Les al-Shabaabs mozambicains ont conquis la ville de Palma dans un raid le 24 mars dernier, poussant une partie de la population à fuir. © getty images

Daesh au Mozambique: « les relations entre les insurgés et l’EI ne sont pas simples »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’alliance avec l’Etat islamique apporte une visibilité internationale et une aide non matérielle aux al-Shabaabs. Mais l’objectif le plus important reste l’implantation dans la province de Cabo Delgado, comme le démontre la prise récente de la ville de Palma.

L’Etat islamique dans la province de l’Afrique centrale (Iscap) dispose d’une composante au Mozambique, les al-Shabaabs, qui se sont illustrés dans l’après-midi du 24 mars en s’emparant de la ville portuaire de Palma, à la pointe nord du pays, après avoir déjà conquis celle de Mocimboa da Praia, plus au sud, le 12 août 2020. Les djihadistes ont à nouveau mis en déroute l’armée mozambicaine, même si celle-ci a réussi depuis à reprendre une partie du terrain perdu. Des milliers d’habitants ont fui Palma, qui en comptait avant le raid quelque 70 000, pour se réfugier dans les régions avoisinantes. Le bilan en pertes humaines est incertain. Comme l’est de plus en plus le projet d’extraction pétrolière dont le groupe Total est le maître d’oeuvre au large de la ville, qui a été suspendu.

Les insurgés du Mozambique semblent rêver autant d’un u0022califat swahiliu0022 avec la Tanzanie et le Kenya que d’un u0022califat centre-africainu0022 avec le Congo.

Un doute subsiste en revanche quant à la volonté des Shabaabs de sanctuariser le territoire conquis ou de procéder par incursions-retraits. « Leur approche militaire est celle d’une guérilla, précise Eric Morier-Genoud, professeur d’histoire africaine à la Queen’s University de Belfast et spécialiste du Mozambique. Ce qui avait commencé modestement, avec principalement des machettes, s’est développé, à l’instar de leurs objectifs. Depuis 2020, ils attaquent des sièges de districts et semblent essayer d’en tenir certains de manière permanente. A plus long terme, ils ont la volonté de fonder une société régie par la loi islamique, la charia, ou plus exactement leur lecture de cette même charia, et d’y établir un califat. »

L’alliance avec le groupe djihadiste congolais des Forces démocratiques alliées (ADF) au sein de l’Etat islamique dans la province d’Afrique centrale suscite un peu de scepticisme de la part du professeur de la Queen’s University de Belfast. « Les al-Shabaabs du Mozambique sont issus d’une secte religieuse dans une dynamique assez similaire à celle de Boko Haram au Nigeria. Ils ont prêté allégeance à Daech en 2018, ce qui leur a donné de la visibilité internationale et des aides non matérielles de conseillers de l’Etat islamique », confirme l’expert. Le groupe mozambicain partagerait avec son alter ego nigérian les aléas d’une collaboration de ce type. « Les relations entre les insurgés et l’EI ne sont pas simples, que ce soit en matière de langue, de culture, de géographie, et même de principes religieux », analyse Eric Morier-Genoud.

Cette singularité toucherait aussi la conception de l’alliance régionale sous la coupole de l’Etat islamique. « Les insurgés du Mozambique semblent rêver autant d’un « califat swahili » avec la Tanzanie et le Kenya que d’un « califat centre-africain » avec le Congo. Dès lors, comme au Nigeria, il est possible que les al-Shabaabs continuent à l’avenir à travailler avec Daech. Mais il est tout aussi possible qu’ils renoncent à leur allégeance ou la changent. On parle de « franchise Daech »: cela implique un accord de collaboration (révocable) et pas une absorption (irrévocable), surtout si on se rappelle que les groupes mozambicain et congolais sont séparés par 2 500 kilomètres de distance. »

L’avenir de l’alliance avec l’Etat islamique dépendra aussi de la capacité des al-Shabaabs mozambicains à poursuivre leur extension sur la durée. Leur influence est restée contenue sur un territoire limité, souligne Eric Morier-Genoud, à savoir la moitié d’une des onze provinces du pays, celle, pauvre, de Cabo Delgado. « Le Mozambique aura besoin de plus de moyens, de plus d’entraînement de ses militaires et de plus d’appui logistique ainsi que d’une approche plus fine et pas seulement militaire pour parvenir à les éliminer. » Malgré ces lacunes, Maputo n’est pas enclin à accepter une aide de l’ancienne puissance coloniale, le Portugal, autre qu’en matière de formation de ses soldats. Le parti au pouvoir, le Frelimo (Front de libération du Mozambique), affirme que c’est aux Mozambicains de résoudre ce conflit. Ce sont aussi des Mozambicains qui l’ont imposé et attisé depuis 2017.

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