« Erasmus n’est pas un luxe mais une nécessité »

Stagiaire Le Vif

30 milliards d’euros. C’est la somme que l’Union européenne vient d’allouer à ses programmes Erasmus+ et au Corps européen de Solidarité. Un investissement justifié selon le Bureau international jeunesse, pour qui « la mobilité internationale chez les jeunes n’est pas un luxe ».

« Les retombées de la mobilité internationale sont importantes en termes d’autonomie et d’estime de soi ». En plein coeur de la semaine européenne de la Jeunesse et du Corps européen de solidarité, le Bureau international jeunesse (BIJ) a organisé une conférence pour présenter ses nouveaux programmes de mobilité internationale, « outils essentiels de la politique européenne en matière de jeunesse ». Laurence Hermand, directrice du BIJ appuie le fait que ces voyages à l’étranger ne sont pas un luxe, mais une nécessité. « Ils représentent un apprentissage et une transmission de compétences et devraient être accessibles à tous ».

Plus qu’un luxe, une nécessité

Monter son projet, préparer son voyage, dépasser ses peurs et ses appréhensions, se valoriser à l’étranger… Les programmes Erasmus et Erasmus + seraient tout, sauf des vacances. Pour rappel, contrairement à l’Erasmus historique, Erasmus + offre la possibilité aux étudiants de partir en dehors de l’Europe et donne la possibilité aux jeunes diplômés de partir l’année suivant l’obtention du diplôme.

« La préparation à la mobilité donne une autre dimension à l’expérience car les jeunes en sont les acteurs, c’est le début de la construction de leur identité sociale » indique Geoffrey Pleyers, professeur et maître de recherche à l’UC Louvain. D’après son étude mobilité réalisée avec Margot Achard, assistante de recherche à l’UC Louvain, la participation aux programmes Erasmus et Erasmus + formerait à la vie démocratique, complèterait l’apprentissage scolaire et apporterait des compétences essentielles sur le marché du travail. Des apprentissages essentiels à la vie professionnelle et au développement personnel, selon les deux chercheurs.

Savoir travailler en équipe, prendre des initiatives personnelles, apprendre une langue étrangère, apprendre à déléguer et à respecter ses responsabilités… L’avantage du côté pratique de ces programmes est pointé du doigt par la majorité des participants à l’étude. Toutes ces compétences ont un impact sur le plan professionnel dès l’embauche. En plus de favoriser l’apprentissage ou l’amélioration de la maîtrise d’une langue étrangère, les mobilités internationales facilitent l’entrée des jeunes participants sur le marché du travail et leur permettent une première immersion dans la vie active. Lignes en or à ajouter au CV, ces expériences sont aussi l’opportunité de reprendre confiance en soi pour mieux s’orienter ensuite, ajoute George Pleyel.

u003cemu003eLes programme de mobilité sont une plus-value et un savoiru003c/emu003eu003cemu003e-u003c/emu003eu003cemu003eêtre qui n’est pas enseigné et appris pendant le cursus scolaire et académiqueu003c/emu003e

Les mobilités ont des impacts à moyen et long terme, insiste Margot Achard, « il est essentiel que tous les jeunes aient accès à ce genre de projet ». Considérés comme un luxe et une opportunité, ces voyages sont surtout « nécessaires » insistent les conférenciers. Mais sont-ils accessibles à tous ?

Des bourses mises à disposition

Anne Demeuter, responsable de la gestion des programmes européens au BIJ promet une nouvelle programmation, plus inclusive et mettant en avant la diversité. Elle espère promouvoir des programmes davantage ouverts aux personnes d’âges, d’origines et de catégories sociales variées. De 2018 à 2020 les programmes du Corps européen de solidarité financés par le BIJ ont aidé 499 volontaires, dont 40% de jeunes avec moins d’opportunités. « Nous voulons accroitre l’accès aux personnes avec des difficultés, en situation de handicap et aux migrants » confie la responsable. Pour cela : de nouveaux formats et des financements additionnels à destination des jeunes. Ce soutien financier plus conséquent couvrira les frais liés au voyage du participant, aux transports locaux, à sa nourriture, à son logement, à son visa et lui assurerait un peu d’argent de poche.

« Avoir un soutien économique était ce qui me manquait pour partir » confie Diego, parti a Barcelone grâce au BIJ.

Un soutien financier insuffisant

Les étudiants, les jeunes diplômés et les jeunes déjà bien insérés dans la société sont plus faciles à atteindre par les campagnes de communication. Le BIJ regrette ce constat et insiste sur la nécessité d’une approche différenciée et spécifique pour inclure également les jeunes avec moins d’opportunités.

Les jeunes les plus favorisés sont en général les plus attirés pas ces programmes d’échanges, accessible pour eux. Les moins aisés, eux, font face à une série de freins : le financement, le manque d’accès à la formation et la gestion des démarches administratives. Même s’il existe des aides de financement, cela ne suffit pas, « ils se disent que ce n’est pas pour eux, que ce sont des expériences réservées aux jeunes plus insérés, plus aisés », déplore Margot Achard.

u003cemu003eLes campagnes de communications ne ciblent pas tous les jeunes… u003c/emu003e

Ce problème d’auto-exclusion ne concerne pas qu’Erasmus et Erasmus +. « Ces jeunes sont très peu représentés dans les enquêtes réalisées sur ces programmes de mobilités » élargit Geoffrey Pleyers. Avec ce nouveau programme, le BIJ souhaite insister sur l’importance de la mise en place de politiques et de pratiques proactives, « il ne faut pas attendre que les jeunes viennent d’eux-mêmes ». Pour les jeunes avec moins d’opportunités, les deux chercheurs encouragent les échanges « in-country » et les programmes tels que « jump » ou « Mini mob », dans le but de les orienter ultérieurement vers une mobilité internationale. Ils soulignent en outre l’importance de l’implication des jeunes dans la mise en place du projet auprès des maisons de jeunes et des organismes d’envoi. « À la fin, il y a une certaine valorisation, on est fier de nous et c’est ça qui fait qu’on est contents de faire des projets. […] Là j’ai fait un projet, c’est moi qui l’ai fait avec mes amis, avec la maison de jeunes ! », confie Nora, 20 ans.

Faire confiance aux partenaires locaux

« On entend souvent que tous les outils pour réussir sont à disposition des jeunes, qui n’y prêtent pas assez d’intérêt », pointe du doigt Geoffrey Pleyers. Pourtant, selon le professeur le problème se trouve dans le fait que ces outils ne sont pas adaptés à leur réalité, « tout à l’air d’être là, mais en réalité ce n’est pas pour eux ». Il insiste sur l’importance de mettre en place des programmes différents et adaptés à tous les profils. Margot Achard est claire, l’inégalité matérielle d’accès à ces programmes est accentuée par une distance sociale. Beaucoup de ces jeunes défavorisés assument une responsabilité financière envers leur famille. « Ils vont considérer ces programmes de mobilité comme une expérience qui va les empêcher de travailler » explique Margot Achard. D’où l’importance de cette nouvelle offre de programmes complémentaires, plus courts (deux semaines) et plus flexibles.

Les étudiants en master « savent que la mobilité est quelque choses qu’ils peuvent faire, les autres ne vont même pas chercher sur internet comment partir » explique la chercheuse. Pour pallier ce manque, les nouveaux programmes espèrent créer des liens avec les partenaires locaux, acteurs du quotidien des nouveaux jeunes à atteindre. Maisons de jeunes ou compagnons bâtisseurs, grâce à ces structures, la possibilité de partir à l’étranger pourra être transmise à ceux qui ne le savent que trop peu et d’accentuer leur accompagnement.

u003cemu003eNous souhaitons que plus de jeunes se sentent concernés, donc les atteindre via des choses qu’ils connaissentu003c/emu003e

Apporter l’information à ces « nouveaux jeunes » via des lieux familiers permettrait aussi de rassurer leur famille, parfois réticente à l’idée de laisser partir leur enfant à l’étranger. Pour Margot Achard, le fait que le jeune soit contacté par le lieu dans lequel il s’investit depuis plusieurs années met en confiance ses parents. « Ils connaissent les animateurs, l’équipe, les valeurs » et seront plus sereins à l’idée d’un éventuel voyage.

Thibault Lezy est membre de l’Association des Compagnons Bâtisseurs. En 2018, il a réalisé l’illustration parfaite de cette alliance entre structure locale et programme de mobilité. L’objectif du programme était la transmission de valeurs démocratiques, l’insertion et l’apprentissage. Résident belges et français, tous droit sortis de l’école de la seconde chance ou demandeurs d’asile, les profils ciblés par ce projet bilatéral France/Belgique sont ceux que souhaitent atteindre le BIJ dans le cadre du programme du 2021/2027. Le Bureau s’était investi dans ce projet dans le cadre du Corps Européen de Solidarité pour accompagner des demandeurs d’asile dans leur recherche de volontariat. Pour les jeunes défavorisés, ces expériences sont à la fois un « laboratoire et un tremplin » conclut Thibault Lezy.

Erasmus, l’argument européen

Le ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles Pierre-Yves Jeholet se dit « heureux » des avancées réalisées dans le secteur de la mobilité. Il rappelle qu’Erasmus est l’une « des plus grandes réussites européennes », avec plus de 10 millions de jeunes partis depuis 1987. Que cela soit pour des enjeux climatiques, économiques ou sociaux, « nous avons besoin des jeunes et cela passe par la qualité de l’éducation et l’apprentissage », insiste le ministre.

u003cemu003eLa jeunesse est l’avenir de notre sociétéu003c/emu003e

Pour le ministre, ce type d' »initiatives remarquables », de projets concrets, réconcilie « les concitoyens avec la cause européenne « indispensable et trop décriée ». La solidarité et le respect de l’autre font partie d’une série de valeurs mises en application lors de mobilité, « dans un monde déboussolée par la montée des extrémismes, des populismes, de l’intolérance grandissante et de l’individualisme exacerbé » appuie Pierre-Yves Jeholet. Que cela soit au niveau fédéral ou régional, l’investissement dans ces programmes serait alors complètement justifié.

Anaelle Lucina.

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