Matteo Salvini, de la populiste Ligue : un des deux acteurs incontournables du big bang politique en Italie. © BELGAIMAGE

En Italie, la Ligue ne perd pas le nord

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’ex-Lega Nord a dû renoncer à son credo régionaliste pour devenir le principal parti de droite. Mais de là à former un gouvernement… Le très sudiste Mouvement 5 étoiles, vainqueur des législatives, y aspire aussi.

Avec le Mouvement 5 Etoiles (32,68 %), la Ligue (17,37 %) est le principal vainqueur des élections législatives italiennes du 4 mars. Le parti de Matteo Salvini a créé la surprise en s’imposant comme la première composante de la coalition de droite (37 %, 260 sièges à la Chambre) devançant Forza Italia (14,01 %), l’extrême droite de Fratelli d’Italia (4,35 %) et le centre-droit de Nous avec l’Italie (1,30 %). Un bouleversement politique qui fait dire à Luca Tomini, professeur en sciences politiques au Centre d’étude de la vie politique de l’ULB, que  » Silvio Berlusconi a perdu le leadership de la droite « . Pour un ténor dont on annonçait le grand retour sur la scène politique même s’il était inéligible, les lendemains risquent de cruellement déchanter.

Deux candidats formateurs

Luigi Di Maio, leader du Mouvement 5 étoiles devenu le premier parti d’Italie avec 221 élus à la Chambre, et Matteo Salvini, dirigeant de la formation dominante de la coalition arrivée en tête du scrutin, revendiquent de pouvoir former le prochain gouvernement. Pour l’un comme pour l’autre, le chemin vers la constitution d’une alliance de gouvernement majoritaire s’annonce tortueux. Ce sera au président de la République Sergio Mattarella, issu de la Démocratie chrétienne, de désigner un formateur. Il est fondé à le choisir dans l’un ou l’autre des deux partis. Sa décision n’est pas attendue avant la rentrée de la Chambre et du Sénat. L’élection des présidents des deux assemblées, le 23 mars, pourrait fournir une indication des futures alliances.

En vertu d’un accord pré-électoral, la coalition que Silvio Berlusconi situait au centre-droit mais que les discours de campagne, notamment sur l’immigration, rapprochaient plus de la droite radicale, devrait se donner un Premier ministre issu de la Ligue. Avec quel impact pour la Péninsule et pour l’Europe ? La Lega a évolué depuis sa reprise en main par Matteo Salvini, en décembre 2013.  » Il a hérité d’une Ligue du Nord, à l’époque, qui avait obtenu un peu plus de 4 % des voix aux élections parlementaires de février 2013, rappelle Luca Tomini. La Ligue d’aujourd’hui frôle les 18 %, forte de bons résultats dans le centre de l’Italie.  » C’est dans cette expansion vers le sud que se situe la principale mutation du parti fondé par Umberto Bossi.  » D’une formation régionaliste, la Ligue est devenue, sous l’impulsion de Matteo Salvini, un parti national, eurosceptique et antimigrants, qui a atténué son image de grand défenseur de la partie septentrionale de l’Italie « , analyse le professeur de l’ULB.  » La Ligue du Nord […] était un parti régionaliste proeuropéen, hostile aux méridionaux, fustigeant  » Rome la voleuse « , rappelait récemment le politologue Marc Lazar dans une interview au Figaro. Elle exprimait la volonté d’une partie des habitants du nord de la Péninsule de ne plus  » payer pour le sud  » et d’obtenir plus d’autonomie voire, pour certains exaltés, d’arracher l’indépendance.  » Dans l’esprit de ses dirigeants, les étrangers et les migrants ont remplacé les Italiens du sud.

Luigi Di Maio, du parti antisystème Mouvement 5 étoiles : un des deux acteurs incontournables du big bang politique en Italie.
Luigi Di Maio, du parti antisystème Mouvement 5 étoiles : un des deux acteurs incontournables du big bang politique en Italie.© CARLO HERMANN/BELGAIMAGE

Proche du Front national

Matteo Salvini a renoncé à la stratégie régionale pour se profiler comme un Front national version Marine Le Pen : antieuropéen, souverainiste, contre l’immigration et l’islam. Appartient-il pour autant à l’extrême droite européenne ? Luca Tomini ne le pense pas. Notamment parce que la Ligue est un parti de gouvernement. Elle a déjà participé à des coalitions avec Forza Italia. Elle dirige des régions comme la Vénétie et la Lombardie.  » La Ligue n’est pas un mouvement complètement antisystème « , argumente le chercheur.

Spécialistes français de l’extrême droite en Europe, Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg classent la Lega dans la catégorie des  » partis populistes néolibéraux « , au même titre que le Parti de la liberté autrichien (FPÖ, au pouvoir à Vienne avec le Parti conservateur) ou l’Union démocratique du centre en Suisse.  » Les mouvements des pays de la zone alpine, analysent Camus et Lebourg dans Les Droites extrêmes en Europe (Seuil, 2015), ont une physionomie relativement proche : souhait du démantèlement de l’Etat-providence et de dérégulation de l’ensemble de l’économie ; méfiance envers le libre-échange globalisé au nom de l’intérêt national ; opposition à certaines formes de supranationalité, particulièrement à l’Europe fédérale, mais sans hostilité à une potentielle Europe des régions ; défense d’une conception ethnodifférentialiste de l’identité nationale ; rejet de l’immigration ; mise en avant d’une particularité de la Mitteleuropa ignorée de l’Union européenne « .  » Ces formations […] contestent les méthodes de gouvernement de la social-démocratie et celles d’une droite libérale ralliée plus ou moins largement à l’Etat-providence, mais acceptent sans réserves le jeu politique et institutionnel démocratique « , décryptent encore les deux spécialistes.

Délicate coalition

Ce cadre démocratique implique, dans le paysage politique éclaté de l’Italie de 2018, de nouer des alliances pour aspirer à l’exercice du pouvoir. Faute de majorité de droite, l’hypothèse la moins improbable pour l’éventuel formateur issu de la Ligue est une grande  » coalition antisystème  » avec le Mouvement 5 étoiles et sans Forza Italia, estime Luca Tomini. Mais cette perspective est loin d’être acquise parce que les programmes des deux formations sont peu compatibles et parce que, le Mouvement 5 étoiles ayant trusté les succès dans le sud, ses élus risquent d’avoir des réticences à s’allier avec un parti qui, malgré son évolution, reste marqué comme défenseur de l’Italie prospère du nord. Dans l’immédiat après-élections, les dirigeants du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue ont exclu de gouverner ensemble…

L’autre option envisageable à ce stade pour le spécialiste de l’ULB réunirait le Mouvement 5 étoiles et le Parti démocrate, débarrassé de Matteo Renzi forcé à la démission de la tête de la formation social-démocrate. Lui a promis une cure d’opposition. Son successeur emboîtera-t-il le pas ? Le scénario d’une participation du Mouvement 5 étoiles devrait en toutes hypothèses dépasser la réticence naturelle d’un parti antisystème à se lancer dans une expérience de gouvernement pour le moins périlleuse au vu de la situation économique de la Péninsule, des contraintes européennes et d’une pression migratoire persistante et subie dans l’indifférence des partenaires de l’Union. Mais l’imbroglio politique est tel en Italie qu’aucune surprise n’est à exclure.

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