Bureau ovale, lui qui négocie avec le Congrès, lui qui a un accès direct aux chefs d’Etat étrangers, lui qui, souvent, se retrouve seul avec le président lorsque celui-ci prend des décisions cruciales. Du chief of staff dépend souvent la réussite, ou l’échec, d’une présidence « , poursuit Whipple, à New York, dans le fumoir du club des anciens de Yale, sous les portraits imposants d’élèves prestigieux, dont les Bush père et fils. Pour cet expert du sujet, le méticuleux James Baker (sous Reagan et Bush père) et le sympathique Leon Panetta (sous Bill Clinton) sont probablement les chiefs of staff les plus remarquables.

Question : John F. Kelly peut-il sauver la présidence Trump, plutôt mal engagée ? Et surtout : est-il capable de rééditer l’exploit de Leon Panetta qui, après les débuts chaotiques de la présidence Clinton, avait contribué à la réélection de son boss. Voire… Seule certitude : à la Maison-Blanche, Kel, en poste depuis le 31 juillet 2017, rétablit l’ordre et impose une discipline qui manquait à la  » West Wing « . Jusqu’à son arrivée, la fameuse aile ouest fonctionne à l’improvisation, laissant le champ libre aux rivalités claniques. Trois factions s’affrontent pour le leadership à l’intérieur de la Maison- Blanche, respectivement menées par le conseiller ultranationaliste Steve Bannon, le couple Ivanka Trump – Jared Kushner (chouchous du président) et le républicain Reince Priebus, prédécesseur de Kelly, qui n’a jamais su s’imposer. Au fil des disputes, les fuites dans la presse se multiplient, orchestrées par ces protagonistes. Le Bureau ovale ressemble à une auberge espagnole, où chacun entre et sort à sa guise, ou presque.

James Mattis et Joseph Dunford
James Mattis et Joseph Dunford© M. theiler/reuters

Avec Kelly, fini, tout ce bullshit ! Priebus parti, Steve Bannon est viré à son tour, ainsi que l’ingérable conseillère afro-américaine Omarosa Manigault, fantasque personnage de téléréalité que Donald Trump avait recruté naguère pour son émission The Apprentice. Quant à Ivanka Trump et son mari Jared Kushner, pourtant réputés intouchables, Kelly les recadre. Désormais, toute personne désirant parler au président devra passer par le chief of staff – même Ivanka ! – , qui filtre l’accès au Bureau ovale, gère l’agenda, met en place une structure de décision digne de ce nom.  » Si l’establishment de Washington parvient enfin à trouver le sommeil, c’est en grande partie grâce à Kelly et à deux autres généraux respectés : H. R. McMaster, conseiller à la sécurité nationale, à la Maison-Blanche, et James Mattis, le secrétaire (ministre) à la Défense « , estime le directeur de la rédaction de la revue de référence The Atlantic.

Pour le moment, l’attelage Trump-Kelly fonctionne assez bien.  » Un ami du président m’a dit qu’à ses yeux Kelly était le fils que Fred Trump, le père de Donald, aurait voulu avoir, reprend le journaliste Chris Whipple. Ce qui en dit long sur l’admiration des militaires chez les Trump.  » Une certitude : entre le 45e président des Etats-Unis et  » son  » général, le courant passe. Peut-être parce que ce dernier, d’origine irlandaise comme lui, a grandi dans une banlieue ouvrière de Boston.  » Or, n’oubliez pas que Trump a davantage d’affinités avec les gens du peuple qu’avec l’élite. Dans la Trump Tower, il a toujours été plus à l’aise avec le liftier qu’avec les copropriétaires « , remarque un New-Yorkais dont les beaux-parents possèdent un appartement dans le fameux gratte-ciel.

Sur le champ de bataille, Kelly sait repérer les mines, mais pas en politique

Comme Trump, aussi, Kelly est un outsider. Né en 1950 dans une famille modeste d’origine irlandaise et catholique, Kel, à l’adolescence, traverse les Etats-Unis en auto-stop. Parfois, il embarque comme passager clandestin à bord de trains de marchandises. C’est moins cher. Le goût de l’aventure le pousse vers la marine marchande, en 1970 :  » Mon premier voyage a consisté à livrer 10 000 tonnes de bière au Vietnam « , aime-t-il à rappeler. Peu après, il s’engage comme soldat dans les marines, à l’instigation de sa mère. Simple homme de rang, il monte en grade, étudie la tactique et la stratégie dans plusieurs écoles militaires, gravit encore les échelons, sert sur un porte-avions, est promu colonel, devient instructeur d’officiers, puis assistant du commandant suprême de l’Otan au Shape, le quartier général à Mons, est affecté en Irak lors de l’opération Tempête du désert (1991). En 1995, il est diplômé de l’université de la Défense nationale, à Washington. Promu brigadier général (une étoile) en 2002, il participe à la seconde guerre du Golfe, conquiert Bagdad en qualité de major général (deux étoiles), fait tomber la statue de Saddam Hussein.

Kelly a été l'adjoint du premier et est un proche du second. H.R. McMaster est reconnu comme un fin stratège mais aussi pour son franc-parler.
Kelly a été l’adjoint du premier et est un proche du second. H.R. McMaster est reconnu comme un fin stratège mais aussi pour son franc-parler.© N. Kamm/afp

En 2009, désormais major général (trois étoiles), le voilà de retour aux Etats-Unis. Son fils, lui, est toujours en Afghanistan. Un matin de 2010, Kelly voit débarquer son meilleur ami, le général Dunford (actuel chef d’état-major des armées), sur le pas de sa maison. Celui-ci lui annonce la mort du lieutenant des marines Robert M. Kelly, 29 ans, tué par une mine.  » Pudique, il ne parle presque jamais de ce décès, mais c’est le drame de sa vie « , dit quelqu’un qui le connaît bien. A bien le regarder, cette tristesse se lit au fond de ses yeux clairs.

Sous Barack Obama, dont il n’apprécie guère la pusillanimité, le général (quatre étoiles) Kelly prend le commandement du Southcom, région militaire qui correspond à l’Amérique latine. A Washington, Rebecca Chavez, alors son alter ego civil au Pentagone, se souvient d’un homme d’une rectitude parfaite.  » A notre première rencontre, nous avons exposé nos différends, nombreux, qu’il a écoutés sans jamais me faire sentir que j’étais une femme de vingt ans sa cadette. Profondément honnête, moral et respectueux, il ne fait jamais de coups tordus.  »

Avec cette directrice de l’Amérique latine au Pentagone, il effectue des déplacements réguliers dans la région, notamment en Colombie et en Amérique centrale.  » Il démarrait toujours ses exposés en s’excusant pour les fautes commises par l’armée américaine, témoigne Rebecca Chavez. Et il invitait systématiquement des représentants d’organisations de défense des droits de l’homme, catholiques, indigénistes ou autres « , se souvient encore cette haute fonctionnaire de l’administration Obama, attablée dans un café de Georgetown, à Washington.

Mais son tropisme latino a des limites. Sur la question des migrants, Kel est aligné sur la  » doctrine  » présidentielle. Selon lui, le nombre idéal de migrants se situe  » entre zéro et un par an « .  » Je suis certaine à 100 % que Kel n’est pas raciste « , plaide toutefois Rebecca Chavez, attristée par la récente polémique consécutive au coup de fil maladroit de Trump à la veuve d’un soldat afro-américain tombé au Niger. Ayant apparemment mal compris les éléments de langage suggérés par Kelly, Trump a en effet expliqué au téléphone que le défunt mari  » connaissait les risques du métier « . Une phrase prononcée sans une once d’empathie, selon la veuve éplorée. Et qui, relayée par les médias, déclenche une énième controverse autour de la question raciale.

 » Encore un cinglé qui croit gouverner à ma place « , aurait confié Trump au sujet de son chief of staff.© Drew Angerer/getty images

Et voici Kelly, par ricochet, soupçonné de racisme.  » Sur le champ de bataille, il sait repérer les mines mais, en politique, il ne les voit pas venir « , a taclé son lointain prédécesseur à la Maison-Blanche Leon Panetta, pointant son inexpérience politique, qui est sa principale faiblesse.  » Un jour, Donald Trump ira trop loin, dira un truc contraire à l’éthique de Kelly, et celui-ci partira « , prédit, pour sa part, Rebecca Chavez.

A moins que ce ne soit le contraire : Trump se débarrassera de Kelly. Certes,  » Trump n’aime pas virer les gens et préfère qu’ils s’en aillent d’eux-mêmes « , confie, à New York, un ami de la famille sous couvert d’anonymat. Mais les pièges – ou les mines – ne manquent pas… Ainsi, voilà deux semaines, le chief of staff explique à la chaîne Fox News que, sur la question du futur mur frontalier du Mexique, le président a  » évolué « , car  » son information initiale était incomplète « .  » Le fameux mur ne pourra pas être construit d’un océan à l’autre en raison de contraintes topographiques « , explique Kelly, s’efforçant de nuancer la parole présidentielle. Un crime de lèse-majesté selon Donald Trump, qui bondit sur Twitter :  » Le mur est le mur, je n’ai jamais changé ni évolué !  » poste-t-il à l’intention de Kelly.

 » Non seulement Trump est ingérable, mais, de plus, il se lasse vite des gens, prévient l’auteur de The Gatekeepers, Chris Whipple. Chaque jour qui passe diminue l’influence de ses conseillers, y compris celle de Kelly.  » Et voici que, déjà, Washington bruit d’une nouvelle rumeur, rapportée par le magazine Vanity Fair. Trump aurait confié à ses amis son déplaisir à l’égard de Kel en termes peu amènes :  » Encore un cinglé qui croit gouverner à ma place…  » Ivanka Trump, elle, se serait déjà mise en quête d’un remplaçant…

Mais, selon une autre rumeur, tout aussi invérifiable, un pacte secret lierait les généraux de Trump. Si l’un d’entre eux devait partir, alors tous présenteraient leur démission d’un bloc. Ce qui rendrait intenable la position du président. Des  » mousquetaires « , en somme, dont la devise serait :  » Un pour tous… et tous pour Trump ! « 

Par Axel Gyldén.

Les quatre mousquetaires du président

John F. Kelly, 67 ans. Chef de cabinet de la Maison-Blanche.

Vétéran des guerres d’Irak, il appartient à la génération de Mattis et Dunford, dont il est très proche. Comme eux, il est issu des marines. Son fils, Robert, lieutenant chez les marines, est mort en Afghanistan en 2010, tué par une mine.

James Mattis, 67 ans. Secrétaire à la Défense.

A la tête du Pentagone, ce général des marines, surnommé  » Mad Dog  » (chien fou), est réputé pour sa culture générale. Sa bibliothèque compte 6 000 ouvrages. John F. Kelly fut son adjoint en Irak.

Joseph Dunford, 62 ans. Chef d’état-major des armées.

Originaire de Boston et catholique fervent, il a été promu au plus haut grade par Barack Obama, en 2015. Issu des marines,  » Fighting Joe  » a servi en Afghanistan et en Irak. John F. Kelly est son meilleur ami.

H.R. McMaster, 55 ans. Conseiller à la sécurité nationale.

Issu de l’US Army, surnommé le  » général iconoclaste « , ce vétéran des campagnes d’Irak est l’auteur de Dereliction of Duty (Abandon de pouvoir), féroce critique de la hiérarchie militaire à l’époque du Vietnam.

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