Hadja Lahbib

Et à part ça, Hadja Lahbib? Marie-José vous attend à 16 heures (chronique)

Hadja Lahbib Journaliste et réalisatrice

Un demi-siècle plus tard, c’est le Darfour qui vient à elle.

Et à part ça? C’est l’hiver, un ciel bleu vif éclaire les vitrines de luxe où apparaît, en ombre chinoise, le reflet des surfeurs qui dévalent pieds nus vers la mer. Leur grande planche à bout de bras, ils avancent comme des albatros qu’un vent méchant aurait estropiés d’une aile avant de se transformer, une fois sur la lame des vagues, en dieux de l’azur. Que voient-ils, ces funambules libérés de la pesanteur? Goûtent-ils la vie comme jamais, pris dans les tourbillons et les ressacs salés, entendent-ils battre le monde? Depuis les balcons du casino de Biarritz, des curieux ne se lassent pas du spectacle, eux aussi sont venus prendre le pouls de la Terre, Biarritz accueille au coeur de l’hiver le Fipadoc, le festival international de documentaires, et c’est la vie entière qui défile sur écran noir.

Ce matin-là, nous sommes dans l’appartement parisien d’une presque centenaire ; Marie-José n’a pourtant pas une minute à elle. Elle passe d’une étagère à l’autre, prend une carte, cherche un livre, un document. Le téléphone sonne et elle répond de sa voix rassurante à Abderahman qu’elle l’attend à 16 heures. Entre les années 1960 et 1970, Marie-José Tubiana a sillonné l’ouest du Soudan. La région du Darfour est alors une terre paisible. La jeune ethnologue y débarque sans prévenir dans les villages où elle est accueillie selon les règles sacrées de l’hospitalité. De longs mois durant, elle observe les différentes ethnies, immortalise les rituels, les danses, les cérémonies de mariage avec son appareil photo et sa caméra 16 millimètres. Imaginait-elle alors que ces documents pourraient sauver des vies?

Un demi-siècle plus tard, c’est le Darfour qui vient à elle. Des réfugiés qui fuient un véritable génocide et dont la demande a été rejetée, sollicitent son aide. Elle qui sait d’où ils viennent, qui peut retrouver trace, sur ses vieilles cartes, des villages disparus, rasés par la guerre. Elle qui sait, malgré la pudeur et la honte des victimes, recueillir les détails sordides qui rendront la vérité palpable aux yeux des fonctionnaires. En dix ans, Marie-José a aidé plus de trois cents réfugiés du Darfour à obtenir l’asile en France. Parfois, fatiguée, elle se dit qu’elle devrait arrêter, mais la guerre civile, qui ravage la région depuis vingt ans, s’est accentuée avec le coup d’Etat du général al-Burhane, en octobre dernier. Les dépêches font état de morts tous les jours. Ils sont plus de trois millions à vivre dans des camps de réfugiés où l’insécurité menace autant que la famine…

En 2021, vingt-quatre de ces réfugiés ont pu être accueillis sur le sol belge. Une goutte d’eau dans les rouleaux de l’océan. Projeté en avant-première à Biarritz, Marie-José vous attend à 16 heures a obtenu le prix du meilleur documentaire national. Son auteur et réalisateur, Camille Ponsin, ne s’y attendait pas. Ce qu’il espère, c’est que sa diffusion donnera envie à des ethnologues de reprendre le flambeau de Marie-José.

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