James Kennedy © Franky Verdickt

États-Unis : « Même avec le diable comme candidat à la présidentielle, le chrétien évangélique votera républicain »

Depuis quelques mois, la politique américaine emprunte des sentiers inédits. Nos confrères de Knack se sont entretenus avec l’historien américano-néerlandais à propos de religion, du parti républicain et des croix gammées américaines : « Même si le diable est candidat à la présidentielle, le chrétien évangélique votera républicain. »

« Il est clair que Donald Trump est un président de plus en plus isolé. Avec la démission de Steve Bannon il perd son principal conseiller de campagne qui lui a mobilisé une base électorale gigantesque. En plus, il y a toujours l’enquête sur la Russie de Robert Mueller, dont on ignore à quel point elle va toucher personnellement le président. Entre-temps, il ne réussit presque rien. J’estime qu’il est plus probable que Trump démissionne qu’il ne soit destitué. »

Comment expliquez-vous la croissance explosive d' »Alt-right », le nom collectif d’une série de mouvements d’extrême droite ?

James Kennedy : C’est dû en partie au vide idéologique des partis. Le message républicain traditionnel – un état réduit qui laisse le champ libre au marché – ne fonctionne plus. Mais ces dernières années, le parti démocrate a également fait passer un message multiculturel qui a éloigné beaucoup d’électeurs blancs. Trump est le premier président depuis très longtemps à défendre explicitement la population blanche.

Obama a été le premier président a qualifié les violences raciales de non-américaines. Était-ce une erreur ? Les violences raciales sont omniprésentes dans l’histoire américaine.

Je ne pense pas qu’il ait contrarié beaucoup de gens. Ce genre de déclarations sont assez standard pour les présidents américains, ou du moins pour tous les présidents avant Donald Trump. Même les sudistes très conservateurs ne voient pas la violence comme une partie de leur identité.

Avez-vous été étonné par les croix gammées brandies à Charlottesville?

Il y a presque quarante ans qu’ils ont réussi à faire autant de bruit. En 1978, le Nazy Parti a manifesté à Skokie, une banlieue de Chicaco, dans un quartier où vivent beaucoup de juifs. Il y a avait plus de policiers que de manifestants. Cela reste une frange de la droite américaine, mais elle existe bel et bien.

Ces manifestations sont également très antisémites.

L’explication la plus facile, c’est que le Ku Klux Klan et le Nazi Party sont d’abord et avant tout des mouvements antisémites, plus encore que contre les noirs et les migrants. Dans les années vingt, quand le KKK avait des millions de membres, c’était la pierre angulaire de leur idéologie. Aujourd’hui, c’est plus lié à la pensée anti-élite, où l’élite haïe est considérée comme « juive ».

Charlottesville est-elle une victoire pour l’extrême droite ?

Au contraire, beaucoup de groupements de droite se sont éloignés les uns des autres à cause d’elle. Le Ku Klux Klan et le Nazi Party ont récupéré la manifestation, écartant plusieurs groupements moins positionnés à droite qui ne voulaient pas s’associer à eux. En plus, le but de la manifestation est à présent condamné. Les gens qui souhaitent conserver la statue de Robert E. Lee pour des raisons historiques ne peuvent plus défendre leur position sans être involontairement associés aux nazis.

Croyez-vous que la droite puisse s’unifier, comme Unite The Right essaie de le réaliser ?

(Secoue la tête) Il existe toujours une coupure nette entre les groupes Alt-right et les véritables nazis. On voit déjà que les groupements un peu moins à droite essaient de mettre un cordon sanitaire entre eux et le KKK et le Nazi Party. En outre, il y a eu un mort lors d’un acte que l’on pourrait qualifier de terroriste.

Pourquoi a-t-il fallu autant de temps avant que Trump ne condamne les violences?

(sourire) Qui sait ce qui se passe dans sa tête ? Je soupçonne qu’initialement il pensait devoir rester fidèle à sa base. Ensuite, les réactions véhémentes l’ont mis en colère. Plus encore que loyal aux siens, Trump est continuellement en colère contre les gens qui sont contre lui. Il voit des contre-manifestants de gauche, et il part du principe qu’ils sont contre lui.

… et il voit des gens avec des croix gammées, et il part du principe qu’ils lui sont favorables.

Il pense en tout cas que les manifestants aux croix gammées sont plus proches de lui que ces terribles contre-manifestants de gauche qui ont toujours été contre lui.

Quel rôle joue la religion au sein d’Alt-right?

Il y a longtemps que la religion n’est plus la base de l’opposition. Au fond, Alt-right se compose surtout de personnes pas spécialement religieuses. Elles ont une certaine affinité culturelle avec la chrétienté, mais ce n’est plus leur motivation. À l’époque, c’était différent. Dans les années 1920 et 1960, les symboles chrétiens étaient très présents aux manifestations du KKK. Les idées religieuses de Steve Bannon ne sont pas dominantes au sein d’Alt-right. Il estime que la chrétienté mène une sorte de grande lutte idéologique contre l’islam. À ses yeux, l’Europe est irrémédiablement perdue, mais il espère encore sauver l’Amérique. Curieusement, le succès de Breitbart ne s’explique pas par les convictions religieuses de Bannon.

Vous êtes vous-même un croyant pratiquant. Comprenez-vous pourquoi votre état natal l’Iowa a choisi Trump ?

Je peux comprendre, oui. L’Iowa compte pas mal de chrétiens évangélistes qui votent toujours républicain. En outre, pendant sa campagne, Hillary Clinton n’a fait aucun effort pour s’adresser à eux, alors qu’elle était la candidate la plus religieuse des deux. Je pense que beaucoup de croyants ont voté pour Trump parce qu’il choisirait des juges conservateurs pour la Cour suprême.

De nos jours, un président américain peut-il être ouvertement athée ?

Un président américain ne doit pas être nécessairement pratiquant : Ronald Reagan par exemple n’a jamais été très religieux dans ses interventions. Mais je pense qu’un véritable athée n’a aucune chance. En Amérique règne l’idée largement répandue que les croyants sont moralement plus fiables que les athées, même parmi les athées. Cependant, quand on voit Trump, on peut se demander si les Américains imposent encore des exigences morales à leur présidence. Qui sait, Trump fera peut-être en sorte que les agnostiques peuvent également devenir présidents.

Quelles sont les conséquences des événements de Charlottesville pour le parti républicain?

Il est clair que la relation entre Trump et le reste du parti recule. Les sénateurs républicains tels que Bob Corker ou John McCain mettent les compétences de leur propre président en doute : c’est inédit.

Mais ils continuent à soutenir joyeusement ses propositions de loi.

Je dois décevoir ceux qui s’attendent à ce que les républicains finissent par lancer l’impeachment contre Trump. Il en faudra beaucoup plus. Trump a encore pas mal de partisans. Et le parti craint aussi qu’un impeachment porte trop atteinte à son image et que les démocrates profitent d’une telle crise constitutionnelle. Beaucoup de membres républicains du congrès et de sénateurs considèrent aussi que puisque les Américains ont élu Trump, il faut honorer leur vote.

Estimez-vous possible que le parti laisse tomber Trump?

Il ne va pas le laisser tomber, mais il est clair que Trump est une mauvaise chose pour le parti. La plupart des républicains ne croient plus que Trump puisse encore réussir quelque chose. Ils espèrent plus ou moins le retenir et limiter les dégâts.

Trump peut-il provoquer l’effondrement du parti républicain?

Je ne le pense pas, mais je m’attends à ce que les désaccords internes entre ceux qui voient encore quelque chose en Trump et ses détracteurs ne feront que grandir. Globalement, Trump et les républicains partagent les mêmes convictions. Tous les républicains veulent se débarrasser d’Obamacare, par exemple, mais il n’y a pas de consensus sur une alternative. Il y a trop peu d’unanimité au sein du parti républicain pour faire de la politique.

Pourtant, les démocrates ne semblent pas réussir à exploiter le parcours désastreux de Trump.

Le parti démocrate traverse une crise d’identité inédite. Le sentiment anti-Trump ne suffit pas à reprendre le pouvoir. Le parti ne sait comment se profiler : comme économiquement de gauche, ou comme un parti multiculturel.

Vous êtes particulièrement pessimiste sur l’état des deux partis.

Tant le parti démocrate que républicain sont en faillite. Ils sont à ce point enchaînés à leurs groupes de pression qu’ils ne sont plus capables de se renouveler. Leur dépendance financière et électorale aux grandes entreprises et – chez les démocrates – les syndicats de l’enseignement -les cloue idéologiquement et financièrement. Du coup, il est pratiquement impossible de coopérer avec l’autre parti ou de défendre des perspectives qui pourraient nuire à tous ces groupes de pression. Ce sont deux monstres idéologiquement visés qui s’en veulent à mort, mais qui continuent à déterminer le paysage politique.

Peut-on encore les sauver?

Je ne pense pas. La seule chose qui peut les sauver, c’est un troisième parti qui trouve une voie médiane. Une espèce de Macron américain qui pourrait faire bouger les autres partis, même si sans membres du Congrès il paraît presque impossible pour un third party candidate de faire de la politique. Au fond, il faut espérer un troisième ou quatrième parti crédible assez fort pour faire bouger les partis traditionnels, sans les faire imploser. Je pense que c’est la seule façon de briser l’impasse politique.

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