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Italie : un « hollandais » à Rome ?

Le Vif

Le très « normal » leader de la coalition de gauche reste le favori des sondages, à quelques jours des élections. Un social-démocrate au discours très proche de celui du président français et qui pourrait bien s’allier au chef du gouvernement sortant, Mario Monti.

Peut-on réussir en Italie quand on est un « candidat normal » ? Donné largement gagnant avant le début de la campagne, mais dépourvu de charisme et mauvais communicant, le chef de la gauche, Pierluigi Bersani, aura eu bien du mal à conserver son avance, confronté au retour de Silvio Berlusconi, plus démagogue que jamais (voir en page 60), à la percée du comique populiste Beppe Grillo, bateleur d’estrades et de réseaux sociaux, et à la candidature de l’austère Mario Monti, le chef du gouvernement sortant, fort de son expérience européenne et internationale. Les derniers sondages autorisés, publiés à une quinzaine de jours des élections – les Italiens se rendent aux urnes ces 24 et 25 février -, le plaçaient encore en tête, mais ne lui prédisaient plus qu’une victoire assez courte, notamment au Sénat, où la répartition des sièges s’effectue sur une base régionale.

La plupart des analystes parient, à l’arrivée, sur une coalition gouvernementale proeuropéenne, associant la gauche aux partisans de Mario Monti. Nul doute que les quelques joutes entre les deux hommes seront vite oubliées. Au fil des jours, Bersani a cessé de trouver Monti trop libéral, et Monti s’est abstenu de juger Bersani trop à gauche… « Bersani gouvernera avec Monti dans tous les cas de figure, même s’il n’en a pas besoin », confie Miguel Gotor, l’un des conseillers du candidat, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Turin et candidat au Sénat. Et de rappeler que le Parti démocrate a été de ceux qui ont accordé un soutien sans faille, pendant les treize derniers mois, au « gouvernement technique » de Mario Monti.

Sur le fond, le discours de Bersani, très proche de celui du président français François Hollande, n’est pas en contradiction avec celui de Monti. S’il promet davantage d' »équité » et une politique plus favorable à l’emploi, il assure aussi qu’il continuera à faire preuve « de rigueur et de sérieux ». « L’Italie respectera ses engagements, quoi qu’il lui en coûte, affirme Lapo Pistelli, responsable des relations internationales au Parti démocrate. Mais sans croissance, ceux-ci seront difficiles à tenir, pour tout le monde. C’est pourquoi nous souhaitons que l’Europe desserre un peu l’étau. » « Bersani ne souhaite pas que l’Italie fasse cavalier seul en Europe. Il respectera les règles, tout en s’efforçant d’obtenir de l’Europe qu’elle les assouplisse », estime de son côté le politologue Roberto D’Alimonte, convaincu qu’une victoire de la gauche en Italie favorisera l’émergence au sein de l’Europe d’un nouvel axe Paris-Rome.

Une culture politique forgée par l’eurocommunisme Comme François Hollande, Pierluigi Bersani appartient à la « première gauche ». « C’est un social-démocrate », souligne Roberto D’Alimonte. Il s’est forgé une culture politique à l’école d’Enrico Berlinguer, secrétaire général, de 1972 à 1984, d’un Parti communiste qui était alors le plus grand et le plus antistalinien d’Europe. Il est né en 1951 à Bettola, un petit village de l’Emilie-Romagne – la région de Don Camillo et de Peppone -, où son père était mécanicien et pompiste. La famille, catholique pratiquante, se méfiait des « rouges ». Autant dire qu’elle était résolument du côté de Don Camillo, ou plutôt de Don Vincenzo, le curé du village, auquel le jeune Pierluigi servait d’enfant de choeur le dimanche. C’est à l’université de Bologne, où il a entrepris des études de philosophie, qu’il va faire ses premiers pas en politique. Comme beaucoup d’autres soixante-huitards, il s’essaie d’abord au gauchisme, avant d’adhérer au PCI. Un an après avoir terminé sa maîtrise d’histoire du christianisme et défendu avec succès son mémoire de fin d’études sur le pape Grégoire Le Grand (590-604), il entre au Parti comme permanent, au grand dam de sa mère, qui se demande avec inquiétude comment vont réagir les oncles et les cousins… Il s’engage ensuite dans une carrière d’élu local et gravit tous les échelons, jusqu’à devenir, en 1993, président de la région d’Emilie-Romagne. La route de Rome est ouverte : il est ministre, pour la première fois, dans le gouvernement de Romano Prodi, en 1996, député en 2001, puis de nouveau ministre, après un passage au Parlement européen. Entre-temps, le PCI, devenu en 1991 le Parti démocrate de la gauche (PDS), a achevé sa mue vers la social-démocratie. Bersani aussi. En 2006, ministre du Développement économique dans le second gouvernement Prodi, il signe les premières mesures visant à libéraliser l’accès à certaines professions, des chauffeurs de taxi aux pharmaciens en passant par les notaires.

Mais, de scission en scission, la gauche italienne va mal. L’idée s’impose peu à peu que seul un grand parti réformiste réunissant l’ensemble des sensibilités du centre gauche, des anciens du PCI à la nouvelle gauche libérale, en passant par l’aile gauche de la démocratie chrétienne, pourra s’imposer face à Silvio Berlusconi. Le Parti démocrate naît en octobre 2007. Bersani en est élu secrétaire général deux ans plus tard, avec une ambition affichée : unifier les valeurs du christianisme et celles de la social-démocratie. Il s’attelle à cette tâche avec un indéniable succès. Fort du soutien des militants, il remporte les primaires ouvertes qui l’opposent, à la fin de 2012, au jeune maire de Florence, Matteo Renzi, figure montante de la nouvelle gauche libérale. Il scelle ensuite une alliance électorale avec le parti Gauche, écologie et liberté (SEL) de Nichi Vendola. « Pour la première fois, se réjouit Francesco Boccia, député du Parti démocrate, c’est une gauche unie qui va au combat. »

Cette unité résistera-t-elle à l’accord qui semble se dessiner avec Monti ? « Cela n’est pas impossible », répond Roberto D’Alimonte, le politologue. Bersani pourrait, en échange de son soutien, donner des gages à Vendola dans les deux domaines qui lui tiennent le plus à coeur : une réforme de la citoyenneté, afin de permettre aux immigrés de la seconde génération, nés en Italie, d’obtenir plus facilement la nationalité italienne, et l’adoption d’une union civile ouverte à tous, sur le modèle du pacs français. Une belle bataille en perspective avec le successeur de Benoît XVI…

De notre envoyée spéciale Dominique Lagarde, avec Vanja Luksic

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