Benjamin Bodson

David Cameron got nothing for something

Benjamin Bodson Assistant en droit européen à l’Université catholique de Louvain (UCL)

Si David Cameron a fait du combat contre ceux venant au Royaume-Uni  » to get something for nothing  » un de ses chevaux de bataille, l’on pourrait dire que, d’un point de vue juridique, le Premier ministre britannique semble être venu la semaine dernière à Bruxelles to get nothing for something.

Lorsque David Cameron, après avoir réuni le Cabinet samedi matin, déclare sous le coup de l’euphorie et de la fatigue sans doute, que les changements qu’il a obtenus « will be legally binding in international law », tout juriste considérera qu’une clarification sera la bienvenue.

Bien que le principal intéressé déclare avoir obtenu un « statut spécial » pour le Royaume-Uni, l’accord conclu vendredi dernier nous laisse penser qu’il n’a en réalité rien obtenu de très nouveau. L’on pourrait dire, en quelque sorte, « (that he) got nothing for something » ; il a obtenu un texte servant ses intérêts politiques, mais dont le contenu n’apporte grosso modo rien de nouveau d’un point de vue juridique.

Le Royaume-Uni a en effet déjà un « statut spécial » au sein de l’Union. Il bénéficie d’exemptions à plusieurs égards : (i) le Royaume-Uni n’est pas tenu d’adopter l’euro, (ii) il n’est pas tenu par les accords de Schengen et est, partant, autorisé à contrôler les individus à ses frontières, (iii) il est libre de choisir s’il veut se joindre ou non aux mesures prises dans le développement de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, (iv) il peut cesser de respecter un certain nombre de mesures relatives à la coopération policière et à la coopération judiciaire en matière pénale adoptée avant l’adoption du Traité de Lisbonne, et (v) la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne lui est pas, en tant que telle, applicable. Si le texte apporte quoique ce soit de nouveau, nous devrions donc qualifier ce nouveau statut de « très spécial », voire de totalement à part.

Faisons le point. A quels changements juridiques devrions-nous nous attendre au lendemain du 23 juin ? Conformément à l’EU Referendum Act 2015, l’on sait que la question qui sera posée au référendum sera : « Should the United Kingdom remain a member of the European Union or leave the European Union?« . Voyons donc, selon la réponse qui sera donnée, quelles seront les conséquences juridiques de cette décision.

  • (1) Remain a member of the European Union

Dans l’hypothèse d’un vote en faveur du maintien dans l’Union européenne, l’accord conclu vendredi serait, pour faire bref, considéré adopté et les mesures qu’il contient trouveraient dès lors à s’appliquer. Voyons, par thématique de l’accord, ce que cela impliquerait :

  • Gouvernance économique

Les mesures visant à renforcer l’union économique et monétaire resteraient accessibles au Royaume-Uni sur base volontaire et quand cela serait faisable. La Grande-Bretagne ne serait toujours pas tenue d’adopter l’euro ni, cela va en quelque sorte de soi, de respecter les conditions nécessaires à son adoption. Le processus de renforcement de l’union économique et monétaire continuerait à veiller à respecter les droits et les compétences des Etats membres dont la monnaie n’est pas l’euro.

En outre, le Royaume-Uni ne devrait en aucune manière être amené à mettre la main au portefeuille pour préserver la stabilité financière de la zone euro. Les chefs d’Etat ou de gouvernement sont allés jusqu’à promettre que si des frais étaient engagés sur le budget de l’Union pour la mise en place de mesures d’urgence visant à assurer cette stabilité, la part de la contribution du Royaume-Uni qui aurait servi à payer ces frais lui serait remboursée, tout comme aux huit autres Etats membres dont la monnaie n’est pas l’euro. Nous parlons ici des frais de nature essentiellement administrative (par exemple, l’impression des documents pour préparer la réunion relative à ces mesures, et autres frais du même ordre).

Ces assurances seraient intégrées dans les traités dès la plus prochaine révision de ceux-ci. En réalité, ces protections existent pour l’essentiel déjà. Il ne s’agira donc que de réaffirmer des assurances existantes.

  • Compétitivité

Le Conseil européen et la Commission ont déclaré vouloir améliorer l’efficacité du marché intérieur, ce qui est déjà leur tâche presque quotidienne. Il ne s’agit par ailleurs là que de déclarations (politiques) d’intention, voire de mise en priorité de certains points à l’agenda législatif, mais pour lesquels l’épreuve de la procédure législative reste entière. La Commission a par ailleurs ajouté vouloir mieux légiférer, ne faisant en cela que confirmer son agenda du « Mieux légiférer ».

David Cameron se vante en outre que désormais l’Union européenne dira que la compétitivité est « un objectif essentiel de l’Union ». Depuis les débuts de la construction européenne, la compétitivité a toujours figuré dans les traités comme étant un objectif des Communautés puis de l’Union. Il s’agirait ici de rendre cet objectif essentiel. Sur ce point, il semblerait que cette mention ne ferait pas l’objet d’une révision des traités, mais se limiterait à une simple déclaration. En d’autres termes, aucune valeur juridique.

  • Souveraineté

L’une des demandes majeures du gouvernement britannique concernait la mention dans les préambules des traités d’une « union sans cesse plus étroite », celle-ci sous-tendant un procédé visant à une Union toujours plus intégrée politiquement. David Cameron a déclaré « we’ve never liked it. We’ve never wanted it ». Ce n’est pas tout à fait exact ; nous dirons plutôt que le Royaume-Uni l’a voulue quand cela servait directement ses intérêts. Qu’à cela ne tienne, David Cameron a obtenu que, lors de la plus prochaine révision des traités, il y soit explicitement inscrit que les références à une union sans cesse plus étroite ne s’appliquent pas au Royaume-Uni.

Cette demande me semble anecdotique pour deux raisons.

D’une part, au vu des exemptions dont j’ai fait mention au début de ce texte, l’on ne peut pas dire que le Royaume-Uni se soit souvent senti contraint de suivre tous les pas réalisés par d’autres Etats membres vers plus d’intégration. La Grande-Bretagne a, au contraire, toujours joué d’une Union ‘à la carte’. Et cette Europe à plusieurs vitesses est possible et a toujours été considérée comme étant compatible avec la référence à une union sans cesse plus étroite. Si une compétence doit être transférée à l’Union, ce transfert doit se réaliser par révision des traités et des exemptions sont possibles pour les Etats membres qui ne désireraient pas se joindre à ce transfert. Le mécanisme des coopérations renforcées offre, en outre, un autre mécanisme allant dans la même voie.

D’autre part, les termes dont il est question, de par leur nature (extrait d’un préambule) ne constituent pas et n’ont jamais constitué une base juridique permettant d’étendre la portée des dispositions de droit européen ni les pouvoirs de l’Union ou de ses institutions. Le régime particulier que le Royaume-Uni recevrait donc le cas échéant ne serait autre que le régime qui lui est déjà applicable, tout comme aux autres Etats membres.

Autre point : le Royaume-Uni se verrait confirmer que la sécurité nationale reste de la compétence des Etats membres et d’eux seuls. Ici non plus, rien de nouveau.

  • Allocations sociales et libre circulation

Ici, l’on tient peut-être une modeste ‘victoire’ pour David Cameron.

La Commission européenne a déclaré avoir l’intention de proposer une modification de la directive 2004/38 sur la libre circulation des citoyens de l’Union afin de réduire les possibilités d’abus notamment liées aux situations de mariage de complaisance entre un ressortissant d’un Etat tiers et un citoyen de l’Union. Un mariage entre un ressortissant d’un Etat tiers et d’un citoyen de l’Union est, à l’heure actuelle, dans certaines conditions, en mesure de faire bénéficier le premier d’un droit de séjour et ce, grâce au droit européen. Tel ne serait désormais plus le cas, si le ressortissant de l’Etat tiers n’avait pas au préalable de titre de séjour au sein d’un Etat membre avant de marier un citoyen de l’Union ou si ce ressortissant marie un citoyen de l’Union seulement après que ce dernier ait établi sa résidence dans l’Etat membre d’accueil. Seul le droit des étrangers de l’Etat membre d’accueil s’appliquerait alors au ressortissant de l’Etat tiers. Cette victoire de David Cameron resterait cependant à nouveau modeste. L’article 35 de cette directive permet déjà de prendre des mesures pour lutter contre les situations d’abus telles que les mariages de complaisance. Pour le reste, la Commission européenne ne ferait qu’adopter une communication clarifiant la directive à certains égards.

En matière d’allocations familiales, la Commission proposerait d’amender différents textes dans le sens de l’exemple suivant : si X travaille dans un Etat A, mais que ses enfants résident dans un Etat B, l’Etat A se verra, si la proposition est adoptée, donner la possibilité de payer à X des allocations familiales indexées aux conditions de vie de l’Etat B, et non de l’Etat A. Seules les allocations familiales sont ici visées ; la Commission a explicitement exclu d’y ajouter d’autres prestations sociales telles que les pensions.

Enfin, Cameron obtiendrait une autre modification du droit de l’Union en ce qui concerne le régime des prestations sociales liées à l’emploi. La Commission proposerait un mécanisme d’alerte et de sauvegarde que les Etats membres pourraient actionner en cas d’afflux d’une ampleur exceptionnelle de travailleurs d’autres Etats membres qui serait de nature à mettre en péril des aspects essentiels du système de sécurité sociale de l’Etat membre en question, qui conduirait à des difficultés sérieuses et de nature à persister sur son marché de l’emploi ou qui mettrait une pression excessive sur le bon fonctionnement de ses services publics. En cas de déclenchement de ce mécanisme, le Conseil de l’Union européenne pourra autoriser, pour sept ans, l’Etat membre concerné à restreindre l’accès aux prestations sociales non-contributives aux travailleurs nouveaux arrivants venant d’autres Etats membres. Cette limitation ne sera autorisée que pour une période de maximum quatre ans à partir de l’entrée en fonction du travailleur. En outre, la limitation ne pourra être que graduelle, commençant le cas échéant par une exclusion totale, mais tendant peu à peu à l’accès aux prestations en question pour prendre en considération le lien grandissant entre le travailleur et le marché de l’emploi de l’Etat membre.

Ces modifications peuvent sembler importantes, mais elles le sont moins lorsque l’on connaît l’état actuel du droit européen. Des possibilités, strictes certes, de déroger aux règles édictées par le droit européen dans le domaine des prestations sociales existent déjà. Par exemple, pour la libre circulation des travailleurs, la Cour de justice a notamment reconnu la possibilité d’une dérogation au régime européen s’il existe un risque de sérieusement ébranler la stabilité des systèmes de sécurité sociale. En outre, la sécurité sociale est et restera une compétence des Etats membres ; l’Union européenne ne faisant que « coordonner » les systèmes des Etats membres sans toutefois tendre à les harmoniser. De même en matière de libre circulation des personnes pour ce qui concerne les ressortissants d’Etat tiers dont il était question plus haut, des dérogations sont d’ores et déjà possibles si le ressortissant en question n’a pas de ressources suffisantes pour assurer sa subsistance et que l’on peut considérer que son installation dans l’Etat membre ne vise qu’à le faire bénéficier de la sécurité sociale de cet Etat.

Il est loisible au Royaume-Uni d’user dès aujourd’hui de ces dérogations. De nouveau, les nouveautés ne sont que relativement marginales. Les clarifications obtenues sur le droit européen en vigueur peuvent peut-être permettre aux Britanniques de dormir plus sereinement, en tous les cas c’est ce que semble espérer David Cameron.

  • (2) Leave the European Union

Dans ce cas de figure, l’accord intervenu vendredi dernier ne serait plus pertinent et finirait à la corbeille. Le Royaume-Uni quitterait l’Union européenne et, partant, ne serait plus soumis au droit de cette dernière. Il ne ferait plus partie du marché intérieur et les sujets de Sa Majesté ne seront plus citoyens de l’Union. Un nouveau régime de collaboration entre le Royaume-Uni et l’Union européenne pourrait être mis en place. Plusieurs schémas de collaboration seraient envisageables, que ce soit un modèle norvégien ou suisse, ou tout autre modèle. Ce qui est sûr, c’est que les négociations prendraient un temps considérable, avec le risque que cela affecte de façon significative l’économie britannique. En plus d’être un message négatif pour l’intégration européenne, cette hypothèse constituerait un cauchemar juridique. Nous n’en sommes pas encore là.

Conclusion

Aux quelques exceptions près décrites plus haut, David Cameron est reparti de Bruxelles avec une leçon de droit européen. Ceux qui disent que l’interprétation du droit européen pourra se faire à la lumière de certaines déclarations politiques réalisées ne doivent pas trop se réjouir ni surestimer la force de tels arguments. L’Union européenne réformée dont David Cameron parle ressemblera le cas échéant très fort à l’Union actuelle. Pour la plus grande partie de l’accord, il ne s’agit que de réaffirmer ou de reconnaître à nouveau le statut spécial que détient le Royaume-Uni dans l’Union européenne, un statut ‘à la carte’.

Comparé à ce que le Premier ministre britannique annonçait pendant la campagne des élections législatives britanniques de 2015, ce qu’il demandait en novembre dernier était déjà maigre ; ce qu’il a obtenu ici est encore plus modeste. Il ne s’agit pas d’une redéfinition cruciale de la place de la Grande-Bretagne dans l’Union. Evidemment, une telle tâche n’aurait pu être réalisée en deux jours.

Le choix que poseront les Britanniques le 23 juin prochain sera historique. Il ne s’agira pas de dire ‘oui à ceci, non à cela’, mais ‘oui à tout’ ou ‘non à tout’. Si le Royaume-Uni décide de rester dans l’Union, cette dernière ne sera peut-être pas radicalement réformée grâce à l’accord de vendredi, mais l’on pourra espérer d’autres réformes, desquelles le Royaume-Uni pourrait être le moteur. La Grande-Bretagne rend le lobby pour le changement relativement puissant. Le renforcement du rôle des parlements nationaux via de nouvelles lignes directrices pour l’application du principe de subsidiarité et un engagement à la réduction la bureaucratie européenne et de ses charges administratives sont deux avancées dont peut se vanter David Cameron suite à l’accord de vendredi. Reste à voir comment elles seront concrètement mises en pratique.

Bien sûr, le droit n’est pas tout. Si l’impact juridique de l’accord intervenu est faible, l’accord est sans précédent d’un point de vue politique. A ce niveau, David Cameron a obtenu bien plus que « something », et cela pourra provoquer à l’avenir des changements majeurs au niveau juridique également. Une Union qui sera désormais réformée juridiquement non, mais politiquement certainement, et peut-être pas dans un sens qui lui sera favorable…

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