Les partisans de Martin Fayulu chantent et dansent à Kinshasa lors du lancement de la campagne de l'opposant, candidat de la coalition Lamuka, le 21 novembre dernier. © JOHN WESSELS/BELGAIMAGE

Elections en RDC: droit dans le mur?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Qui pour succéder à Joseph Kabila à la tête de la RDC? Le processus électoral doit aboutir le 23 décembre. Mais les soupçons de fraude planifiée font planer le spectre de contestations et de troubles.

Scène ordinaire à Kinshasa: un minibus surchargé de passagers et dont les freins ne sont plus qu’un lointain souvenir zigzague à vive allure sur une artère défoncée. A tout moment, il menace de finir sa course dans un véhicule en stationnement ou un étal de fortune… Le processus électoral congolais en cours est à l’image de ce périlleux slalom. « Personne ne sait où va le Congo, alors que se profilent des élections non transparentes qui ont tout d’une vaste mascarade », déplore le politologue Bob Kabamba, professeur à l’université de Liège. « Les violences s’invitent dans la campagne, les partisans de l’opposition et du pouvoir se sont affrontés ces derniers jours, et le rendez-vous électoral est à haut risque », s’inquiète un diplomate européen en poste dans la capitale congolaise. « Les dés sont pipés, assure un homme d’affaires belge actif à Kinshasa: le régime est en mesure de contrer les aspirations au changement grâce à l’armée et à l’argent, nerf de la guerre. »

Après deux ans de report des élections et de crise politique, l’enjeu du triple scrutin – présidentiel, national et provincial- prévu en principe le 23 décembre est historique: pays-continent de plus de 85 millions d’habitants, la RDC est appelée à connaître sa première transmission pacifique du pouvoir depuis l’indépendance de 1960. Sauf que les conditions financières, logistiques et sécuritaires dans lesquelles sont organisées les élections hypothèquent cet espoir et font planer le spectre de contestations postélectorales et de troubles. Au pouvoir depuis dix-huit ans, Joseph Kabila, dont le mandat a officiellement pris fin en décembre 2016 et qui a renoncé sous les pressions occidentale et africaine – angolaise, sud-africaine… – à briguer un troisième mandat, cédera-t-il sa place début janvier 2019? « Rien n’indique à ce jour que le président et son entourage se préparent à quitter leurs fonctions et résidences officielles, relève Bob Kabamba. Par ailleurs, si les soldats ne sont plus payés, le pays pourrait vite sombrer dans le chaos et un coup d’Etat militaire serait alors à redouter. »

Les militants de l'UDPS et de l'UNC acclament Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe,
Les militants de l’UDPS et de l’UNC acclament Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, « ticket » de la coalition Cap pour le changement, lors de leur arrivée à Kinshasa, le 27 novembre dernier.© JOHN WESSELS/BELGAIMAGE

Machine à voter ou à tricher?

Les doutes ne cessent de refaire surface sur la tenue effective des élections. Certes, Corneille Nangaa, président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), martèle que le calendrier sera respecté. Aucune raison, selon lui, ne justifie un nouveau report. Il assure que le matériel de vote sera déployé dans les temps, que la formation du personnel des bureaux de vote a été accélérée et que le nom du successeur de Kabila sera connu le 25 décembre. Le dernier rapport du Réseau pour la réforme du secteur de sécurité et de justice (RRSSJ), un groupe d’experts congolais issus de la société civile, est moins rassurant. Titré « Vers un énième rendez-vous manqué pour le peuple congolais? », ce document prédit des élections non crédibles et demande à la communauté internationale de « se tenir prête à intervenir pour protéger la population congolaise en cas de violences. » Les auteurs dénoncent l' »inféodation » de la Ceni au pouvoir (son président a été proposé par l’Eglise évangélique, représentée par un sénateur de la majorité), les « tripatouillages du cadre juridique » des élections (la répartition des sièges s’est faite avant l’audit du fichier électoral) et les doutes sur la légalité de la « machine à voter », achetée à la société privée sud-coréenne Miru Systems. Car le seul mode de vote autorisé par la loi électorale congolaise est le bulletin papier. Les autorités répliquent que le procédé retenu n’est pas un vote électronique: via un écran tactile, les électeurs sélectionnent la photo de leur candidat préféré, puis impriment leur choix sur un bulletin à déposer dans une urne. La fiabilité de cette technologie divise néanmoins l’opinion. Pour certains opposants et membres de la société civile, la « machine à voter » est une « machine à tricher ».

Le recours à l’armée congolaise pour acheminer le matériel électoral suscite aussi des interrogations. Une armée dont la « neutralité politique » est douteuse, remarquent les experts congolais, ce qui n’est « pas de nature à atténuer les suspicions d’une fraude électorale planifiée ». Ils pointent aussi le manque de neutralité des organismes judiciaires chargés d’examiner les contentieux et autres recours liés aux élections. Kin-shasa a refusé le déploiement d’observateurs de l’Union européenne et de la fondation Carter, ce qui pourrait remettre en cause la validité des scrutins. Le régime de Kabila reproche à l’UE d’avoir gelé les avoirs et refusé d’accorder des visas à une quinzaine de responsables congolais pour « atteinte aux droits de l’homme ». Le centre Carter, lui, est persona non grata pour avoir publié, fin 2017, un rapport dans lequel il évoque la « disparition » des comptes de l’Etat de plus de 750 millions de dollars de recettes minières. « En outre, des journalistes européens et de la diaspora n’ont pas obtenu leur accréditation pour couvrir les élections, signale Bob Kabamba. Un mauvais signe. »

Un supporter d'Emmanuel Ramazani Shadari participe à la campagne du candidat du FCC, la plateforme électorale kabiliste, le 24 novembre dernier.
Un supporter d’Emmanuel Ramazani Shadari participe à la campagne du candidat du FCC, la plateforme électorale kabiliste, le 24 novembre dernier.© JOHN WESSELS/BELGAIMAGE

Financement pas garanti

Les auteurs du rapport déjà cité s’inquiètent également des retards dans le financement des scrutins, « toujours pas garanti à ce stade ». Le budget (un milliard d’euros) est financé sur fonds propres, Kinshasa ayant repoussé les offres des bailleurs de fonds internationaux pour éviter toute « ingérence étrangère » dans le processus électoral. Mais il n’y a jamais eu, relève une note de l’ONU, de plan de financement clair de la Ceni. Bob Kabamba précise: « La quasi-totalité du budget de l’Etat, soit quatre milliards d’euros en 2018, a été dépensé. Rien ne garantit que l’argent qui manque pour le paiement du matériel électoral et le recrutement des agents des bureaux de vote sera débloqué. » Surtout, l’instabilité dans les provinces orientales du pays, touchées en outre par le virus Ebola (qui sévit du Nord-Kivu à l’Ituri et a fait près de 300 morts depuis août dernier), risque d’empêcher de nombreux électeurs d’exercer leur droit de vote. Si les élections sont validées alors que des régions entières n’ont pu voter, le mécontentement pourrait enflammer ces zones de l’Est, déjà déstabilisées depuis un quart de siècle par des groupes armés responsables de violences, de pillages et autres exactions.

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