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Ignatova: la cryptoqueen qui a arnaqué le monde avant de se volatiliser

Muriel Lefevre

Ruja Ignatova était ce qu’on appelle une cryptoqueen, une reine de la monnaie électronique. Enfin c’est ce qu’elle a longtemps fait croire. Elle aurait inventé une monnaie électronique, le OneCoin, qui rivaliserait avec le Bitcoin. Elle va obtenir des milliards d’investissements avant de disparaître. Un reporter de la BBC, Jamie Bartlet, a enquêté durant des mois pour retrouver sa trace.

Ruja Ignatova affichait, avec ses robes de princesses et ses bijoux, en chaque occasion un look rutilant. Elle possédait également un véritable don pour convaincre les foules. Pour ne rien gâcher, elle affichait d’impressionnants et très sérieux diplômes. Beaucoup n’ont donc pas perçu la louve sous la peau de l’agnelle. D’autant plus que la plupart n’avaient qu’une seule envie : la croire sur parole.

En 2016, le Bitcoin, soit la première monnaie électronique – qui demeure à ce jour la plus importante et la plus connue – était en plein boom. Cette monnaie avait provoqué un enthousiasme frénétique chez les investisseurs. Les monnaies numériques étaient particulièrement en vogue et nombreux étaient ceux qui, ayant loupé le coche du Bitcoin, cherchaient à s’impliquer dans cette étrange et nouvelle opportunité. D’autant plus que pour faire fortune avec une monnaie virtuelle, il est de bon ton d’être dans les premiers. Entre août 2014 et mars 2017, c’est donc plus de 4 milliards d’euros qui vont être investis dans des dizaines de pays dans le OneCoin. Il est difficile de savoir combien d’argent a réellement été investi dans OneCoin dit la BBC. Plusieurs sources annoncent des chiffres allant jusqu’à 15 milliards d’euros.

Des techniques de vente pyramidale

Le coup de génie de Ruja a été de reprendre ce principe de cryptomonnaie et de vendre l’idée aux masses. Pour étendre le marché, elle va en effet s’appuyer sur un système de vente pyramidale. C’était ça le vrai le secret derrière le succès de OneCoin. Il ne s’agissait pas seulement d’une fausse cryptomonnaie, l’ensemble reposait sur un système pyramidal démodé, avec la fausse pièce comme « produit ». On appelle cette technique, le marketing de réseau, ou marketing multi-niveaux (MLM) qui va propager cette fausse monnaie comme un feu de forêt.

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Un plan machiavélique que, selon le FBI, elle aurait baptisé en privé « quand la salope de Wall Street rencontre le MLM ».

Assez rapidement, Igor Alberts, propriétaire d’une compagnie de MLM réalisait plus d’un million d’euros par mois avec OneCoin. Cela ira même jusqu’à deux millions par mois. Sa seule erreur aura été de réinvestir une partie de cet argent pour acheter plus de OneCoin. Comme presque tous les autres participants, il était convaincu qu’il gagnait une fortune. Et c’est ce qui a rendu le système si vicieux. En effet, la nature des réseaux MLM – où les gens recrutent souvent d’autres personnes qui leur sont proches – crée un sentiment flou de responsabilité. Le blâme n’est dès lors pas facile à répartir. Et cela l’est encore plus si les vendeurs ont investi leur propre argent, et en sont donc aussi les victimes.

Car le OneCoin serait en effet une arnaque. L’un des premiers a révélé l’affaire est Timothy Curry, un passionné de Bitcoin et défenseur de la monnaie électronique. Il pensait que OneCoin donnerait une mauvaise réputation aux monnaies cryptées, car c’était une arnaque. Probablement même « la plus grande arnaque dans le monde ». Si quelques-uns commencent à percevoir rapidement l’entourloupe, beaucoup vont continuer à investir dans le OneCoin. Pendant ce temps, Ruja Ignatova voyage à travers le monde pour vendre sa vision, remplir des stades et attirer de nouveaux investisseurs. Madame Ignatova dépense aussi sans compter et s’offre de luxueuses demeures et des fêtes tapageuses.

Néanmoins, malgré un succès de façade, les ennuis commencent sérieusement à poindre. Par exemple, il n’était toujours pas possible de convertir les OneCoin en espèce. La question aurait dû être tranchée en octobre 2017 à Lisbonne lors d’un grand rassemblement. Mais, le jour dit, Ruja ne vient pas. Les appels et les messages restent sans réponse et au siège social à Sofia on n’en sait pas plus.

Dans un premier temps, on pense qu’elle a pu être tuée ou enlevée. Mais en réalité, elle a pris la poudre d’escampette. Le FBI, dans des documents judiciaires révélés plus tôt cette année, indique que le 25 octobre 2017, soit deux semaines seulement après son absence remarquée à Lisbonne, elle a pris un vol Ryanair de Sofia à Athènes. De là, on perd sa trace, puisqu’elle disparaît complètement des radars.

Pour la retrouver, le journaliste de la BBC va dans un premier temps suivre l’argent, ou du moins tenter de le faire puisque la structure organisationnelle de OneCoin est incroyablement compliquée. D’autant plus que lorsqu’il s’agit d’une escroquerie de plusieurs milliards d’euros, il n’est pas rare que des groupes de l’ombre s’en mêlent. Selon Bjercke, Ruja Ignatova ne s’attendait pas à ce que OneCoin grandisse autant et que ce n’était pas censé être au départ une escroquerie d’un milliard de dollars. Quand elle a vu l’ampleur que cela prenait, elle aurait voulu y mettre fin. Les mêmes forces obscures, on parle d’acteurs importants du crime organisé en Europe orientale, ne l’ont pas laissée faire. « Une fois que OneCoin a dépassé les 10 millions, 20 millions, 30 millions, il s’est passé quelque chose qu’elle n’a pas pu arrêter « , dit Bjercke. « Je pense qu’elle a eu si peur à l’automne 2017 qu’elle a décidé de fuir. »

Le plus surprenant c’est que malgré la révélation de la fraude et l’inculpation de Ruja pour fraude électronique, fraude à la sécurité et blanchiment d’argent par les autorités américaines, le OneCoin a continué sa route et les gens ont continué d’y investir. Pourquoi tant de gens ont-ils continué à y croire malgré les preuves ?

Un peu comme une secte

Comme déjà dit plus haut, il y avait la crainte de passer à côté de la prochaine grande chose, la personnalité de madame Ignatova. Mais ce qui a pu être encore plus déterminant ce sont les techniques un peu sectaires pour créer un sentiment de communauté. Ainsi la leader diffusait des informations à partir du siège à Sofia et on préparait les adeptes à répondre aux sceptiques et aux détesteurs, ceux qui ne juraient que par le Bitcoin.

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Pour le professeur Eileen Barker, de la London School of Economics, qui a passé des années à étudier des groupes comme les membres de la secte Moon et les Scientologues, il y a des similitudes entre OneCoin et les sectes messianiques du millénaire, où les gens croient faire partie de quelque chose de grand qui va changer le monde – et peu importe les preuves, il est pour eux très difficile de reconnaître leurs erreurs. Et « Quand la prophétie échoue, ils croient plus fermement », dit-elle. Un mécanisme encore renforcé si l’on y a « investi quelque chose, non seulement de l’argent, mais aussi de la foi, de la réputation, de l’intelligence. L’argent peut pousser les gens à investir, mais le sentiment d’appartenance, de faire quelque chose, d’accomplir quelque chose, est la raison pour laquelle ils restent », précise encore Barker. « Et en ce sens, c’est du culte. »

Ruja aura misé sur des points faibles de notre société et les aura exploités. Elle savait qu’il y aurait assez de gens soit assez désespérés, soit assez avides, soit assez confus pour parier sur le OneCoin. Elle savait aussi que le temps que les gens réalisent qu’elles s’étaient moquées d’eux, elle aurait disparu depuis longtemps avec l’argent.

Où se cache-t-elle ? Des rumeurs, mais peu de certitudes

Selon Igor Alberts, le pivot du MLM, elle aurait des passeports russes et ukrainiens et voyagerait entre la Russie et Dubaï. On suggère également que des gens puissants la protégeraient dans sa Bulgarie natale. Elle s’y cacherait « à la vue de tous » puisqu’elle aurait radicalement changé son apparence grâce à de la chirurgie esthétique. D’autres disent qu’elle pourrait même être à Londres. Certains pensent qu’elle est morte.

Des détectives privés l’auraient identifié à Athènes. Le journaliste de BBC se rendra à un concours de beauté à Bucarest où la dame devait être présente. Ce n’est que plus tard qu’il apprendra qu’elle aurait bel et bien été là. Sauf que métamorphosée par la chirurgie esthétique, il serait passé à côté d’elle sans la voir. On notera que ces deux pistes sont importantes puisque la dame pourrait être extradée de Grèce ou de Roumanie vers les États-Unis.

Le journaliste cherchera aussi sur plusieurs moteurs de recherche spécialisés ses adresses précédentes, ses amis connus, les anciens numéros de téléphone. C’est ainsi qu’il tombe sur la piste de Francfort ou, et c’est aussi une surprise, elle aurait un mari avocat et une fille née en 2016. Si des sources affirment bien qu’elle y passe effectivement beaucoup de temps, il ne parviendra pourtant pas à en avoir la preuve formelle. Malgré des mois d’enquête et des pistes à foison, le journaliste ne pourra donc rien affirmer avec certitude.

Le podcast passionnant en plusieurs épisodes est à écouter sur la BBC. Le long article consacré à ce sujet toujours par la BBC est lui à lire ici.

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