Entrée de l'hôpital de MSF à Monrovia. © Belga

Ebola :  » Je songe à tout ce qui devrait encore être écrit pour dépeindre l’horreur qui se déroule ici « 

Charles D’Haene a passé un peu plus de quatre semaines au Liberia, avec MSF Belgique. Pour combattre l’épidémie foudroyante du virus d’Ebola. Voici un résumé de son carnet de route. A la veille de son retour au pays.

Zaventem. L’hôtesse annonce le début de l’embarquement. Une quinzaine de passagers se partagent calmement les 335 places de l’A330 pour Monrovia.

Quelques heures plus tard, arrivée au Roberts International Airport. Je me rince pour la première fois les mains sous un jet d’eau chlorée, geste que je reproduirai des centaines de fois pendant la durée du séjour. Un agent me prend la température. Satisfait, il me laisse passer.

A 7h le lendemain matin, j’assiste à ma première réunion d’équipe. Et j’écoute avec stupeur mon premier décompte des patients morts d’Ebola la veille : 17. S’ensuit le briefing des nouveaux arrivants sur les mesures de protection contre le virus. La règle d’or : aucun contact physique avec qui que ce soit. Pour nous qui travaillerons dans les bureaux, hors du centre de traitement, ces mesures ne sont rien en comparaison avec celles qui prévalent dans la zone à haut-risque. Médecins, infirmiers(ères), hygiénistes, tous se plient à un protocole extrêmement strict d’équipement et de désinfection. Dans cet enfer qu’est le périmètre d’isolement, toute erreur peut être fatale. Un enfer, exactement ! Car on ne peut l’appeler autrement ce lieu où le virus règne en maître, où la chaleur ressentie sous votre panoplie ultra-étanche vous amène très vite à la limite de la syncope, et où agonisent des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants.

Je suis au Libéria depuis une semaine. Aucun incident grave n’a eu lieu jusqu’à présent dans le centre de traitement. Mais chaque jour apporte son lot de soucis. La veille, c’est un patient qui prend la fuite. Sous les cris d’une foule hystérique prête à le lapider, il est finalement ramené à la clinique et testé négatif. Le jour suivant, c’est l’approvisionnement en matériel de protection qui peine à répondre aux besoins. Un autre jour encore, c’est l’enclos réservé aux déchets infectés qui arrive à saturation. Autant d’épisodes qui nous disent à quel point l’équilibre est fragile et l’ampleur de la crise hors-norme.

Ardue dans un contexte épidémique « normal », la maîtrise de nos opérations l’est d’autant plus quand les chiffres s’emballent et que les patients se pressent à nos portes. Alors que les soins se poursuivent, des travaux d’extension sont en cours. Ils devraient tripler la capacité d’accueil du centre, mais il pourrait rapidement afficher à nouveau complet si d’autres acteurs n’interviennent pas.

En début de soirée, je retrouve Pierre à l’hôtel. Belge comme moi, il est anthropologue. Une bière et un whisky sur la table, il fume, le regard dans le vide. Depuis cinq jours, il travaille à la grille de l’hôpital. Sa mission : expliquer aux malades se présentant à l’entrée que la clinique est pleine. En d’autres termes, il est chargé de les envoyer mourir chez eux. Quand ils ne meurent pas face à lui. Ce n’est pas un travail d’anthropologue, évidemment, mais il serait pour qui ce travail à vrai dire ? Alors il s’est porté volontaire.

Le lendemain, je suis à l’aéroport. Ma fonction de logisticien m’y amène régulièrement pour réceptionner le matériel envoyé de Belgique. Ce jour-là, c’est un objet particulier que je vais devoir convoyer jusqu’au centre. Sur le tarmac, un groupe de journaliers libériens se tient face à un énorme caisson métallique surmonté d’un cylindre. Je les rejoins. « What is it, Sir ? » Inutile d’esquiver la question, je leur explique qu’il s’agit d’un incinérateur. Ma réponse ne suffisant pas, je leur fais comprendre qu’il servira à brûler les corps de leurs compatriotes morts d’Ebola. Seules à assurer un minimum d’aide aux patients, les équipes d’MSF doivent aussi se charger d’activités inhabituelles pour combler le vide ambiant. Le superviseur arrive en menaçant ses hommes de les jeter un par un dans l’engin s’ils ne se remettent pas tout de suite au travail. Ils sourient timidement et reprennent leur poste.

Ce soir, je songe à tout ce qui devrait encore être écrit pour dépeindre l’horreur qui se déroule ici. Je pense aux immenses efforts déployés pour tenter d’y mettre fin, à ceux de nos huit collègues libériens, guinéens et sierra-léonais emportés par l’épidémie. Fatigué, un peu abattu, je me dis que je ferais peut-être mieux de m’arrêter là et conclure. Un message s’affiche alors sur mon portable : assemblée générale à 19h. Le staff se réunit et la nouvelle tombe comme un couperet : un membre du personnel expatrié a été testé positif… Comment conclure à présent, quand une seule envie subsiste ? Celle de se taire.

Cet événement a réduit de manière dramatique la distance qui séparait le virus de nos équipes. Il a aussi réduit celle qui le sépare des pays capables de se mesurer à lui. Vont-ils nous rejoindre maintenant ? Ebola est-il assez proche d’eux ?

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