"Notre objectif n'est pas d'accaparer les donateurs existants, mais d'aumgenter leur nombre" © P. Perich/Fondation Epic/SDP

« J’ai mis ma fortune au service des enfants défavorisés »

Le Vif

Devenu riche à moins de 40 ans, le « serial entrepreneur » Alexandre Mars a créé Epic, une fondation qui met en relation des philanthropes et des associations dignes de confiance. Et applique au secteur caritatif les méthodes des start-up.

Qu’est-ce qui retient chacun d’entre nous de donner davantage ? L’avarice ou l’indifférence ?

Ni l’un ni l’autre. Avant de lancer ma fondation, j’ai procédé comme un entrepreneur, en réalisant ma propre  » étude de marché  » afin de cerner les attentes des donateurs potentiels. Il y a cinq ans, je suis parti à la rencontre de dizaines de personnes qui consacraient déjà une partie de leurs ressources aux autres. A la question  » Pensez-vous avoir fait suffisamment ?  » 95 % d’entre eux répondaient non. Et quand je leur demandais pourquoi, les trois mêmes réponses revenaient sans cesse. D’abord  » Je n’ai pas confiance « , car les gens s’interrogent sur la façon dont les associations caritatives gèrent l’argent. Puis  » Je ne sais pas vers qui me tourner  » : les causes et les organismes sont nombreux, difficile de s’y retrouver. Et enfin  » Je n’ai pas le temps de chercher « . Ces arguments expliquent pourquoi on donne principalement à ce que l’on comprend bien – l’école de ses enfants ou l’hôpital local, par exemple – et dans des proportions inférieures à ce que l’on pourrait se permettre.

Associer le mot  » business  » au mot  » charité  » n’éveille-t-il pas souvent des soupçons ?

Filmer l’action des associations à 360 degrés, de façon que le résultat soit visible à l’aide d’un casque de réalité virtuelle »

C’est vrai qu’il existe ici une méfiance particulière, liée au souvenir de scandales qui ont marqué l’opinion. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare que l’on me ressorte l’histoire de Jacques Crozemarie, ancien président de l’ARC (Association de recherche contre le cancer), qui s’était rendu coupable de détournements. On ne pardonne pas les fautes commises au nom de la charité. Cependant, invoquer de telles affaires ne doit pas devenir une mauvaise raison de ne pas passer à l’action.

L’Etat providence a-t-il anesthésié la générosité individuelle ?

On m’a souvent rétorqué :  » Je suis déjà un philanthrope, je paie mes impôts ! « , avec cette conviction qu’il appartient à l’Etat d’organiser la solidarité. C’est bien commode de ne pas se considérer responsable du manque d’efficacité de l’action publique… A cela je réponds de deux manières. D’abord, en rappelant que le système français (NDLR : et belge) encourage le don par des exonérations fiscales. Ensuite, en soulignant que même l’Etat le mieux organisé du monde ne pourrait faire face à tous les besoins.

Comment convaincre quelqu’un de mettre la main à la poche ?

Les gens veulent pouvoir choisir leur cause et leur organisme caritatif. Ils ont besoin d’être assurés que leur argent sera bien utilisé. Enfin, ils aiment sentir qu’ils contribuent à changer les choses. C’est pourquoi j’ai créé la fondation Epic, qui met en relation des donateurs avec des acteurs de terrain, autour de ces trois axes : choix, traçabilité et partage d’expérience. On n’emporte plus l’adhésion avec une brochure et un sourire. Nos méthodes sont celles d’une entreprise, avec les outils technologiques d’une start-up. Nous allons entamer un tour du monde des centres de décision économiques et financiers, afin de présenter notre travail, comme le ferait une entreprise en quête de fonds. La seule différence, c’est qu’il n’y a pas de business model : nous ne recherchons pas le profit.

Epic propose d’aider une vingtaine d’associations. Sur quels critères ont-elles été retenues ?

Une appli pour savoir combien d’enfants ont reçu leur vaccin, combien ont dormi telle nuit dans tel centre d’hébergement »

D’abord, la cause défendue. Celle de l’enfance et de la jeunesse me tient le plus à coeur. Comment assurer la santé, la protection, l’éducation et l’accès au premier emploi des moins de 25 ans ? Pour y répondre, il fallait d’abord repérer les structures les plus efficaces auprès des populations. Nous travaillons avec une centaine de grandes organisations de bienfaisance, comme Ashoka (NDLR : premier réseau mondial d’entrepreneurs sociaux), ou encore Dasra, en Inde, et leur avons demandé quelles initiatives locales elles jugeaient les plus intéressantes. Nous avons ainsi établi une liste de 1 800 organisations sociales et passé sept mois à les examiner, selon 45 critères allant de la qualité du management à l’impact social, en passant par le soin porté aux documents financiers. Nous allons visiter tous les finalistes, où qu’ils se trouvent dans le monde. Environ 1 % d’entre eux seront retenus.

Il n’existe pas de rivalité entre fondations caritatives ?

Entre personnes dont l’objectif est de rendre le monde meilleur, il y a rarement de problème. D’autant que notre objectif n’est pas d’accaparer les donateurs existants, mais plutôt d’augmenter leur nombre. Vous donnez déjà ? Très bien, continuez ! Si vous voulez vous y mettre ou faire plus, nous sommes là. De plus, notre modèle est unique. Il n’existe à ma connaissance qu’une seule autre fondation fonctionnant comme nous. Elle se nomme Robin Hood, et son action est localisée à New York. Nous travaillons souvent avec elle.

Comment rassurez-vous sur la bonne utilisation des fonds collectés ?

Nous avons conçu une application qui fait apparaître sur l’écran de votre smartphone tous les chiffres importants. Combien d’enfants ont reçu leur vaccin, combien d’enfants ont dormi telle nuit dans tel centre d’hébergement… On y trouve également des photos, des tweets, des infos, comme sur un réseau social. Tous ces contenus sont évidemment destinés à être rediffusés, pour convaincre d’autres personnes d’agir.

Et pour le partage d’expérience ?

© Fondation Epic

Là encore, les outils d’aujourd’hui viennent à la rescousse. Nous filmons l’action de nos organisations sociales à 360 degrés, de façon que le résultat soit visible à l’aide d’un casque de réalité virtuelle. Nous avons commencé il y a deux mois en Inde, puis avons enchaîné avec le Cambodge, la Thaïlande, San Francisco et Rio. Le résultat permet de vraiment comprendre ce qu’est, par exemple, le quotidien d’un gamin de Dharavi, l’un des quartiers les plus pauvres de Mumbai.

Tout cela a un coût… A combien se montent les frais de fonctionnement d’Epic ?

Je finance intégralement les salaires des 20 personnes de la fondation ainsi que son fonctionnement. De cette façon, toutes les sommes collectées vont aux associations. Cela me coûtera un peu moins de 2 millions de dollars cette année, argent que je gagne grâce à mon fonds d’investissement. Après avoir vendu mes précédentes entreprises, j’ai pu monter un family office nommé Blisce, qui a pris des participations dans des sociétés comme Spotify, Pinterest ou BlaBlaCar. Je lui consacre 10 % de mon temps, et c’est lui qui alimente la machine. J’ai certes gagné beaucoup, mais je ne suis pas non plus Bill Gates. C’est pourquoi j’ai créé la fondation, comme un levier me permettant de collecter plus que ce que j’aurais pu verser directement. D’ici à la fin de 2016, Epic devrait ainsi avoir redistribué entre 5 et 10 millions de dollars, des montants appelés à croître dans les prochaines années.

On a un peu le sentiment que seuls les donateurs importants vous intéressent…

C’est vrai que nous avons structuré Epic en pensant d’abord aux entreprises et aux grandes fortunes. Lorsqu’on s’adresse à elles, nous leur disons que le succès est une chose magnifique, dont on peut être fier, mais dont il faut faire quelque chose. Cela dit, il n’y a pas de ticket minimal exigé. Et les choses évoluent. Nous sommes en train de développer une plate-forme Web et mobile qui permettra à chacun de contribuer selon ses possibilités, même modestes. Son nom de code est  » Epic Gives « . Elle devrait être disponible d’ici à la fin de l’année.

 » Aider son prochain « ,  » faire suffisamment « … Ces mots pourraient être ceux d’un homme de foi. La création d’Epic a-t-elle été guidée par un sentiment religieux ?

Non, nous sommes aconfessionnels et apolitiques. Mes motivations sont humanistes… et j’aimerais qu’elles soient plus partagées. C’est d’ailleurs pourquoi l’autre grand projet d’Epic consiste à faire évoluer les mentalités.

Comment comptez-vous vous y prendre ?

En essayant de convaincre les entreprises de se montrer plus généreuses. Elles ont tout à y gagner, parce que cela répond à une demande de leurs salariés. C’est notre concept  » doing well by doing good « .Les jeunes de 20 à 30 ans veulent que leur travail ait un sens. Lors d’un entretien d’embauche, leurs questions portent très vite sur ce que fait leur futur employeur pour les autres, pas sur la taille du bureau ou de la voiture de fonction. Je pense que chaque société, petite ou grande, devrait reverser 1 % de ses profits à une cause de son choix. C’est un montant indolore et qui aurait de grandes retombées. Je crois également beaucoup aux partenariats public-privé. Il y a un chantier à mener avec la sphère politique pour trouver et apporter de l’innovation sociale dans de nouveaux endroits. Faire plus chaque jour, c’est un mot d’ordre que je m’efforce d’appliquer d’abord à moi-même.

Propos recueillis par Matthieu Scherrer.

Bio express

1974: Naît à Paris.

1991: Crée sa première société, qui organise des concerts dans les lycées français.

1998: Diplômé de l’université Paris-Dauphine et d’HEC.

2001: Fonde la société Phonevalley, spécialisée dans le marketing mobile.

2007: Vend Phonevalley à Publicis.

2010: S’installe à New York avec sa famille.

2013: Vend sa société Scroon (édition de logiciels pour mobiles) à BlackBerry.

2014: A 40 ans, crée la fondation Epic.

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