El Chapo © Reuters

El Chapo a-t-il vraiment versé 100 millions de dollars à l’ex-président du Mexique?

Le Vif

Le plus célèbre trafiquant de drogue du monde a-t-il réellement versé un pot-de-vin de 100 millions de dollars à l’ex-président du Mexique pour ne pas être arrêté? Un homme l’affirme, beaucoup en doutent.

Alex Cifuentes, trafiquant de drogue colombien devenu témoin, a surpris la salle d’audience du tribunal de New York où est jugé Joaquin « El Chapo » Guzman et déclenché une controverse au Mexique en affirmant avoir versé cette somme à Enrique Pena Nieto, alors président-élu mexicain en 2012. « Cela aurait été le plus gros pot-de-vin de toute l’histoire » commente Mike Vigil, ancien chef des opérations internationales de la DEA, l’agence anti-drogue américaine, qui doute de la crédibilité de ces accusations. « J’ai passé 31 ans à la DEA. J’ai vu des pots-de-vin de millions de dollars, de centaines de milliers de dollars, mais certainement pas un pot-de-vin aussi important ». Le témoin colombien n’a par ailleurs fourni aucune preuve de ses accusations et admis ne pas être sûr des détails essentiels, comme du montant et de la date.

« Normalement, lorsque les trafiquants de drogue donnent de l’argent à des hommes politiques ou à des hommes d’affaires, ils enregistrent la transaction, car c’est ainsi qu’ils font chanter la personne s’ils en ont besoin », souligne Raul Benitez, professeur à l’UNAM, la plus grande université du Mexique. « Vous ne pouvez pas cacher 100 millions de dollars. Il faudrait un virement bancaire, des biens immobiliers ou des bijoux, et les trafiquants de drogue auront besoin de preuves pour que ça fonctionne » poursuit-il.

Acheminer 100 millions de dollars en liquide pose par ailleurs de sérieux problèmes logistiques. « Une fois, alors que je travaillais sous couverture au Panama, j’ai emprunté 1 million de dollars à la CIA pour remercier des trafiquants de drogue de Bolivie et de Colombie » se rappelle M. Vigil. « C’était des billets de 100 dollars et j’avais besoin d’une énorme valise pour les mettre. Alors pour 100 millions de dollars il aurait fallu un camion. (…) Comment ont-ils fait, ils ont conduit jusqu’à Los Pinos (l’ancienne résidence présidentielle) et l’ont remis au président? », s’interroge-t-il.

El Chapo a-t-il vraiment versé 100 millions de dollars à l'ex-président du Mexique?
© AFP

« Tout est possible »

Face aux accusations de Cifuentes, les partisans de Pena Nieto se sont empressés de rappeler que l’ancien président (2012-2018) avait tout fait pour arrêter « El Chapo » après son évasion d’une prison de haute-sécurité en 2015. Il l’avait aussi livré à la justice américaine. « Si j’avais accepté un pot-de-vin de Chapo Guzman, la dernière chose que je ferais, c’est de l’extrader aux États-Unis », commente M. Vigil à l’AFP, car il se mettrait « immédiatement à faire des allégations contre moi ».

Au début du procès, dans sa plaidoirie introductive alors que M. Pena Nieto était encore président, l’avocat de « El Chapo », M. Lichtman, avait soutenu que le narcotrafiquant avait servi de « bouc émissaire » à un gouvernement mexicain corrompu. Il avait alors accusé M. Pena Nieto et son prédécesseur Felipe Calderon (2006-2012) d’avoir reçu de l’argent du cartel de Sinaloa. Tous deux avaient vigoureusement démenti. Tous les trafiquants de drogue prétendent avoir distribué beaucoup d’argent, d’avoir corrompu le président, « mais la logique et le sens commun que conduisent à penser que c’est peu probable », tranche M. Vigil.

« Tout est possible » en matière de corruption au Mexique, nuance le journaliste Jose Reveles, auteur de plusieurs livres sur le trafic de drogue dans ce pays. « Aucun cartel de la drogue ne fonctionne sans protection officielle », assure-t-il. « Il est également possible que de hauts-responsables gouvernementaux aient affirmé être envoyés par le président ». Ce journaliste d’investigation exhorte le nouveau gouvernement mexicain, dirigé par l’homme de gauche « anti-système » Andres Manuel Lopez Obrador, à enquêter sur cette accusation de corruption. Mais il est peu optimiste. « Cette idée que des choses puissent être déclarées vraies ou fausses, ou à moitié vraies, existe dans d’autres pays. Pas au Mexique, où la dissimulation est la règle » déplore-t-il.

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