François Fillon, candidat des Républicains à la présidentielle, s'apprête à tenir une conférence de presse, dans son QG de campagne, le 6 février, à Paris. © B. Tessier/Reuters

François Fillon et le bal des faux-culs

Le Vif

En attendant les verdicts de la justice et de l’opinion, le candidat de la droite à la présidentielle veut mater la fronde de ses amis politiques, loyaux face caméra et assassins en privé.

A l’abri des oreilles indiscrètes, deux anciens ministres de François Fillon discutent, ce 29 janvier. Toute la droite française s’est donné rendez-vous à la Villette, à Paris, pour la réunion publique qui doit lancer la campagne de son champion. Eux étaient déjà au meeting de Nicolas Sarkozy à Nîmes, le 18 novembre 2016, à l’avant-veille du premier tour de la primaire de la droite et du centre, parce qu’ils pressentaient que ce serait le dernier dans la vie de l’ancien président.  » C’est bien, on fait aussi le dernier meeting de Fillon !  » glisse – glousse – l’un des deux à son voisin. Qui lui répond :  » C’est dommage qu’on ait raté celui de Juppé.  » La droite se marre, la droite se meurt. En quelques jours, le candidat imbattable est devenu l’homme à abattre par son propre camp. Penelope m’a tuer.  » Si on arrive encore à gérer les militants, notre électorat ne suit plus, note l’un des partisans les plus actifs de… François Fillon. C’est terminé.  »

Au bal des faux-culs, on y danse, on y danse, au bal des faux-culs, on y danse tous en rond. Le 1er février, tous les chapeaux à plume des Républicains (LR) se retrouvent autour de la table pour le comité politique. Ce jour-là, chacun reste encore solidaire. A croire qu’ils se sont passé le bon mot du Québécois Pierre Baillargeon :  » L’arrière-pensée est une chose commune qui ne mérite pas qu’on l’exprime.  » Ils soutiennent un cadavre, ils font mine de soutenir un candidat.

Le 2 février, Le Figaro publie une tribune :  » Pour l’honneur d’un homme et l’avenir de la France « . Le  » soutien est total et (que) rien ne (les arrêtera) « . En même temps qu’ils ont apposé leur nom, ils confient – à l’exception de Bruno Retailleau, le seul à rester entièrement fidèle – que l’affaire est pliée : Fillon doit se retirer.  » La rigueur, la probité, l’exemplarité : c’est son ADN qui est mort, il ne peut plus faire campagne « , explique l’un des signataires.  » La priorité, c’est de réfléchir à la méthode pour désigner son remplaçant « , ajoute un autre. Jamais l’écart entre propos publics et privés n’a été aussi grand.

Penelope et François Fillon avec Gérard Larcher, président du Sénat, et Alain Juppé, le 29 janvier dernier lors du meeting de la Villette, à Paris.
Penelope et François Fillon avec Gérard Larcher, président du Sénat, et Alain Juppé, le 29 janvier dernier lors du meeting de la Villette, à Paris.© E. FEFERBERG/AFP

Certains élus ont d’ailleurs bien ri en lisant Le Figaro :  » Ceux qui ont signé ce texte signeront demain celui qui demandera le retrait de Fillon.  » Mais les parlementaires ont le moral dans les chaussettes. Les agitations du QG les laissent de marbre :  » Ça ne sert à rien de mobiliser les ambulances, sur le terrain, tout le monde est déjà mort.  » Qu’Henri de Castries, le soutien de Fillon, dise à des députés :  » Nous vaincrons ensemble ou nous mourrons ensemble « , et ils reçoivent avec circonspection les conseils de l’ancien patron d’Axa :  » Ah bon ? Il va mourir de quoi, lui ?  »

« Il mutiplie les erreurs de communication »

Et un, et deux, et trois haros. La droite tire tous azimuts sur son champion. Le choix, par François Fillon, de l’avocat Antonin Lévy ? Une erreur, murmure-t-on. La stratégie de défense retenue par François Fillon ? Ni faite ni à faire ! L’évocation de sa mise en examen comme motif de retrait au 20 Heures de TF 1, le 26 janvier, a surpris jusqu’à certains de ses plus proches. Ses réponses  » imprécises « , comme il le concède le 6 février en conférence de presse, se sont transformées en boulets. La communication du candidat ? Le 1er février à 18 heures, Anne Méaux serre la main de François président. François Hollande, bien sûr. La responsable de la com du candidat Fillon assiste à l’Elysée à une cérémonie de remise de décorations et le chef de l’Etat français vient la saluer – ils étaient ensemble à Sciences po. De ce côté-là de la Seine, au moins, elle est épargnée. De l’autre côté, y compris parmi les fillonistes, c’est l’hallali. En interne, elle a diffusé des messages apaisants :  » Plus rien ne va sortir.  » C’est faux. Quelques jours plus tard, France 2 exhume une interview de Penelope Fillon datant de 2007, dans laquelle elle affirme n’avoir jamais été l’assistante de son mari.  » Sarkozy serait déjà monté sur le bureau en hurlant au viol, et cela aurait eu plus de retentissement. Fillon multiplie les erreurs de communication « , regrette l’un de ses proches.

En milieu de semaine dernière, une seule question se pose : qui pour débrancher le candidat ? Tous les regards se tournent vers un homme : Gérard Larcher, le président du Sénat. Il connaît bien François Fillon. Rectificatif : il croyait bien connaître François Fillon. Il a découvert, deux jours avant que le candidat ne le dise à la télévision, que celui qui fut sénateur de la Sarthe avait employé dans  » la maison  » (la Haute Assemblée) deux de ses enfants. Il tombe des nues. Le 30 janvier au matin, Gérard Larcher est dans sa permanence de Rambouillet. Sur le terrain, ça hurle. Les premiers touchés sont les électeurs de la primaire de la droite. Le lendemain, plusieurs sénateurs demandent à le voir en toute urgence. Au Palais du Luxembourg aussi, ça hurle. Il appelle François Fillon pour l’alerter :  » Tu sais, ça ne va pas bien.  » Pour Gérard Larcher, ce n’est plus un problème de légalité, c’est une question de morale. Avec son ami Fillon, l’incompréhension est devenue totale. Il partage cette interrogation d’un sénateur qui lui a téléphoné, affolé :  » Comment a-t-il pu ne pas se préparer à ce genre de choses ?  »

Son ami Gérard Larcher tombe des nues en découvrant qu’il a employé ses enfants au Sénat

Larcher a tranché : il prendra ses responsabilités. Oui, puisqu’il est le seul, à droite, à présider une institution, il va parler à François Fillon, mais ne veut pas que cela se sache. Quand L’Obs, le 3 février au matin, publie l’information, il dément complètement – ou ment à moitié, on ne sait plus très bien. La veille, le directeur de campagne, Patrick Stefanini, a été prévenu d’une demande de rendez-vous du président du Sénat, en même temps que de ses intentions. La rencontre entre les deux  » amis  » se déroule le 3 février en début d’après-midi : Larcher repart en ayant assuré à Fillon qu’il suivrait sa position, quelle qu’elle soit.  » Quelle erreur, lorsqu’on prétend vouloir assumer une telle mission, de ne pas savoir garder le secret « , relève un proche du candidat.

La droite décide donc de renverser Fillon ; quelques jours plus tard, c’est Fillon qui veut renverser la situation. A ce jeu, son camp est sens dessus dessous, sa campagne à l’arrêt. Le candidat choisit de parler, le 6 février. Il présente ses  » excuses  » aux Français et reconnaît avoir été  » destabilisé « . En attendant les verdicts de la justice et de l’opinion, il privilégie la riposte politique à son propre camp :  » Aucune instance n’a la légitimité pour remettre en cause ma candidature.  » Il n’ira pas à l’abattoir. La veille, il a décidé, plutôt que de participer à la réunion de groupe des députés LR, de convoquer les parlementaires le mardi 7 février à son QG. Un responsable national de LR avoue :  » Les députés veulent le destituer. Il ne leur a pas échappé que si la droite est battue dès le premier tour de la présidentielle, elle sera laminée aux législatives.  »

François Baroin, l'un des signataires de la tribune
François Baroin, l’un des signataires de la tribune  » Pour l’honneur d’un homme et l’avenir de la France « , parue le 2 février dans Le Figaro, en soutien à Fillon.© D. MEYER/HANS LUCAS

François Fillon force alors sa nature. Il s’essaie au management. Entre 2007 et 2012, se souvient un ancien ministre, l’hôte de Matignon dézinguait tout son gouvernement ou presque. Quand cela revenait aux oreilles de Nicolas Sarkozy, ce dernier répondait :  » C’est normal, il n’aime personne.  » Cette fois, il répond aux SMS, c’est dire si l’heure est grave. Il remercie les responsables politiques qui plaident sa cause dans les médias, enfin, la plupart d’entre eux.  » J’ai signé la tribune pour le défendre, il n’a même pas salué mon geste « , relève Jean-François Copé. L’ancien président de l’UMP n’a rien oublié des propos de Fillon le jour de sa mise à mort, le 27 mai 2014 :  » Depuis plusieurs semaines, les révélations se succèdent sur l’existence de graves turpitudes financières à l’UMP. L’honneur de notre famille politique est mis en cause. Les militants ont été trompés. […] Comment peut-on se présenter devant les Français tant que toute la lumière n’a pas été faite et les responsables sanctionnés ? Jean-François (Copé), comment avoir confiance ? « , l’avait exécuté Fillon.

C’est un peu l’histoire de l’hôpital qui se moque de la charité : Fillon le brûlé grave sait que Nicolas Sarkozy et Alain Juppé sont ressortis K-O de la primaire, il tente d’en profiter. Le 24 janvier, les révélations du Canard enchaîné sur sa femme commencent à se répandre dans Paris. A l’heure du dîner, on en parle, sans prévoir encore la déflagration. Loin des regards, dans un salon de la questure, à l’Assemblée nationale, Nicolas Sarkozy est invité par ce qui reste de la Chiraquie triomphante : François Baroin, Christian Jacob, Renaud Muselier et Philippe Briand. L’un des présents a lancé la même invitation à Alain Juppé – il attend toujours sa réponse.  » François a son tempérament, j’ai le mien. On va avoir une campagne différente de celle que j’aurais faite, mais il a gagné avec son tempérament « , constate l’ancien président. A cette époque, il pense déjà que François Fillon peut perdre la présidentielle, mais n’en dit guère plus. Le début de campagne a beaucoup surpris les présents, qui scrutent également l’état d’esprit de l’ex-chef de l’Etat :  » Nicolas donne l’impression d’être détendu, mais il reste au courant de tout, il aime ça, raconte l’un d’eux. C’est un drogué, que voulez-vous.  »

Le 24 janvier au soir, l’autre grand blessé de la primaire est aussi de sortie : Alain Juppé partage sa table avec des amis, parmi lesquels Jean-Pierre Raffarin. Pas de canard au menu, il est encore impossible, à cette heure, de mesurer la gravité de la situation. Le maire de Bordeaux commence à peine à aller mieux, après avoir sombré en décembre : la défaite a été d’autant plus douloureuse que cet orgueilleux hors pair ne l’avait pas vu venir.

Silence, on déguste. Dans ses bureaux parisiens de la rue de Miromesnil, les jours suivants, le président retraité se tait. Devant des visiteurs, Nicolas Sarkozy se contente de deux remarques :  » Dans ce genre d’affaire, on peut s’en sortir, mais cela demande beaucoup d’énergie.  »  » Il ne faut jamais se faire passer pour quelqu’un de parfait.  » On a compris l’allusion. Mais personne ne songe à lui pour jouer les recours.

Plan B comme « bazar » ou « Bérézina »

Vous imaginez Juppé entre Macron et Hamon sur un plateau de télévision ? »

A Bordeaux, le maire se tait. Alain Juppé se prend pour François Fillon : il ne répond plus aux SMS de ses plus chauds soutiens. Le 2 février, il s’entretient tout de même en tête à tête à Bordeaux avec Virginie Calmels. Celle qui le représente dans les instances de Les Républicains lui indique qu’il est le seul recours, si Fillon renonce, à condition de fusionner les deux projets déjà proches, en délaissant les aspérités de chacun, l’identité heureuse ou la sécurité sociale. Au moins les électeurs se sentiraient-ils moins floués puisque, à défaut du candidat, le projet qu’ils ont choisi survivrait pour l’essentiel. Jean-François Copé s’active tout autant pour le retour du maire de Bordeaux et mise sur son  » sens du devoir « .  » Remplacer un suspect d’emploi fictif par un condamné pour emploi fictif, c’est audacieux, pointe un ancien ministre sarkozyste. Et vous imaginez Juppé entre Hamon et Macron sur un plateau de télévision ?  » Alors, le finaliste de la primaire martèle que non, il ne bougera pas.

Alain Juppé, finaliste perdant de la primaire de la droite, l'a dit et répété : il ne faut pas compter sur lui pour le plan B.
Alain Juppé, finaliste perdant de la primaire de la droite, l’a dit et répété : il ne faut pas compter sur lui pour le plan B.© T. MORITZ/IP3 PRESS/MAXPPP

A Troyes, le maire se tait. Lui, c’est Baroin, pas Brutus. Il ne veut pas avoir de sang sur les mains. Mais il prépare déjà, dans le plus grand secret, les deux ou trois signes qu’il pourrait adresser à son camp pour adoucir le programme de François Fillon. Ses amis ont fait passer un message à Nicolas Sarkozy qui a mis l’ex-président dans les meilleures dispositions d’esprit : le choix de Baroin, ce serait un peu une victoire de Sarkozy par personne interposée. Vu comme cela… Du coup, ce dernier a laissé entendre qu’il adresserait un signe en faveur de son ancien ministre de l’Economie. Cela ne suffira toutefois pas à convaincre celui qui se veut l’héritier en chef du sarkozysme, Laurent Wauquiez, de se taire. Un saut générationnel pour repartir à la bataille ?  » On a eu Le Maire à la primaire, c’est bon, on a fait le tour de la jeunesse « , prévient Jean-François Copé. François Baroin ?  » C’est une grosse blague, il a une belle voix de fumeur mais ça ne suffit pas. On ne va pas tirer au sort le candidat, il faut arrêter. Je vais m’occuper de lui personnellement.  »

La droite est un camp lézardé, incapable de s’unir autour d’une alternative. La primaire a laissé des traces. Que Gérald Darmanin, qui dirigea la campagne de Nicolas Sarkozy, sèche le petit-déjeuner des sarkozystes après avoir annoncé qu’il viendrait et il se fait fraîchement cueillir par un ami de l’ex-président qui le croise un peu plus tard :  » Tu avais piscine ?  »

Lorsqu’ils avaient établi le règlement de la primaire, les organisateurs s’étaient interrogés : fallait-il envisager ce qui devrait se passer si le vainqueur renonçait ou était empêché ? Faute d’avoir trouvé une solution satisfaisante, ils avaient laissé tomber. Aujourd’hui, le plan B, c’est au mieux le plan  » bazar « , au pire le plan  » Bérézina  » (dixit Fillon). Anne Levade, qui a présidé la haute autorité, a prévenu : organiser un vote des militants prend trois semaines, ce qui signifierait que la droite n’aurait pas de représentant pendant tout ce temps-là. Des responsables du parti ont également souligné que le processus retenu devrait s’étendre aux autres formations de l’opposition, pour que le candidat de substitution ne soit pas seulement estampillé LR.

L’absence d’une alternative a permis à François Fillon de s’acheter un sursis. Quand il l’a vu en tête à tête avant que l’affaire Penelope n’éclate, le fidèle sarkozyste Hortefeux lui a confié :  » Vous avez été, Nicolas et toi, les deux personnes les plus trahies dans la période récente.  » Le vainqueur de la primaire a gagné seul contre tous, ou presque, voyant nombre de ses soutiens l’abandonner au fil des mois.  » N’oubliez pas qu’il est psychorigide « , ajoute l’un de ses amis. Le 29 janvier, Fillon lançait sa campagne ; le 6 février, il entame déjà sa  » nouvelle campagne « . Le persuader de jeter l’éponge ne sera pas chose aisée ; le destituer pas davantage ; le remplacer encore moins. Mais comment réagira l’électorat de droite dans la dernière phase de la campagne ? Lors de la passation des pouvoirs, le 15 mai 2012, dans le secret de leur tête-à-tête, Nicolas Sarkozy avait assuré à François Hollande :  » J’aurais eu quinze jours de plus, je gagnais.  » A quoi le nouveau président avait rétorqué :  » La date était connue de tous…  » C’est encore le cas : le prochain chef de l’Etat français sera élu le 7 mai. C’est même à peu près la seule certitude de cette folle élection.

Pour un statut de l’élu

Lundi 6 février, François Fillon a concédé qu’il avait tardé à prendre conscience des évolutions de la société en matière de transparence. Le voilà qui propose désormais d’accompagner le référendum sur la baisse du nombre des députés et sénateurs, déjà annoncé, de la création d’un statut de l’élu dans lequel seraient définies les conditions d’exercice du mandat. Une vieille promesse. Dans La France peut supporter la vérité (2006), il écrivait déjà : « L’augmentation des moyens de fonctionnement du Parlement risque d’être assez peu populaire […], il convient donc de la lier à une réduction significative des effectifs. » Dans ce livre – qu’il gagnerait à relire -, il ne préconise pas la suppression du poste de Premier ministre, contrairement à ce qu’il a affirmé dans sa conférence de presse !

Par Éric Mandonnet.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire