Devant l'ambassade de France à Bruxelles. © REUTERS

« Il y a des limites à la sécurisation »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Faut-il renoncer à assister à des événements de masse après l’attentat de Nice ? Que faire de plus pour se protéger des attaques djihadistes ? Réponses de Thomas Renard, expert en terrorisme à l’Institut Egmont.

A Nice, le conducteur du camion qui a foncé sur la foule amassée le long de la Promenade des Anglais a fauché de nombreuses familles avec enfants. Un niveau de plus sur l’échelle de l’horreur, après les attentats de Paris, Bruxelles et autres ?

Thomas Renard : L’individu qui a commis ce carnage n’a pas forcément cherché à viser une cible différente de celles des précédents attentats. Son but est, avant tout, que son action fasse le plus de victimes possibles, pour attirer l’attention sur lui et maximiser l’impact psychologique dans la population.

Un terroriste peut frapper n’importe où, n’importe quand. Y compris lors d’un feu d’artifice donné un soir de fête nationale. Faut-il, désormais, renoncer à assister à des événements de masse ?

Nous devons continuer à vivre le plus normalement possible. Car l’objectif des djihadistes est précisément de briser notre mode d’existence. Ils veulent aussi monter les citoyens les uns contre les autres. Evitons de tomber dans ce piège. Mais restons vigilants. Il faut respecter les consignes des services d’ordre, ne pas prendre des risques inconsidérés. Si, demain, nous repassons au niveau 4 de l’alerte terroriste, il faudra alors prendre cette menace en compte avant de se rendre à tel ou tel événement.

Les mesures sécuritaires se sont multipliées depuis les attentats de Paris et de Bruxelles. Que faire de plus aujourd’hui en matière de sécurité ?

La sécurisation physique peut être encore améliorée, mais ne nous leurrons pas : on ne peut sécuriser totalement un hall de gare, un réseau de métro… ou une Promenade des Anglais. Il y a des limites aux mesures de protection, car personne en Europe ne souhaite vivre sous les contraintes d’une société ultra-sécurisée.

Nous serions donc condamnés à vivre sous la menace terroriste ?

La lutte anti-terroriste doit essentiellement être un travail de prévention. Très en amont, il faut mener des politiques d’éducation, de cohésion sociale. Il faut plus d’éducateurs et d’agents de quartier. La prévention passe aussi par des services de renseignement efficaces, qui suivent de près les individus désignés comme dangereux ou radicalisés. Enfin et surtout, il faut renforcer la surveillance des réseaux sociaux et d’Internet, retirer les messages de propagande djihadiste, développer des contenus qui répondent à cette propagande, tout cela en collaboration avec les grand providers, fournisseurs de services Internet.

A Nice, pas de kalachnikovs, ni de ceinture d’explosifs. Et peu de logistique derrière cette opération. Un simple camion suffit pour faire un carnage. Comment faire face à une méthode aussi banale, facile à mettre en oeuvre et néanmoins très meurtrière ?

Les moyens utilisés par les djihadistes dépendent des compétences qu’ils ont acquis et des moyens qui sont à leur disposition. Dans ce cas-ci, on se retrouve face à un individu apparemment isolé. Il n’a, semble-t-il, pas suivi de stage de formation en Syrie ou en Irak. Il n’était sans doute pas capable d’utiliser des explosifs. En d’autres circonstances, des apprentis terroristes ont tenté de se former à la fabrication et à l’utilisation d’explosifs à l’aide de tutoriels disponibles sur Internet, et cela s’est parfois mal passé, faute d’instructeur. Ce sont des produits dangereux. Ou alors, le système conçu n’est pas du tout fonctionnel. L’individu qui a agi à Nice a utilisé le moyen efficace qui était à sa portée.

Père de famille et marié, le Franco-Tunisien qui a tué à Nice a-t-il, selon vous, agi sur ordre, et avec des complicités ? A-t-il été aidé dans la préparation du massacre, ou bien son opération est-elle tout à fait individuelle ?

L’enquête apportera peut-être des éléments de réponse. Une certitude : depuis plusieurs années, l’Etat islamique a pour stratégie d’appeler directement des individus acquis à sa cause à mener des opérations au nom de Daech. Et cela où qu’ils se trouvent : en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique, en Asie. L’Etat islamique encourage ces sympathisants, qui ne sont pas forcément liés au groupe terroriste, à passer à l’action. Il dispose à cette fin d’un arsenal de propagande diversifié : revues spécialisées en langues arabe, anglaise, française, réseaux sociaux, sites Internet… Mais il n’y a pas, en général, d’instructions clairement données. L’Etat islamique appelle seulement ces individus isolés à tuer un maximum de « mécréants » avec les moyens dont ils disposent. Liberté est laissée à chacun d’agir selon ses possibilités.

Entretien : Olivier Rogeau

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