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Ebola à Goma: peur sur la ville

Muriel Lefevre

Le scénario tant redouté est devenu réalité: il y a un premier cas confirmé d’Ebola à Goma. Ville qui compte un million d’habitants et sert de véritable carrefour dans la région des Grands Lacs. Et cela « change potentiellement toute la donne », a mis en garde lundi l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« Nous ne pouvons pas être trop prudent », a insisté à Genève Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS, qui a précisé qu’il allait à nouveau réunir son comité d’urgence pour décider si l’épidémie constituait une « urgence sanitaire mondiale ». En juin, l’OMS avait jugé que l’épidémie en cours constituait une urgence sanitaire seulement pour la RDC et la région. Mais l’irruption d’Ebola à Goma représente un « avertissement sur les dangers de cette épidémie « , selon le responsable des situations d’urgence de l’OMS, Mike Ryan. « C’est un avertissement parce que chaque fois que la maladie se déplace, elle peut s’établir ailleurs ». C’est la première fois depuis le début de cette épidémie, en août 2018, que la maladie atteint la capitale de la province du Nord-Kivu.

L’inquiétude est palpable

L’inquiétude est palpable à Goma, ville partagée entre ses villas avec vues magnifiques sur le lac Kivu, siège des Nations unies et des ONG, et ses quartiers densément peuplés avec une activité commerciale importante. « Goma est très peuplée, je crains que la propagation ne soit rapide. Que les autorités fassent tout pour retrouver toutes ces personnes », s’inquiète un moto-taxi, Jean-Pierre, 30 ans. Avec plus d’un million d’habitants, Goma est une ville où le risque d’infection doit être réduit au minimum absolu, d’autant plus qu’il s’agit d’une ville frontalière avec le Rwanda avec un port d’où les bateaux partent pour Bukavu et le Sud-Kivu, et un aéroport avec des vols civils ou onusiens à destination de Kinshasa, Entebbe et Addis Abeba. Par ailleurs la capitale rwandaise, Kigali, est à seulement trois heures de route. Le Rwanda a d’ailleurs demandé lundi à ses ressortissants d’éviter tout voyage dans l’est de la RDC.

Ebola à Goma: peur sur la ville
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L’itinéraire du pasteur malade a de quoi nourrir les inquiétudes

L’itinéraire du patient a tout de même de quoi nourrir les inquiétudes plus ou moins rationnelles qui entourent chaque maladie contagieuse et mortelle.

Originaire du Sud-Kivu, le pasteur de 46 ans était arrivé début juillet à Butembo, où il a présenté les premiers symptômes dès le mardi 9 juillet. Butembo est l’un des épicentres de l’épidémie actuelle d’Ebola au Congo, qui a fait, à ce jour, 2 489 victimes, dont 1 665 sont mortes. « Durant son séjour à Butembo, le pasteur a prêché dans sept églises », où il touchait de ses mains régulièrement les fidèles « y compris les malades », a précisé le ministère de la Santé. Le pasteur, qui serait membre d’une Eglise évangélique dite du « réveil », a ensuite pris le vendredi 12 la route pour Goma à bord d’un bus avec 18 autres passagers et le chauffeur. Avant même de partir pour Goma, il ne se sentait pas bien et a été brièvement soigné par une infirmière qui à ce stade précoce ne pouvait pas diagnostiquer Ebola. « Le bus est passé par trois points de contrôle sanitaire. Lors des contrôles, il ne semblait pas présenter des signes de la maladie. Par ailleurs, à chaque point de contrôle, il a écrit des noms et prénoms différents sur les listes de voyageurs indiquant probablement sa volonté de cacher son identité et son état de santé », rapporte le ministère de la Santé.

Ce n’est qu’à son arrivée à Goma le dimanche qu’il s’est présenté à un poste de santé et qu’on lui a diagnostiqué une fièvre anormalement élevée et d’autres symptômes d’Ebola. « C’est à ce moment-là que la procédure prévue a été immédiatement mise en oeuvre « , explique Florian Vogt, épidémiologiste à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers au Standaard. L’équipe d’intervention d’Ebola à Goma a été informée et le patient a été immédiatement isolé dans un centre de traitement qui avait été mis en place il y a plusieurs mois. Dès qu’il est devenu évident qu’il avait Ebola, on lui a administré un vaccin, ainsi qu’aux autres voyageurs présents dans le bus. Les équipes chargées de répondre à l’épidémie ont identifié 60 contacts du pasteur évangélique jusqu’à présent. « Nous nous occupons des 60 contacts que nous avons », a déclaré M. Ryan, responsable des situations d’urgence de l’OMS. « Nous en avons retrouvé et vacciné 30 et, avec un peu de chance, nous aurons vacciné les 30 autres dans les 24 heures à venir », a-t-il déclaré à la presse.

Le prêtre lui-même a été transféré au centre de traitement de Butembo, ce centre à l’épicentre de l’épidémie étant mieux préparé à traiter les cas d’Ebola, mais est décédé en chemin, a indiqué mardi une source officielle. « Malheureusement je peux vous confirmer la mort du patient en cours de route en allant à Butembo », un des foyers de l’épidémie, a déclaré à la presse le gouverneur de la province du Nord-Kivu Carly Nzanzu.

Appel au calme

En RDC, les autorités multiplient les mesures de préventions et les appels au calme. « Le cas a été non seulement détecté précocement, mais aussi isolé immédiatement évitant toute contamination additionnelle », assure le gouverneur. Le gouverneur tout comme le ministère de la Santé appellent les habitants de Goma à garder leur « calme » face à l’épidémie qui frappe à leur porte. Antoine Gauge, représentant de Médecins Sans Frontières à Goma, précise, toujours dans De Standaard que le Plan Ebola a fonctionné de façon efficace et que le patient est à peine allé en ville. Cette épidémie, qui a fait 1.665 morts, était jusqu’à présent cantonnée dans le nord de la province, dans les zones de Beni-Butembo, depuis qu’elle a été officiellement déclarée le 1er août dernier près de Beni.

Ebola à Goma: peur sur la ville
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Si le diagnostic d’un premier patient à Goma a représenté un électrochoc pour les autorités congolaises et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), il n’est pas une surprise totale. « Goma est préparée à l’Ebola depuis des mois « , dit encore Vogt. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le ministère congolais de la Santé ont vacciné trois mille agents de santé à Goma en novembre 2018, créé un centre de traitement Ebola et pris des mesures simples de sensibilisation. « Des robinets d’eau avec du savon ont été installés dans les bâtiments publics et les magasins « , explique M. Vogt. Il y a aussi des contrôles Ebola aux arrêts de bus et à l’aéroport.

« Il n’y a jamais eu de panique au sein de la population « , dit Gauge. Le gouvernement a décidé de communiquer de façon transparente et a profité de l’occasion pour expliquer une fois de plus les mesures. Cela a sans aucun doute eu un effet calmant. « Ce qui inquiète la plupart des agents de santé, c’est que le prêtre infecté a essayé de contourner les contrôles d’Ebola. On ne sait pas exactement pourquoi cet homme a fait ça. Peut-être qu’il pensait qu’il serait mieux traité à Goma, peut-être qu’il avait juste peur. Mais c’est troublant. »

Une épidémie toujours pas sous contrôle

« Ce cas confirmé d’Ebola à Goma montre que la situation demeure inquiétante et que l’épidémie n’est toujours pas sous contrôle », a commenté Médecins Sans frontière (MSF) qui a cessé ses interventions à Beni-Butembo en raison de l’insécurité. L’insécurité a d’ailleurs encore frappé à Beni où deux notables locaux, enrôlés dans des actions de prévention, ont été assassinés dans la nuit de samedi à dimanche. L’intervention des responsables communautaires est destinée à lever les résistances des populations contre la vaccination, l’hospitalisation et des modes d’enterrement qui évitent les contacts avec les fluides contagieux des défunts. « Selon plusieurs sources, les assaillants seraient des personnes du même quartier que les deux victimes, qui enviaient leurs voisins car ils avaient trouvé un emploi dans la riposte contre Ebola », a indiqué le ministère de la Santé. Un épidémiologiste de l’OMS avait été tué le 20 avril à Butembo, où deux centres de traitement d’Ebola avaient été attaqués fin février-début mars. Cette épidémie est la deuxième épidémie Ebola la plus importante de l’histoire après celle qui a tué près de 11.000 personnes en Afrique de l’Ouest (Guinée, Liberia, Sierra Leone) en 2013-2014.

La moitié des foyers n’est pas détectée, selon une étude

La moitié des foyers d’Ebola qui ont éclaté depuis la découverte du virus en 1976 sont passés inaperçus car ils ne touchaient qu’un tout petit nombre de patients, estiment des chercheurs jeudi, en soulignant l’importance d’une « meilleure détection ».

Mieux repérer ces foyers permettrait de les « juguler à la source » et donc d’être sûr qu’ils ne se transformeront pas en épidémie en se propageant à un grand nombre de personnes, soulignent ces scientifiques dans une étude parue dans la revue PLOS Neglected Tropical Diseases. Cette publication avant une réunion en urgence vendredi de l’OMS. L’Organisation mondiale de la santé doit décider s’il faut augmenter le niveau d’alerte après que l’épidémie qui a surgi en août 2018 en République démocratique du Congo (RDC) s’est étendue à l’Ouganda où deux décès ont été enregistrés. « On détecte rarement les foyers d’Ebola quand ils sont encore facile à contrôler. Or, l’épidémie en cours montre combien il est difficile d’arrêter la maladie une fois qu’elle est hors de contrôle », souligne l’auteure principale de l’étude, Emma Glennon, de l’université britannique de Cambridge.

« La plupart du temps, quand le virus d’Ebola passe des animaux aux hommes, ce n’est même pas détecté. Ces cas initiaux n’infectent souvent personne, mais être capable de les repérer et de les traiter localement est tout de même crucial, car on ne sait jamais lesquels de ces foyers évolueront en épidémie », poursuit-elle. « Si un foyer est décelé suffisamment tôt, on peut empêcher qu’il s’étende grâce à des interventions simples, comme placer les personnes infectées et leur entourage à l’isolement », selon Emma Glennon. Le virus se transmet à l’être humain par contact soit avec des animaux infectés (en général en les dépeçant, en les cuisant ou en les mangeant), soit avec des liquides biologiques de personnes infectées. Localement, « la plupart des docteurs et des travailleurs de santé n’ont jamais vu un seul cas d’Ebola, et les fortes fièvres que la maladie provoque peuvent facilement être attribuées à tort au paludisme, à la typhoïde ou à la fièvre jaune », ajoute la chercheuse. Selon elle, « il faut investir davantage pour assurer un meilleur diagnostic et un meilleur contrôle d’Ebola au niveau local ». Car « les réponses internationales aux épidémies sont certes importantes mais souvent lentes, compliquées et onéreuses ». Les chercheurs se sont basés sur trois jeux de données provenant d’une région de Sierra Leone et de Conakry, en Guinée, pour la période 2013-2016. Ils ont utilisé des modèles statistiques pour simuler des épidémies d’Ebola et estimer la proportion de foyers non repérés.

En RDC, l’épidémie actuelle a déjà fait plus de 1600 morts. C’est la dixième dans le pays depuis 1976 et la deuxième la plus grave dans l’histoire de la maladie, après les quelque 11.000 morts en Afrique de l’Ouest (Liberia, Guinée, Sierra Leone) en 2014-2016. La lutte contre la maladie en RDC est compliquée par la méfiance des populations envers les soignants, qui s’est soldée par des attaques armées contre des équipes médicales sur le terrain.

Avec L’AFP

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