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Euro 2020: le Portugal, ce « Brésil d’Europe » longtemps discriminé

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Voilà une histoire que les Diables doivent retenir au moment du Black lives matter, face au Portugal: à l’époque du génial Eusebio, le pays véhiculait des clichés coloniaux insupportables de nos jours.

Voilà une histoire que les Diables rouges seraient bien inspirés de garder en mémoire en mettant le genou à terre pour soutenir le Black lives matter, dimanche à 21h, en affontant le Portugal en huitièmes de finale de l’Euro.

C’est celle d’un joueur hors normes, qui a largement contribué aux deux titres européens du Benfica Lisbonne, au début des années 1960. Eusébio da Silva Ferreira, mieux connu sous le seul nom d’Eusebio, jouait comme un félin et était surnommé « la panthère noire ». En équipe nationale, il permettait au « Brésil d’Europe », comme on surnommait déjà le Portugal, de faire plus que de la figuration. Il était originaire du Mozambique, colonie portugaise d’Afrique.

Plus que tout autre joueur, celui que l’on dénommait aussi le « Pelé d’Europe » illustre le double phénomène qui prévalait aux premières heures de la décolonisation. D’une part, ces joueurs noirs étaient stigmatisés ou caricaturés plus souvent qu’à leur tour. D’autre part, ils étaient manipulés par le régime qui les utilisaient sans vergogne pour utiliser leurs vertus sportives à des fins de propagande.

Un paradoxe apparent, seulement: c’était une exploitation cynique de la part du régime dictatorail de Salazar qui promouvait encore un empire colonial multiracial. Par pur intérêt.

« Une cruauté avérée »

« Comme l’a montré Isabel Castro Henriques, auteur d’A Herança Africana em Portugal (L’héritage africain au Portugal), le Noir était presque systématiquement ridiculisé avec une cruauté avérée, aussi bien dans les livres, les images, les quotidiens, les bandes dessinées, la publicité que dans les blagues, soulignait l’hebomadaire portugais Público au moment du décès d’Eusebio, en 2014. Un autre archétype africain, reposant sur une distance qui autorisait les plus grandes mystifications, ne devait apparaître plus concrètement que durant les guerres coloniales, qui firent de l’Africain l’ennemi, le turra (terme d’argot, péjoratif, désignant les combattants indépendantistes). »

Qui précisait: « La dictature de l’Estado Novo avait résolument contribué, dès ses premiers temps, à disséminer un racisme généralisé en l’assortissant même d’une aura scientifique. Expositions et congrès, travaux de recherche en études coloniales et nombreuses publications officielles présentaient un Africain culturellement différent, qui faisait partie intégrante de l’Empire portugais mais y occupait une place à part, comme s’il s’agissait d’un ensemble racial et culturel discordant. »

« Franchement, je n’aimais pas… »

Le joueur lui-même est resté discret au sujet de ce malaise. Tout juste confiait-il ceci au journaliste anglais Keir Radnedge, dans un livre commémoratif des 50 ans de la création de la Coupe d’Europe des clubs: « Franchement, je n’aimais pas trop être surnommé la ‘panthère noire’. Parce qu’il y avait un groupe révolutionnaire violent du même nom aux Etats-Unis. Mais c’était entendu comme un compliment et je n’avais pas d’autre choix que de m’y habituer. » Le mouvement « Black Panther » était précisément… un mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine.

Il faut dire que, malgré lui, le joueur entretenait une relation ambiguë avec la dictature d’Antonio Salazar. « Salazar, dans le même temps où il envoyait au Mozambique des renforts armés pour briser la subversion, se prononça alors au sujet d’Eusebio: pour lui, le joueur appartenait au patrimoine national portugais, écrit Hubert Artus dans un « dictionnaire politique du football ». Salazar mit même son veto à tout transfert du champion vers la Juventus, qui lorgnait alors sur lui. Eusebio accepta (certains disent à son corps défendant) de servir de vitrine acceptable au régime. »

C’était, aussi, le reflet d’une modestie véritable. Au sujet de la comparaison avec Pelé, Eusebio disait: « Je n’aimais pas non plus être appelé le Pelé européen. Je trouvais que cela manquait de respect. Pelé aurait-il apprécié être appelé l’Eusebio américain? »

Avec la démocratisation et le temps qui passe, Eusebio a été reconnu comme il se devait. Et lors d’un match des stars, en 2010, il joua aux côtés de Pelé, comme un clin ‘oeil à l’histoire.

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