© belga

Des femmes yézidies témoignent de leur esclavage par des djihadistes belges

Stagiaire Le Vif

Au moins cinq jeunes femmes yézidies ont affirmé avoir été les esclaves de djihadistes belges dans des interviews réalisés par le prêtre Patrick Desbois. Depuis 2016, il travaille avec son association en aide aux yézidis persécutés par Daech. Pour lui, l’État islamique est loin d’être mort.

Des femmes yézidies interviewées par Patrick Desbois, prêtre spécialiste en crimes contre les yézidis, ont témoigné d’avoir été réduites à l’esclavage par des djihadistes belges. Depuis cinq ans, le prêtre français s’occupe du peuple yézidis massacré par Daech au Kurdistan. Il a construit une équipe d’enquête « Yahad-In Unum » (Yahad « ensemble », en hébreu et In Unum « en un », en latin), pour recueillir les histoires des victimes. Parmi 67 témoignages de survivantes yézidies recueillis par l’ONG américaine Counter Extremism Project (CEP), environ 85 % des femmes ont été en contact avec des djihadistes étrangers en Syrie et en Irak. Au moins cinq jeunes femmes des 400 interviewées par P. Desbois affirment avoir été en contact, sinon l’esclave de ressortissants belges à Raqqa et dans d’autres villes du « califat » de Daech.

L’une d’elles exprime avoir côtoyé Younès Abaaoud, le petit frère d’Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur des attentats de Paris, jusqu’en février 2018. Il est annoncé comme mort depuis cette date à la suite du procès de Jawad Bendaoud en France. Deux autres femmes accusent Tarek Jadaoun, le Verviétois condamné à mort en Irak. Une troisième pointe un certain Abou Ibrahim al-Belgiki, d’origine tadjike. Une quatrième parle d’un Abou Dujana al-Belgiki, un kunya (Ndlr, nom de guerre) utilisé par plusieurs djihadistes belges. Une cinquième évoque un Abou Moussab al-Belgiki, d’origine marocaine.

Les yézidis sont un peuple rural vivant dans des petits villages du nord de l’Irak. Cette communauté kurdophone monothéiste compte entre 100 000 et 600 000 personnes. Ils ne sont ni musulmans ni chrétiens, mais pratiquent un culte proche des zoroastriens. Daech considère le yézidisme comme une religion du « diable », car ses fidèles n’ont pas de livre, contrairement aux chrétiens et aux juifs. Ils les traitent comme des « coufar » (mécréants). Pour cela, ils sont persécutés depuis longue date par l’EI.

L’histoire des Sabaya

Daech encourage la pratique d’ « Al-sabi », consistant à capturer et asservir des femmes d’incroyants. Comme tous les otages, les femmes yézidies déploient des stratégies de survie face à des djihadistes qui peuvent être d’une violence extrême. Les yézidies ont raconté d’avoir été utilisées comme esclaves sexuelles et bonnes à tout faire.

« J’ai entendu des témoignages, les pires que je n’en ai jamais entendus« , confesse le prêtre P. Desbois. Parmi ceux-ci, il se souvient d' »une maman qui avait les yeux très bas. Elle a présenté sa petite fille de 8 ans comme la seule survivante après qu’un groupe de filles du même âge avait été violé par 5 hommes. La maman avait peur de tout.« 

Le trafic systémique des djihadistes consiste à enlever les filles principalement mineures en Irak, vérifier leur virginité auprès d’un médecin, les droguer pour qu’elles acceptent d’être transportées dans un bus et les vendre aux hommes de Daech en Irak ou en Syrie. Les filles sont séparées en deux groupes : si elles sont considérées comme jolies, elles sont vendues aux chefs riches, autrement, elles sont dispatchées dans des maisons occupées par des djihadistes. « Une fille qui avait 15 ans, mais en paraissait avoir 25, avait été revendue 6 fois. Elle avait le regard noir, je n’avais jamais vu quelqu’un comme ça« , témoigne le prêtre.

À sa libération, une femme peut avoir été vendue entre 25 et 35 fois comme « sabiya », esclave sexuelle, ou « hadima », servante. Celles qui ont eu des enfants pendant leur mariage forcé sont sommées de les abandonner dans des nurseries. La loi irakienne stipulant que la religion de l’enfant est celle du père, les femmes yézidis ne peuvent pas garder leurs enfants, car ils sont refusés par la communauté en tant qu' »enfants de Daech ». « C’est une des raisons pour lesquelles certaines yézidies préfèrent ne pas rentrer dans leur village, de peur de se voir privées de leur enfant » éclaire P. Desbois.

L’argent joue un rôle fondamental dans les libérations. Les filles deviennent une monnaie d’échange : le prix oscille entre 25 000 dollars (environ 21 000 euros) pour une fille. « Les djihadistes se disent que s’ils ont besoin d’argent, ils les revendront à leur famille qui va les racheter« , explique le prêtre.

« Il y a encore des yézidis aux mains du groupe État islamique »

On estime que 2 600 femmes yézidis restent captives, malgré la chute de Daech en 2019. « L’État islamique n’est pas mort et garde encore ses esclaves yézidies. Le sujet n’est pas au passé « , avertit Patrick Desbois. Dans le camp de Al-Hol, au nord-est de la Syrie, où vivent 64 000 personnes sous l’autorité kurde, des hommes restés fidèles à Daech continuent d’opprimer les femmes yézidies. Le prêtre catholique raconte l’engagement de son association: « nous avons ouvert quatre centres au sein des camps, au Kurdistan irakien, pour les femmes très abîmées. Nous essayons de leur redonner une autonomie, en leur apprenant un métier pour qu’elles reprennent goût à la vie. » Un des objectifs est de les donner de l’autonomie en leur apprenant l’arabe, leur langue étant le kurde. P. Desbois considère que les pays occidentaux ont une responsabilité, car ce sont leurs ressortissants qui sont allés en Syrie et en Irak soutenir Daech et terroriser les populations locales. « Les femmes yézidies sorties des camps de Daech n’ont aucun avenir dans leur pays, car elles ont été violées, vendues et mariées de force. Je demande à la France et à l’Europe de les recevoir pour qu’elles aient un espoir d’avenir« . À tel propos, Liam Duffy, auteur du rapport « Western Foreign Fighters and the yazidi genocide« , pointe également : « nous sommes plus inquiètes du retour des combattants que des crimes qu’ils ont commis.« 

Reconnaissance du génocide

Soutenus aux États-Unis par Amal Clooney et par l’association « Yazda », les yézidis ont obtenu la reconnaissance du génocide qu’ils ont vécu à partir de l’été 2014 par les États-Unis, le Canada, la France, l’Arménie, le Portugal et l’Australie. Dans l’esprit d’une réconciliation, le Parlement irakien a adopté, le 1er mars dernier, une loi en faveur des survivants yézidis qui reconnaît les crimes contre l’humanité et le génocide qu’ils ont subi. Elle leur accorde des pensions, terres, accès à l’éducation et un quota dans les services publics comme mesures de réparation. Les tribunaux irakiens ont jugé des combattants de Daech (dont deux Belges) dans des procès expéditifs, cependant la récolte des preuves est lente. Ces efforts sont soutenus par la Belgique, notamment sur le plan financier, mais la justice belge n’a pas encore connu d’affaires concernant des victimes yézidies. Deux textes de résolution sont en préparation, notamment un de l’opposition et un de la majorité. C’est ce qui va se dérouler dans les mois qui viennent parce qu’il s’agit de djihadistes belges. Cependant, selon la diplomatie belge, la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) est bloquée, car ni l’Irak ni la Syrie n’ont ratifié le Statut de Rome pour y adhérer.

Valentina Jaimes

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire