Gaetan Van Goidsenhoven

Faire vivre le multilinguisme au sein de l’Union européenne (carte blanche)

Gaetan Van Goidsenhoven Chef de groupe MR au Sénat

Depuis que le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne a été considéré comme irrémédiable, s’est posée la question du poids de la langue anglaise dans les institutions européennes.

Avec le Brexit, l’immense majorité des anglophones de langue maternelle ont disparu de l’espace européen et plus aucun pays de l’UE ne revendique désormais l’anglais comme langue nationale (en Irlande, l’anglais a le statut de seconde langue officielle après le gaélique irlandais, qui est la langue nationale, et malgré le fait que l’anglais demeure fortement majoritaire dans la vie courante).

L’ensemble de ses locuteurs ne se sont pour autant pas évaporés dans les mêmes proportions.

A l’heure actuelle, deux points de vue peu nuancés s’expriment tour à tour : certains voudraient que l’usage de l’anglais pâtisse massivement du Brexit, souvent au bénéfice du français, actuellement deuxième langue d’usage au sein de l’Union européenne et qui reprendrait le rôle de langue dominante ; tandis que pour d’autres, l’anglais est à ce point puissant au niveau mondial qu’il serait absurde de remettre en cause sa position au niveau européen.

Bref, les opinions varient du tout au rien.

Pourtant, le Brexit ne doit pas nous faire oublier le poids considérable qu’avait la langue française avant 1973 et l’entrée du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. L’influence linguistique du français s’est assez bien maintenue en tant que principale langue procédurale de la Communauté européenne, avant l’élargissement de 1995 qui marqua un net renforcement de l’anglais.

Cette tendance s’accrut encore avec l’élargissement de 2004. Bien que le français soit resté une langue de travail – au même titre que l’anglais et l’allemand -, au sein de la Commission et du Conseil de l’Union européenne, l’usage de l’anglais s’est dans les faits imposé de façon quasi monopolistique. Ainsi, 95 % des documents du Conseil et 84 % de ceux de la Commission sont rédigés en langue anglaise. Pour illustrer ce déclin continu, il faut souligner que moins de 4 % des documents de la Commission sont désormais rédigés en français, contre 40 % en 1997.

Cet unilinguisme à tous les étages des institutions européennes tranche avec l’objectif officiel de multilinguisme de l’UE, qui porte comme devise « L’unité dans la diversité ». Quand on connaît l’influence des langues sur la vision du monde, cette devise semble bien obsolète.

Faut-il au nom de l’histoire et des fondements européens revenir en arrière et prôner avec un brin de nostalgie une Europe de grand-papa francophone et francophile ? Ou, bon élève d’un pragmatisme froid de la mondialisation, prendre acte du triomphe de l’anglo-américain ?

Et si une troisième voie, plus respectueuse des valeurs fondamentales de la diversité européenne et des valeurs actuelles de la francophonie, trouvait dans ce contexte de Brexit un moyen de s’exprimer ? Je parle ici de la promotion d’un multilinguisme renforcé où d’autres langues pourront trouver raisonnablement plus d’espace et de reconnaissance.

Songeons à l’allemand, à l’espagnol, à l’italien… Bref, un rééquilibrage légitime dans une Europe désertée par le Royaume-Uni. Un rééquilibrage favorable au français, mais sans visée de domination et d’écrasement des autres langues et cultures.

Certains esprits chagrins objecteront que le multilinguisme renforcé aura un coût. Certes, mais quelles conséquences aurait, à terme, une Europe incapable d’appréhender positivement une certaine diversité ?

Pareille évolution nécessitera une véritable volonté politique, singulièrement de la France, trop timorée depuis de longues années face au monopole croissant de l’anglais dans les sphères européennes. Outre les nouvelles ambitions affichées par le Président Emmanuel Macron, une déclaration récente laisse naître un espoir : le Secrétaire d’État français en charge de la Francophonie, Jean-Baptiste Lemoyne, déclarait « Nous souhaitons faire de la présidence française de l’Union Européenne un levier pour politiquement porter la Francophonie qui ne sera sinon jamais portée par aucun Etat membre« .

La présidence française débutant le 12 janvier 2022, cette annonce du responsable gouvernemental français trouve un écho tout particulier dans les déclarations du Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles Pierre-Yves Jeholet qui écrivait l’an dernier : « En tant que ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, représentant désormais quelque 4,5 millions de Belges francophones, je considère comme étant une mission majeure, comme un devoir, le fait d’assurer la défense et le rayonnement international de notre langue, en particulier au sein des institutions et des différents États européens« . Il soulignait de même la nécessaire collaboration avec la République française.

Peut-on douter que l’occasion est unique pour oeuvrer à un rééquilibrage des influences linguistiques au sein de l’Union Européenne ? Une « fenêtre d’opportunité » qui ne durera pas face aux habitudes bureaucratiques acquises à une uniformité mondialisée.

Il serait singulièrement dommage qu’à l’heure où le nombre de francophones croît rapidement (singulièrement en Afrique), l’Union Européenne, obligée de se réinventer suite au Brexit, ne tienne aucun compte du besoin légitime de faire vivre le multilinguisme, élément fondateur de l’identité européenne.

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