A la rentrée de septembre, le président des Républicains devra se consacrer davantage à son parti... sans délaisser sa région, où se joue sa crédibilité en termes d'action. © E. Gaillard/Reuters

En France, le passage en force de Laurent Wauquiez

Le Vif

Le président des Républicains privilégie la manière forte pour diriger le premier parti de la droite française. Au risque d’accroître son isolement.

Qui est Laurent Wauquiez ? L’essayiste britannique David Goodhart fait sa connaissance lors d’un rendez-vous organisé à la demande du président des Républicains. Le fondateur du magazine mensuel Prospect réfléchit depuis déjà plusieurs années à la bonne façon de vivre ensemble dans nos sociétés multiculturelles et s’interroge sur les nouveaux clivages créés par la mondialisation. L’un de ses livres, The Road to Somewhere, a été remarqué par l’équipe du président de LR. Aussi la rencontre se passe-t-elle parfaitement. Un homme impressionnant, vraiment brillant, maîtrisant bien l’anglais, constate Goodhart. Qui peinera à comprendre que son interlocuteur est souvent jugé cynique en France. Le premier de l’agrégation d’histoire, le major de l’Ecole nationale d’administration (ENA) a résolument adopté une ligne anti-intellectuelle depuis quelques années, ce qui ne l’aide pas à combattre le sentiment d’inauthenticité.  » Laurent est construit comme ça, il peut citer un peintre inconnu au bataillon et dans la minute suivante parler de Casimir, note l’un de ses fidèles. Ses sms pleins de fautes d’orthographe et de syntaxe surprennent aussi de la part d’un normalien.  »

Virginie Calmels, la vice-présidente des Républicains, écartée pour divergences de vue avec son autoritaire patron, Laurent Wauquiez.
Virginie Calmels, la vice-présidente des Républicains, écartée pour divergences de vue avec son autoritaire patron, Laurent Wauquiez.© NICOLAS TUCAT/belgaimage

« Il n’est pas brutal, il est directif »

Combien y a-t-il donc de Laurent Wauquiez ? François-Xavier Bellamy a beau être agrégé de philosophie, il a appris à compter. Celui qui fut le plus jeune adjoint au maire d’une grande ville de France (Versailles) et dont l’ouvrage Les Déshérités ou l’urgence de transmettre a été en son temps salué par la critique a d’abord été courtisé par l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy. Dîners, échanges : entre talents, on se comprend, on se séduit. Lorsque Wauquiez cherche, pour son shadow cabinet, une personnalité à mettre face à ce ministre de l’Education qui plaît tant à la droite, Jean-Michel Blanquer, Bellamy pourrait se révéler un choix malin… sauf que ce dernier décline. Quand il est en colère, le brillant physicien Bruce Banner, alias  » Hulk « , devient tout vert. Wauquiez aussi – vert de rage.  » Condescendant « ,  » violent « , le patron de LR agonit d’injures par sms François-Xavier Bellamy.  » Il n’est pas brutal, il est directif « , tente de corriger un collaborateur. En tout cas, il n’aime pas qu’on lui dise non.

Il n’aime pas davantage qu’on lui cherche noise. Le 17 juin, Laurent Wauquiez a téléphoné à Nicolas Sarkozy au moment où était annoncé le limogeage de la vice-présidente libérale des Républicains Virginie Calmels, simplement pour l’en informer. Le lendemain, un propos de l’ancien chef de l’Etat, en déplacement à Port-Leucate, commence à tourner en boucle sur les chaînes d’info :  » Sans le rassemblement, rien n’est possible.  » Signe d’une certaine fébrilité, le président de LR passe en toute discrétion un coup de fil à Sarkozy : il voudrait bien être soutenu plutôt que rappelé à l’ordre par l’ex-grand manitou de la droite. Qui le rassure : le propos ne s’adresserait pas à lui, d’ailleurs il va le faire préciser. Les temps changent : il y a peu (au début de l’année), le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes ne harcelait pas vraiment au téléphone Sarkozy, qui moquait volontiers son attitude, très distante à son égard :  » J’arrive plus facilement à joindre Macron que lui !  »

Sa stratégie conduit à une forme d’isolement

Depuis le premier jour, Wauquiez assume de ne pas présider le parti comme l’avait fait Sarkozy. La différence entre les deux ?  » Quand on disait à Nicolas : « Ce type est très bon », il répondait : « Si c’est le meilleur, qu’il le prouve. » Laurent, lui, le tue immédiatement « , raconte un élu.

A chacun sa méthode.  » Diriger un parti, ce n’est pas faire la diplomatie des contraires, souligne son entourage. LR n’est pas une confédération.  » Mais dans un mouvement déjà fracturé par la primaire, puis déprimé par la défaite, enfin menacé par la nomination de l’un des siens à Matignon, la démarche clivante adoptée par son chef attise les tensions.  » Laurent Wauquiez a la compétence, l’autorité, l’assise locale pour être le leader, mais sa stratégie conduit à une forme d’isolement « , relève Eric Woerth. Le président Les Républicains de la commission des Finances à l’Assemblée aurait souhaité un rappel à l’ordre quand le deuxième vice-président, Guillaume Peltier, a prôné une hausse du smic. Or Laurent Wauquiez n’a guère haussé le ton. Dans une interview à Sud Ouest, le 22 juin, il se contente de dire :  » Guillaume Peltier a raison d’ouvrir le débat sur le pouvoir d’achat.  » A l’intéressé, il indique simplement en privé qu’il ne lui semble pas opportun de nourrir ce débat maintenant, dans la foulée de l’exclusion de Virginie Calmels la libérale. La ligne économique de LR est déjà suffisamment compliquée à suivre. Officiellement, elle n’a pas encore été arbitrée.

Pour un peu, Laurent Wauquiez s’inspirerait plus d’Emmanuel Macron que de Nicolas Sarkozy, même si le président de LR utilise WhatsApp pour discuter avec ses fidèles quand le chef de l’Etat français privilégie Telegram.  » Dans les deux cas, c’est l’observation des prédécesseurs qui a guidé leur réflexion « , acquiesce un proche. Pas plus que le président Macron, il ne redoute l’exercice solitaire du pouvoir.  » Au fond, dit un élu qui le soutient, il n’accorde sa confiance qu’à deux personnes, sa femme et son collaborateur Arnaud Beuron.  » Un de ses interlocuteurs réguliers observe :  » Sa stratégie est très pensée, mais il ne la partage pas.  » Les instances sont là pour amuser la galerie, les réunions pour respecter un minimum les formes. Les fuites y sont régulières, il ne s’y dit donc rien d’important. Les vrais échanges ont lieu en cercles plus restreints, composés en fonction de la fiabilité des participants. Il partage avec Emmanuel Macron un même goût du secret, qu’avait pointé le quotidien L’Opinion (26 février). Sa base militante lui reproche parfois une trop grande discrétion médiatique, lui privilégie une parole rare, pour espérer qu’elle soit forte. Après un silence prolongé au printemps, il participe en quarante-huit heures à deux émissions, le 20 Heures de France 2 et la matinale de RTL – dans la foulée du président, qui a lui aussi effectué un doublé médiatique la semaine précédente.

L’essentiel est de rester indéboulonnable

A la rentrée, il se réorganisera, après avoir été trop souvent dans sa vaste région, pas assez à Paris. Du coup, il ne rappelle pas toujours les gens, lesquels, vexés, se répandent en propos venimeux sur son compte, et c’est le serpent qui se mord la queue. Son emploi du temps va être un peu rééquilibré pour lui permettre de se consacrer davantage au parti, sans pour autant délaisser la région : là-bas se jouent une part de sa crédibilité en termes d’action en même temps que son sort électoral – les prochaines régionales ont lieu un an avant la présidentielle. Auparavant, ce sont les européennes de 2019 qui constituent le piège le plus redoutable.  » Tu as encore cette séquence très dure à passer ; après, c’est fini, tu seras comme le timbre sur l’enveloppe, on ne pourra plus t’enlever « , l’a encouragé l’ancien ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux. Wauquiez s’emploie donc à verrouiller et à étouffer la concurrence. Le bureau politique ressemble à un théâtre d’ombres. S’il doit se prononcer au lendemain d’une défaite électorale, Wauquiez ne risquera ni insolation ni isolement.  » Laurent sait être précautionneux « , dit un dirigeant.

Pour un peu, Wauquiez s’inspirerait plus de Macron que de Sarkozy

L’essentiel est de rester indéboulonnable.  » Pour des raisons financières, un candidat non investi par un parti ne peut plus se présenter à la présidentielle aujourd’hui, sauf Emmanuel Macron, qui avait un réseau particulier pour lever des fonds « , pointe un conseiller, qui ajoute :  » La question n’est pas celle du talent de Valérie Pécresse et de Xavier Bertrand, c’est celle de l’offre politique. Il veut rendre crédible et audible son offre, en préemptant les sujets de demain.  » Témoin de cette stratégie, la phrase de Wauquiez dans le Journal du dimanche :  » Le talon d’Achille de Macron, ce n’est pas ce qu’il fait ; c’est tout ce qu’il ne fait pas.  » Plus tard, il tentera de nouer un lien avec les Français. Si le moment n’est pas venu de fendre l’armure, iI a néanmoins évoqué pour la première fois sa grand-mère et son fils, dans son discours de Menton, le 30 juin. Parfois, derrière le masque percent les blessures.  » Tu as vu tout ce que je ramasse « , a-t-il confié récemment à un ami.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire