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Faut-il montrer la photo des terroristes?

Le Vif

Nommer les terroristes et montrer leur visage entraîne un phénomène de glorification posthume si pas d’une starification. Les médias seraient la caisse de résonance, les complices malgré eux, de la stratégie de la terreur. Pour éviter cet effet pernicieux, plusieurs médias français, dont Le Monde et BFM-TV, ont décidé de ne plus montrer de clichés d’auteurs d’attentats. Si cette décision est très symbolique, est-elle aussi utile ? Le débat secoue les médias français, mais aussi la presse allemande.

À chaque attentat, les portraits des terroristes fleurissent dans les médias. Leurs visages , souvent souriants, s’affichent en une et sont répétés à l’infini. Jusqu’à l’écoeurement. Ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à demander une anonymisation des terroristes. Une pétition sur ce sujet a déjà récolté plus de 100.000 signatures.

Crise d’introspection

Accusés par certains d’être « l’oxygène du terrorisme » en faisant de terroristes des superstars, les médias français sont en pleine crise d’introspection. Au point, pour certains, de modifier en profondeur leur politique éditoriale.

BFM-TV, la chaîne française d’information en continu, a annoncé le 26 juillet au soir qu’elle ne montrerait plus le visage des auteurs des attentats et ne citerait leur nom qu’avec « une extrême parcimonie ». Selon Hervé Béroud, le directeur de la rédaction de BFM-TV, la chaîne ne veut plus mettre ces gens involontairement en avant « ni les mettre au même niveau que les victimes« . Le lendemain, le journal Le Monde décide lui aussi d’adapter sa ligne éditoriale dans ce sens. Europe 1 embraye dans la foulée, tout comme les chaînes de France Médias Monde (notamment RFI et France 24). Contrairement à Europe 1 qui ne citera même plus les noms des auteurs d’actes terroristes, Le Monde et BFM continueront à nommer les terroristes et à revenir sur leur parcours.

L’anonymisation n’est pas la panacée

« Beaucoup d’actes sont commis par des individus fragiles psychologiquement, et la gloire médiatique est une incitation. Il y a une dimension préventive à limiter leur exposition médiatique », estime le psychanalyste Fethi Benslama, qui soutient cette anonymisation. « La guerre contre le terrorisme est médiatique et psychologique. L’un des ressorts les plus importants chez ceux qui commettent des attentats c’est d’être connu et reconnu publiquement. Ils laissent des indices avant leur mort et fantasment une reconnaissance mondiale », explique-t-il à l’AFP.

Une position partagée par Michael Jetter, chercheur à l’université de Western Australia, spécialisé dans les liens entre terrorisme et médias. Il estime que le niveau de couverture médiatique a un impact sur de tels actes. Etablissant un parallèle avec le traitement des suicides par les médias, le chercheur alerte sur un possible « effet d’imitation ».

Si l’anonymat empêchait les terroristes d’être motivés par une gloire d’autant plus grande que leur crime est sanglant, les avis sur la question n’en sont pas moins partagés. France télévision, par exemple, se place en contre-pied puisque le groupe continue à montrer photos et identité des terroristes. Michel Field, le directeur de l’information trouve que ce genre de posture n’amène rien et trouve au contraire un effet pervers à l’anonymisation des terroristes « Des attentats anonymes, aux auteurs sans noms et sans visages ? Rien de tel pour activer le complotisme ambiant, favoriser l’anxiété sociale qui déjà suspecte les médias de ne pas tout dire ou de vouloir taire la vérité » précise-t-il même dans un communiqué.

A la chaîne de télévision TF1, la directrice générale adjointe à l’information, Catherine Nayl, plaide pour un traitement au « cas par cas » : « Entre le matraquage d’un nom et d’une photo et un élément d’information, il faut choisir une voie médiane », indique-t-elle à l’AFP.

L’Agence France-Presse estime pour sa part que son critère « doit rester la valeur informative d’un texte ou d’une image : en l’espèce, le nom et la photo d’un auteur d’attentat constituent bien une information dont nous ne voulons pas priver nos 5.000 clients dans le monde, qui peuvent ensuite décider ou pas de les utiliser », explique la directrice de l’information, Michèle Léridon. Sur la chaîne TV5 Monde, toutes les photos des auteurs des attentats sont floutées dans les journaux produits par la chaîne.

Le journal Libération dit lui aussi qu’anonymiser les terroristes n’est pas tenable : « Imaginez un papier avec les frères SA et BA, AA, FAM. Et ce même si le débat sur l’utilisation de la photo dans le journal et sur le site de Libération est une discussion permanente depuis l’existence du journal. Publier les photos de terroristes et les glorifier, ce n’est pas la même chose », juge Johan Hufnagel, directeur des éditions de Libération.

Un avis aussi partagé par le journal allemand Die Welt « Connaître un nom, des bribes d’une biographie, mettre des images sur un acte satisfait un besoin humain : l’incompréhensible qui met en échec notre raison doit être rendu saisissable. C’est un premier pas pour digérer les atrocités commises. Ne pas divulguer les informations disponibles sur eux ne revient qu’à nourrir les théories conspirationnistes qui fleurissent un peu partout ».

Par ailleurs des spécialistes du djihadisme relativisent en effet l’importance de ces photos. Ne plus montrer leur visage, ne va pas les empêcher d’agir. Ce qui motive les terroristes n’est pas seulement d’avoir leur visage affiché à la une de tous les médias. Comme le précise David Thomson, journaliste à RFI et spécialiste du djihadisme, dans le journal Libération :  » les jihadistes n’ont pas besoin des médias de masse pour exister. Ils ont leurs propres agences de presse, leurs propres organes de production et de diffusion via Internet. (…) Le processus d’héroïsation se fait lui aussi au sein de la jihadosphère. Elle compte déjà de nombreux héros que le grand public ne connaît pas. Certes, les médias de masse amplifient ce phénomène, mais l’essentiel ne se joue pas là. Ils sont d’abord des héros – positifs – aux yeux des leurs ; à l’extérieur, l’héroïsation se fait de façon négative. »

Les médias se trouvent donc face à un véritable dilemme comme le résume le journal allemand Die Presse : « C’est le travail des médias d’informer, mais nous ne sommes pas obligés de faire paraître les attaquants comme plus grands qu’ils ne le sont. Ni terroristes ni forcenés ne méritent la gloire perverse d’être élevés au rang de monstre. Leurs actes sont trop humains pour cela : lâches et fourbes. »

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