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Et François Bayrou redevint tendance

Le Vif

Le centriste a aidé le vainqueur à un moment crucial de sa campagne, devenant ainsi un personnage clé de ce début de mandat. Qui l’eût cru ?

Pendant l’hiver, François Bayrou coule. Magie du printemps, François Bayrou roucoule. Encalminé dans les sondages, il retrouve ses ailes. Il ne veut pas être le pigeon de l’histoire, mais on le prend rarement pour une tourterelle. Autant dire que la renaissance d’un homme qui fêtera ses 66 ans le 25 mai n’avait rien d’une évidence, au moment où un président de 39 ans est élu sur l’air de la rénovation et de la modernisation. Emmanuel Macron n’avait pas 10 ans, déjà le Béarnais perçait au Parlement.

François Bayrou est d’un autre temps, d’une autre génération. Celle qui cultivait le secret. Quand il fait la connaissance d’Emmanuel Macron, en juillet 2016, et que l’existence du dîner fuite immédiatement dans Le Figaro, il envoie un SMS furibard à son convive d’un soir. Lui, comme Stendhal, aime ces pays où l’on a besoin d’ombre, car il est plutôt du genre cachottier. Quelques heures avant les révélations du Canard enchaîné, le 24 janvier dernier, il discute en tête à tête avec François Fillon.  » Sans rien négocier. Pour constater nos divergences « , jure-t-il.  » Il voulait un groupe parlementaire « , conteste le candidat LR.

Depuis l’automne 2016, le maire de Pau a réussi une curieuse performance. Il ne se présente pas à la primaire de la droite et du centre, et pourtant on ne parle que de lui. Ce n’est pas que la compétition manque de candidats, ils sont sept, mais, quand ils se retrouvent un jour pour débattre à la télévision, un nom surgit : celui de Bayrou. En février, il renonce à l’élection présidentielle, et c’est tout juste si on ne le voit pas plus que lorsqu’il était lui-même candidat. Trop, beaucoup trop, estiment certains amis d’Emmanuel Macron. Ils n’ont déjà pas digéré le meeting de Pau, le 12 avril, en présence du candidat et du local de l’étape.  » On se serait cru à un meeting du MoDem, cingle l’un d’eux. Des militants centristes étaient venus de toute la France pour squatter les trois premiers rangs.  » Il y a quelques mois, Richard Ferrand, le secrétaire général d’En marche !, qui joue volontiers les cerbères du renouvellement, confiait :  » Bayrou est dans la charrette de ceux dont les Français ne veulent plus.  » Le 23 avril, à 20 heures, des proches d’Emmanuel Macron s’étranglent en zappant : sur TF 1, Bayrou ; sur France 2, Bayrou.  » Le problème, c’est qu’il s’est mis d’accord directement avec les chaînes, maugrée un député d’En marche ! Franchement, pour parler à l’électorat de droite, je ne suis pas sûr qu’il soit le mieux placé.  »

Entre Marielle de Sarnez, son bras droit, et Brigitte Macron, le 17 mars dernier.
Entre Marielle de Sarnez, son bras droit, et Brigitte Macron, le 17 mars dernier.© F. NASCIMBENI/AFP

Longtemps critiqué à gauche, souvent détesté à droite, François Bayrou n’a pas de raisons d’être célébré par En marche ! Il n’a cure de ces commentaires, il construit un dialogue direct avec Emmanuel Macron. Le 9 avril, accompagné de la députée européenne Marielle de Sarnez, vice-présidente du MoDem, il dîne à la Rotonde avec le candidat et son épouse. Le temps est frisquet à Paris, mais, puisque les Macron veulent une table dehors, va pour l’extérieur. Le Pyrénéen ne va tout de même pas avouer qu’il a froid. Frileux, lui ? Jamais. Qu’il soit gourmand, le futur président n’a pas besoin de ce repas pour s’en apercevoir. Le centriste veut son groupe à l’Assemblée (ce qui permettra de faire revivre, y compris financièrement, cette sensibilité) et sait qu’il sera représenté au gouvernement. Ce n’est pas un hasard si, sur les photos du candidat avec sa garde rapprochée, au soir du premier tour, s’est glissée Marielle de Sarnez.

François Bayrou se garde d’avancer ses propres prétentions. Il assure que le ministère de la Justice ne l’intéresse pas une seconde – la moralisation de la vie publique, qui fera l’objet d’un projet de loi immédiat, doit dépendre, selon lui, de Matignon, tiens, tiens. Voir son nom dans la liste des Premiers ministrables n’est pas une souffrance insupportable. En ces jours de pleine recomposition, il cherche surtout à convaincre Emmanuel Macron de bâtir une majorité qui repose sur deux jambes, avec un pôle issu d’En marche ! et un pôle centriste, plutôt que d’avancer uniquement avec une grande fédération, plus propice, selon lui, aux guerres internes. S’il peut éviter de croiser le fantôme de Jean-Louis Borloo, il ne s’en portera pas plus mal.

L’histoire dira si le rapprochement avec Macron relève du coup de génie ou du malentendu

L’histoire dira si le rapprochement – l' » alliance « , a insisté Bayrou, qui connaît la valeur des mots – relève du coup de génie ou du malentendu.  » François a commis une vraie erreur psychologique, pointe un fidèle de Macron. Il a trop souvent répété à Emmanuel que celui-ci avait progressé de 6 ou 7 points dans les intentions de vote grâce à lui. On ne montre jamais à un futur président qu’il va être élu grâce à votre apport !  » Prudence, donc.  » Le propos de Macron sur le costume (« Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler »), c’est la phrase la plus à droite qu’on puisse imaginer « , lâchait Bayrou pendant l’été 2016, quand il n’assimilait pas l’ex-banquier de Rothschild à un nouveau Strauss-Kahn. Méfiance, donc. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, il est certain que la pensée unique du ministre de l’Economie n’habite pas Emmanuel Macron. Dans la vie privée de celui qui a épousé une femme de vingt-quatre années plus âgée que lui, il voit la preuve de sa capacité à transgresser.

Pour un peu, il deviendrait carrément un intermédiaire entre François Hollande et Emmanuel Macron. Alors que l’ex et le futur ne se parlent pas entre les deux tours, après leur échange téléphonique du dimanche, le ministre de l’Education de François Mitterrand et de Jacques Chirac garde le contact avec celui qui s’apprête à quitter l’Elysée. Ils vont jusqu’à évoquer ensemble le calendrier pour la cérémonie d’investiture. A défaut d’être jamais chef de l’Etat, François Bayrou participe ainsi à l’histoire des présidents. Au casino des illusions perdues, il rencontre parfois Manuel Valls, lequel reconnaît humblement :  » Macron a joué, il a gagné.  » Pas eux deux.

François Bayrou n’a plus l’âge de lancer des paris insensés, seulement celui d’avoir des souvenirs. Il lui arrive de penser à Valéry Giscard d’Estaing.  » Ça doit être dur pour lui que soit élu à la tête de l’Etat un homme plus jeune « , relève-t-il devant un ami. La remarque n’a rien d’anodine, d’autant qu’il la complète :  » Même s’il m’a toujours dit qu’il avait été élu trop jeune.  » Quand il est entré à l’Elysée, VGE avait neuf ans de plus que Macron.

Par Eric Mandonnet.

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