Hadja Lahbib

Et à part ça? Une berceuse pour les enfants d’Afghanistan par Hadja Lahbib (chronique)

Hadja Lahbib Journaliste et réalisatrice

Hadja Lahbib, journaliste à la RTBF et réalisatrice de documentaires, rejoint l’équipe du Vif avec une nouvelle chronique, « Et à part ça? », qui fait le lien entre la Belgique et le monde. Trosiième étape: l’Afghanistan.

Et à part ça? Soudain, mon coeur s’est emballé, mes jambes ont fait demi-tour sans que je le leur demande et je me suis retrouvée dans une boutique de la place Meiser à Bruxelles. La vitrine était surmontée d’un néon qui criait en rouge puis en vert « Night and Day ». A l’intérieur, un couple d’un certain âge, le regard concentré sur un smartphone. J’entre plus avant dans l’échoppe et me rapproche instinctivement de l’objet de ma convoitise. Un baffle posé sur un tabouret d’où s’écoule une mélodie qui me rentre littéralement dans la peau. J’avais envie de le prendre dans les bras et de me laisser aller là où il m’emmenait, il y a une quinzaine d’années, au coeur de l’Afghanistan, dans les montagnes de Bâmiyân. Cette même mélodie s’échappait d’une des cavités creusées le long de la paroi rocheuse à jamais orpheline de ses bouddhas. Des cellules de méditation du Ve siècle, au temps où Bâmiyân était un important centre bouddhiste et qui abritent aujourd’hui les plus pauvres parmi les pauvres.

Lalo lalo, ce qu’entreprennent les mu0026#xE9;chants ne mu0026#xE8;ne jamais u0026#xE0; rien. Dors car tout ceci prendra fin.

Je revois la scène, presque biblique. Une jeune fille, un châle noué à la taille et un foulard lâchement posé sur de longues tresses rousses, berce un enfant sur sa jambe repliée. Dans sa voix, quelque chose de mouillé, des paroles simples que mon persan basique me permettait de comprendre. « Lalo, dors enfant afghan, dors. Dors enfant sans remèdes ni soin, dors. Dors, toi qui marches pieds nus, à travers champs et déserts… Lalo lalo. » Elle s’appelait Leïli et, au printemps précédent, elle avait profité de la fête de Nouroz, le Nouvel An perse, pour fuir avec son amoureux, comme cela se fait couramment en Afghanistan. Les jeunes hommes enlèvent leur bien-aimée à la tombée de la nuit, parfois avec la complicité des parents qui, devant le fait accompli, ne peuvent que « laver la honte » par un mariage rapide et sans dot exorbitante. Un jour, le ventre de Leïli s’est arrondi et le couple n’a trouvé d’autre refuge que cette grotte où l’on devinait derrière la suie noire le bleu lapis-lazuli de fresques inestimables. « Lalo… Et même si tes rêves sont des cauchemars. Mon petit que rien ne couvre. Si tu sors de ces malheurs et devient quelqu’un d’important… Lalo lalo… »

Regard oblique derrière le comptoir. Je me lance: « C’est la radio? Un CD qu’on entend? » L’homme me montre son smartphone et me dit « Mahwash ». Je découvre le visage de la première femme à avoir obtenu le titre d’Ustad en Afghanistan, la plus honorable des distinctions. Farida Mahwash s’est réfugiée en Californie d’où elle fait rayonner dans ses albums les ghazals afghans et poèmes d’amour séculiers. Dehors, le ciel commence à rougir, je n’ai pas envie de partir. Le vieux couple amusé par mon persan me propose un tchaï Sia, un thé noir. Que sont devenus Leïli et son enfant? Les dépêches d’agence ne parlent que d’attentats à Kaboul ou à Herat, des négociations en cours avec les talibans pour la formation d’un gouvernement, du retrait des troupes américaines. On voudrait sortir de ce bourbier, vingt ans après la guerre menée pour chasser les mêmes talibans du pouvoir. « Lalo… Mon enfant si l’on te confie une armée. Ou la tâche de diriger ce peuple. Sois juste envers les tiens. Sois patient… Lalo lalo, ce qu’entreprennent les méchants ne mène jamais à rien. Dors car tout ceci prendra fin. »

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