Le Premier ministre, Narendra Modi, mène le pays vers une forme de démocratie "illibérale" et "ethnique". © A. ABIDI/REUTERS

En Inde, il y a « tous les ingrédients du national-populisme »

Le Vif

Après sa convaincante victoire aux législatives, Narendra Modi est reconduit Premier ministre pour cinq ans. Décryptage avec Christophe Jaffrelot, auteur de L’Inde de Modi (*).

Comment analysez-vous la nette victoire du Parti du peuple indien (BJP) aux législatives ?

Ces élections sont le reflet de l’évolution de l’Inde vers une forme de démocratie qui présente deux caractéristiques majeures. D’abord, elle est  » illibérale « , dans la mesure où la campagne électorale a été largement biaisée. La commission électorale a laissé le Premier ministre, Narendra Modi, et le président du BJP, Amit Shah, enfreindre les règles de conduite morale, au point que la Cour suprême a dû la rappeler à l’ordre ! Les médias ont, aussi, été beaucoup plus durs et critiques avec l’opposition qu’avec le parti au pouvoir. Il n’y a pas eu de débats entre les candidats, et Modi n’a pas donné une seule conférence de presse. De fait, les médias ont été mis au pas en Inde ; ils sont souvent détenus par des industriels qui ont besoin d’autorisations gouvernementales pour opérer.

Ensuite, cette démocratie est  » ethnique « , dans la mesure où la majorité hindoue jouit seule de la démocratie, tandis que les minorités deviennent des citoyens de seconde zone. On le voit, par exemple, au travers de la sous-représentation des musulmans dans les institutions. Ils sont pratiquement absents des rangs de la police et de l’armée. Cette fois encore, ils seront moins de 5 % au Parlement, alors qu’ils représentent 15 % de la population.

Peut-on parler de « populisme safran », la couleur des nationalistes hindous ?

On a en effet tous les ingrédients du national- populisme. Déjà, dans la façon dont un leader se proclame représentant du peuple, face à des élites et à un establishment incarné par la dynastie Nehru-Gandhi, accusée de monopoliser le pouvoir depuis des décennies. Les populistes mobilisent ensuite en agitant deux émotions : la peur de l’autre, qu’il s’agisse des migrants ou des musulmans (Pakistanais, notamment), et la colère. Ceux qui n’ont pas de travail trouvent ainsi dans la haine un exutoire.

La victoire du BJP doit beaucoup au charisme de Modi. Le mouvement pourra-t-il lui survivre ?

C’est la question que beaucoup de gens se posent au sein du parti. Modi a 70 ans. Que sera l’après-Modi ? C’est toute la fragilité de ces populismes : comment surmonter la disparition d’un leader charismatique ? Une nuance, toutefois : le rayonnement de Modi s’accompagne d’un art consommé du marketing politique. L’argent a aussi coulé à flots : ces élections sont les plus chères de l’histoire. Elles auraient coûté sept milliards de dollars. A la différence de leaders qui ont créé leur propre parti, Modi est issu d’un mouvement nationaliste hindou très structuré, qui a un siècle d’existence. Si le leader venait à disparaître, le parti ne s’effondrerait pas comme un château de cartes, mais il n’obtiendrait sans doute pas ces résultats spectaculaires.

Peut-il y avoir des regains de tension entre hindouistes et musulmans ?

On peut craindre deux choses. D’abord, que les nationalistes hindous se sentent tellement forts qu’ils multiplient les violences envers les minorités. Ensuite, que la jeunesse musulmane, qui a déjà fait le dos rond pendant cinq ans, finisse par réagir. Des manifestations ont déjà eu lieu au Cachemire, seule province à majorité musulmane.

Par Charles Haquet.

(*) L’Inde de Modi, par Christophe Jaffrelot, Fayard, 352 p.

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