Le président russe, Vladimir Poutine, compte sur son bras droit sportif, Vitaly Mutko, pour restaurer la grandeur impériale du pays. Grâce au foot. © Alexander Vilf/Belgaimage

Football et politique: en Russie, le côté obscur de la force

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Avant le début de la Coupe du monde de football, Le Vif/L’Express montre, à travers les trente-deux pays qualifiés, combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Premier épisode : comment la Russie veut profiter du Mondial à domicile pour retrouver sa puissance passée. Une sacrée gageure au vu des tourments de ce pays.

Nous avons réchauffé les coeurs et les esprits.  » Ce sont quelques mots lancés pour tenter de rendre la défaite moins amère. Mais le sélectionneur national, Stanislav Cherchesov, n’est pas dupe. La sortie prématurée de la Russie de  » sa  » Coupe des confédérations, le 24 juin dernier, est un fiasco de mauvais augure, à moins d’un an de la Coupe du monde. A Kazan, aux confins du Tatarstan, la Sbornaya ( » équipe nationale  » en russe) a sombré corps et âme. La défaite 1-2 contre le Mexique a non seulement ruiné ses espoirs de qualification, elle a aussi montré toutes les limites d’une équipe vieillissante. Le gardien et capitaine Igor Akinfeev, auteur d’approximations coupables sur les deux buts mexicains, en est la triste illustration. On est loin de la sérénité rassurante de Lev Yachine,  » l’araignée noire « , seul gardien dans l’histoire à avoir reçu le Ballon d’or. C’était en 1963, quand la Russie faisait encore partie de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et remportait des titres européens. Une autre époque.

L’omniprésident Vladimir Poutine ne peut cacher une colère rentrée. Sa Russie ne peut être humiliée de la sorte. La Coupe du monde 2018, la première organisée à l’Est de l’Europe depuis sa création, en 1930, est un test majeur pour restaurer la crédibilité de ce pays, amputé de quatorze de ses républiques au début des années 1990. Sur le plan géopolitique, la désignation de Moscou pour accueillir le Mondial, obtenue de haute lutte lors du congrès de la Fifa, le 10 décembre 2010, notamment face à la candidature conjointe de la Belgique et des Pays-Bas, est un outil de soft power. Une arme diplomatique. En toute logique, ce doit donc être aussi un succès sportif : l’objectif assigné à Stanislav Cherchesov lors de sa nomination, en août 2016, est de hisser la sélection nationale en demi-finale du tournoi l’été prochain, rien de moins, pour contribuer à restaurer cette grandeur passée. La Sbornaya, qui avait obtenu le match nul 3-3 lors d’un match amical face à la Belgique, en mars 2017, doit faire jeu égal avec les grandes nations du ballon rond que sont l’Allemagne, l’Espagne ou le Brésil. En l’état actuel, on est loin du compte : elle est 65e au classement mondial établi par la Fifa.

Politiquement, les hommes de Poutine devront en outre se battre pour adoucir l’image d’une Russie sulfureuse sur les terrains de football comme elle l’est devenue dans les cénacles internationaux. Tant les suspicions et les maux sont nombreux. Racisme : les chants déplacés et autres jets de banane se sont multipliés sur les terrains ces dernières années – 92 faits ont été recensés lors de la saison 2014-2015. C’est le reflet d’une intolérance ordinaire, concrétisée depuis une décennie par de nombreuses agressions d’étrangers dans les villes. Dopage : une enquête a été ouverte par la Fifa, qui soupçonne… toute l’équipe russe d’avoir fait usage de produits interdits lors de la Coupe du monde 2014. C’est le miroir d’une Russie oligarque devenue le royaume de la triche, de la richesse sans vergogne. Hooliganisme : tout le monde a encore en mémoire les batailles de rue entre supporters anglais et russes à Marseille lors de l’Euro français et des hooligans ont déjà promis un  » festival de violence  » lors du Mondial à venir. Voilà l’expression extrémiste d’un nationalisme débridé. Et l’on peut citer encore la répression de l’opposition, l’interventionnisme dénoncé lors de l’élection américaine, la corruption endémique ou la traque des homosexuels en Tchétchénie. Septante ans après la révolution communiste, c’est le Far West à l’Est.

Gardien et capitaine de l'équipe nationale, le gardien Igor Afinkeev, ici dans les cordes face au Mexique en juin dernier, symbolise une équipe peu performante.
Gardien et capitaine de l’équipe nationale, le gardien Igor Afinkeev, ici dans les cordes face au Mexique en juin dernier, symbolise une équipe peu performante.© Maksim Bogodvid/belgaimage

Les hommes du président

 » Il y a une grande volonté de discréditer la Russie, notre sport, tous nos efforts « , grince en retour Vitaly Mutko. Longtemps ministre des Sports, il est devenu vice-Premier ministre et grand organisateur de la Coupe du Monde. Cet homme de 59 ans est l’âme damnée du président russe. Les deux hommes se sont connus dans les années 1990 à la mairie de Saint-Pétersbourg, dans l’administration du maire Anatoli Sobtchak, dont la fille Ksenia s’est présentée annoncer lors des élections présidentielles de mai 2018… contre Poutine. Ensemble, ils ont construit un système de pouvoir qui contrôle tout. Non sans travers : Vitaly Mutko fut le maître d’oeuvre des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, en 2014, et accusé à ce titre d’avoir cautionné le vaste système de dopage, avéré par des commissions d’enquête indépendantes. En conséquence de cela, il fut interdit de siéger à la Fifa. Fin décembre 2017, il a démissionné de son rôle de responsable du comité organisateur du Mondial après avoir été aussi banni à vie par le Comité olympique international. Non sans critiquer les allégations à son encontre et déclarer au passage que le dopage avait lieu « dans tous les pays ».

Il a été remplacé par un personnage plus discret, mais tout aussi influent : Alexeï Sorokin, CEO du comité organisateur de la Coupe, le gendre idéal chargé de parer tous les coups portés à la réputation du pays. Il y a cinq ans, ne défendait-il pourtant pas la législation antigay adoptée pour lutter contre la  » propagande active de l’homosexualité  » ?  » Cette Coupe est une grande chance de pouvoir présenter notre pays sous son meilleur jour « , dit-il aujourd’hui. Tout un programme. Assistera-t-on, l’été prochain, au remake de Soleil trompeur, ce film de Nikita Mikhalkov illustrant la propagande stalinienne faite de ballons rouges dans le ciel et de chants joyeux ?

Comme aux plus beaux jours de la guerre froide, la Russie fait à nouveau peur à l’Ouest. Après la sécession de l’Ossétie et de l’Abkhazie de la Géorgie, puis l’annexion de la Crimée et l’intervention en Ukraine, le président russe ne cache désormais plus sa volonté de récréer une zone d’influence en contestant l’extension de l’Otan. Une intention qui suscite des inquiétudes dans les pays baltes ou en Pologne. Sur les terrains de football, c’est une autre histoire. La fin de l’URSS a complètement chamboulé le championnat russe, provoquant des faillites de clubs, des rachats, des interventions mafieuses et des dollars investis dans des vieilles gloires sur le retour. « Il y a trop de joueurs étrangers chez nous », pestait Vladimir Poutine en juin dernier. Résultat ? L’équipe nationale est faible, trop faible. Le canonnier numéro un chargé de perforer les défenses adverses se nommé Fyodor Smolov et joue au FC Krasnodar. Pas vraiment une terreur. Comme la métaphore d’un pays qui rêve de retrouver sa puissance passée, sans en avoir forcément les capacités.

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