Elle parvient à réunir plus de 20 000 personnes à Washington Square Park, au coeur de New York, le 16 septembre. © D. ANGERER/GETTY IMAGES NORTH/AFP

Elizabeth Warren, l’obstinée: qui est vraiment la favorite des primaires démocrates?

Le Vif

Favorite des démocrates, la sénatrice, du genre têtu, pourrait devenir la première présidente de l’histoire. Mais elle doit gommer son image de technocrate de la côte Est.

Pas facile de faire taire Elizabeth Warren. Le président du Sénat, Mitch McConnell, en sait quelque chose. Au début de la présidence Trump, le 7 février 2017, celui-ci tente d’interrompre à plusieurs reprises la sénatrice du Massachusetts alors qu’à la tribune elle s’exprime, depuis plus de vingt minutes, contre la nomination d’un républicain au poste de procureur. Mais, sans se démonter, Elizabeth Warren poursuit son argumentation… jusqu’à ce qu’on lui coupe le micro.

A la fin de la séance, Mitch McConnell se justifie devant les caméras :  » Elle a été avertie. On lui a donné une explication. Nevertheless, she persisted (néanmoins, elle a persisté).  » En quelques heures, cette dernière phrase du chef de la majorité au Sénat devient virale. Quelques mois avant  » l’affaire #MeToo « , la voilà le symbole de la domination masculine en politique, et Elizabeth Warren, l’incarnation de la résistance féministe.  » She persisted  » se transforme en slogan, en marque de fabrique. Qui résume son caractère opiniâtre et son parcours de vie.

Deux ans plus tard, la phrase s’affiche sur les tee-shirts et les pancartes brandies par ses supporteurs. Partie de très bas dans les sondages, l’ancienne professeure de droit à Harvard est aujourd’hui la favorite des primaires démocrates. Voilà peu, la sénatrice a dépassé l’ancien vice-président Joe Biden (empêtré dans ses affaires ukrainiennes) et le sénateur du Vermont, Bernie Sanders (récemment victime d’une crise cardiaque). Si la tendance se confirme, c’est elle qui affrontera Donald Trump dans un an. Avec un espoir : réussir là où Hillary Clinton a échoué en 2016, c’est-à-dire entrer dans l’histoire en devenant la première femme présidente des Etats-Unis.

Sa trajectoire hors norme débute au cours de son adolescence, dans l’Oklahoma, où elle est née. Elève sérieuse et précoce,  » Liz  » règne sur le club de débat et remporte, à 16 ans, le prix de la  » meilleure débatteuse des lycées  » de cet Etat situé au nord du Texas, riche en pétrole et connu pour son paysage de grandes plaines.  » Pédagogue, elle a du talent pour résumer des idées complexes et les expliquer clairement, raconte sa biographe, Antonia Felix, auteure d’ Elizabeth Warren, Her Fight, Her Work, Her Life (sa lutte, son travail, sa vie, non traduit). Ce don lui a servi toute sa vie. « 

Autre atout : la démocrate connaît l’Amérique  » d’en bas  » et les difficultés de l’existence. Elevée dans un milieu modeste avec trois frères, passée par l’université publique, elle obtient son doctorat de droit en suivant des cours du soir. Après son divorce d’avec son premier mari, Jim Warren, en 1978, elle élève seule ses deux enfants, tout en entamant sa carrière dans le monde universitaire.  » Elle est très terre à terre, résume Antonia Felix. Beaucoup lui collent une image stéréotypée de riche professeure d’une fac privilégiée, Harvard, mais ils n’ont pas idée de son parcours réel. Elle n’a pas étudié à Harvard, elle a seulement été embauchée par Harvard. Nuance.  »

C’est ce poste, obtenu en 1995, dans l’université la plus prestigieuse du pays, ainsi que sa connaissance du système bancaire et ses études sur les faillites qui propulsent Warren au firmament du monde académique.  » Elle n’était pas seulement professeure de droit à Harvard, insiste sa biographe, elle comptait aussi parmi les trois principaux experts du pays en matière de faillite et de législation commerciale. Avant d’entrer en politique, Warren faisait déjà figure de star dans le monde intellectuel.  »

En 2008, c’est la consécration. En pleine crise financière, Barack Obama l’appelle à la Maison-Blanche. Elle invente et elle met en place le Bureau américain de protection des consommateurs. Ce qui lui vaut, en 2010, d’être consacrée en Une du magazine Time comme l’un des  » nouveaux shérifs de Wall Street « . Cependant, les républicains, qui la trouvent trop dure à l’égard du milieu financier, bloquent sa nomination à la tête de cette nouvelle institution. Loin de se démonter, la persévérante universitaire décide alors de se lancer en politique. C’est le meilleur moyen, pense-t-elle, de changer le système de l’intérieur. Aussitôt dit, aussitôt fait. Dès 2012, la voici élue sénatrice du Massachusetts, elle devient rapidement une figure centrale de la vie politique. Au point que, en 2016, Hillary Clinton envisage, un temps, de la choisir comme vice-présidente sur son  » ticket  » présidentiel.

 » Comme Barack Obama, elle a parcouru tout le pays très tôt « , note Antonia Felix, biographe de la sénatrice.© B. SNYDER/REUTERS

Classée à gauche

Désormais en tête des sondages, l’ancienne prof de Harvard, âgée de 70 ans, devient la cible de son propre camp. La semaine dernière, lors du débat télévisé entre démocrates, ses rivaux pour les primaires l’ont attaquée sans ménagement. Début octobre, le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, assure de son côté que son entreprise  » devra aller au front  » si celle qui a promis de briser le monopole des géants de la Silicon Valley devient présidente. Et plusieurs grands donateurs de Wall Street ont menacé le Parti démocrate de stopper tout financement de ses candidats à des élections locales si elle devient la prétendante du parti, en juillet prochain.  » C’est fascinant à observer, sourit Antonia Felix. Il est normal qu’elle provoque ce genre de réactions, puisqu’elle promet de diriger le pays sans s’appuyer sur les 1 % les plus riches.  »

Au contraire, la candidate déroule son programme ancré à gauche. Elle promet d’atteindre 100 % d’énergie propre d’ici à 2030, entend se débarrasser des assurances santé privées dès le début de sa présidence et souhaite même créer un nouvel impôt sur la fortune des ultrariches (voir l’encadré). Son programme empiète parfois sur celui du socialiste Bernie Sanders, au point que, le 12 octobre, ce dernier s’est senti obligé de rappeler ce qui, selon lui, les différencie :  » Warren est une capitaliste jusqu’à l’os, moi non.  » Quoi qu’il en soit, leurs positions sont suffisamment proches pour qu’Elizabeth Warren hérite des électeurs et des soutiens de Bernie Sanders – dont la très populaire New-Yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez – si ce dernier, qui est âgé de 78 ans, venait à abandonner la course en raison de sa santé fragile. Des soutiens qui seraient les bienvenus car, pour l’instant, Warren fait cavalier seul.

En attendant, les meetings de  » Liz  » font le plein.  » Sa campagne me rappelle la première de Barack Obama, en 2007, note Antonia Felix. Comme lui, elle a parcouru tout le pays très tôt, mis en place une infrastructure de campagne solide et posé les bases d’un système de financement fondé sur les petites donations.  » C’est ainsi que, le 16 septembre, elle parvient à mobiliser plus de 20 000 personnes au coeur de Manhattan, à New York, lors d’un meeting à Washington Square Park. Une affluence plus importante que prévu et seulement comparable aux foules que Donald Trump attire actuellement à travers les Etats-Unis. Ce dernier l’a d’ailleurs remarqué, pour aussitôt qualifier ce chiffre de  » bidon « . Ce soir-là, parmi les gens, se trouve Marilyn Fitzgerald, une retraitée de 72 ans venue de l’Etat de Virginie, qui résume l’attraction exercée par Warren :  » Son message est très clair, et elle représente tout ce en quoi je crois, depuis la fin des prisons privées jusqu’à l’effacement des dettes étudiantes. Elle avance, elle insiste et elle ne laisse personne la rabaisser. Elle est notre meilleure chance de victoire.  »

Plus loin, Ed Silver, qui enseigne les questions religieuses à l’université, est là avec sa fille Rebecca, 8 ans.  » A son âge, le seul président qu’elle connaît, c’est Donald Trump, dit ce New-Yorkais, donc je veux lui montrer que la politique n’est pas qu’une affaire de pouvoir, c’est avant tout améliorer les choses pour l’ensemble des Américains.  » Après chaque meeting, Elizabeth Warren se consacre à de longues séances de selfies . Ses supporteurs publient ensuite son image sur les réseaux sociaux.  » C’est l’une des stratégies centrales de sa campagne, commente sa biographe. Elle doit prendre le temps de créer du lien pour montrer qu’elle est proche des gens.  »

Pour la candidate, il s’agit de contrer l’idée selon laquelle elle serait trop académique, trop froide, pas assez  » aimable « , incapable de s’adresser aux mineurs de l’Utah. Bref, trop  » élite de la côte Est « . Certains démocrates craignent que le scénario Hillary Clinton ne se répète en 2020. Des craintes démesurées, selon Kathleen Dolan, professeure à l’université du Wisconsin, à Milwaukee, et spécialiste des femmes en politique :  » Clinton était une candidate bien différente car, avec son passé de First Lady et de secrétaire d’Etat, presque tout le monde avait déjà une opinion sur elle. Elizabeth Warren, elle, est une candidate bien plus classique, en ce sens que les gens ne la connaissaient pas très bien. Elle peut donc encore leur montrer qui elle est.  »

Suffisant pour remporter la primaire démocrate ? Peut-être. Mais il y a une question subsidiaire : les Etats-Unis sont-ils prêts à élire une présidente classée à gauche ? Croisée lors d’une manifestation anti-Trump, à Minneapolis, Leina Holte, une avocate de 41 ans, répond :  » C’est terrible à dire, mais, avec des personnes comme elle en face de lui, Trump va faire un second mandat. Ce pays ne votera jamais pour des socialistes. Moi-même, je ne voterai jamais pour un candidat socialiste.  »

 » L’affaire  » de ses origines cherokees constitue une autre faiblesse. A l’époque où elle enseignait à Harvard, l’administration l’avait, avec son accord, enregistrée comme  » amérindienne « , afin d’améliorer ses statistiques sur la diversité. Des racines qu’elle a toujours revendiquées, mais qui ne sautent pas aux yeux et, surtout, qui remontent au moins à six, et peut-être même à dix générations, selon un test ADN effectué en 2018. Sur le mode ironique, Donald Trump l’a surnommée  » Pocahontas  » pour mieux mettre en doute son honnêteté. Et des chefs de tribu amérindiens, de leur côté, s’indignent de  » l’appropriation culturelle  » opérée par Warren, qui, dans cette affaire, se retrouve perdante sur tous les tableaux. Ce qui l’a obligée à présenter des excuses.

Mais il en faut davantage pour déstabiliser la sénatrice, qui chasse sur les terres électorales du président. Comme Trump, elle affirme se battre  » au côté du peuple  » contre un système  » truqué  » et  » corrompu « .  » C’est une vraie populiste « , décrypte sa biographe, Antonia Felix. En 2016, Trump l’a emporté grâce à son image de champion de la classe ouvrière. Aujourd’hui, Elizabeth Warren porte exactement le même message. Mais il lui reste à convaincre une partie des électeurs trumpistes qu’ils peuvent lui faire confiance. Voilà pourquoi elle passe autant de temps dans le Midwest en s’affichant avec des gens issus du peuple.  » Dans un pays où le poison de la division sépare jusqu’aux membres d’une même famille, la partie est loin d’être gagnée.  » Mais une chose est sûre : Elizabeth Warren est tenace. Et elle  » va persister « .

Par Corentin Pennarguear.

L’impôt qui effraie les ultrariches

Pour financer son programme social, Elizabeth Warren promet de créer un impôt sur la fortune visant, non pas les riches, mais les ultrariches. Il s’agit d’une taxe annuelle de 2 % sur les fortunes au-delà de 50 millions de dollars et de 3 % au-delà de 1 milliard. La sénatrice, qui s’appuie sur les travaux de deux économistes de Berkeley, a calculé qu’avec cet effort de 0,1 % de la population, le gouvernement récoltera 2 750 milliards de dollars supplémentaires en dix ans.  » Je demande simplement aux 75 000 ménages les plus fortunés de payer leur juste part, explique la candidate. Cela permettra de réduire la concentration des richesses et, en même temps, d’accélérer les investissements nécessaires à notre classe moyenne.  » A l’exception de Bernie Sanders, tous les autres candidats démocrates ont rejeté cet impôt sur la fortune, qu’ils qualifient de  » trop radical « . A droite, on y voit une nouvelle preuve du caractère  » socialiste  » d’Elizabeth Warren, voire une mesure  » stalinienne  » ou  » chaviste « , comme l’a écrit, en janvier dernier, la revue conservatrice National Review. Sans craindre l’exagération.

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