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Coronavirus: l’OMS, victime collatérale des tensions Chine-USA

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Le président américain Donald Trump a une nouvelle fois brandi la menace de la suppression du financement de l’OMS. Il l’accuse d’avoir mal géré la crise du coronavirus et d’être la « marionnette » de la Chine. Ce n’est pas la première fois que le président tourne le dos au multilatéralisme.

Le président américain Donald Trump a menacé de geler indéfiniment le financement américain à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Si l’OMS ne s’engage pas à des améliorations notables dans un délai de 30 jours, je vais transformer la suspension temporaire du financement envers l’OMS en une mesure permanente et reconsidérer notre qualité de membre au sein de l’organisation », a-t-il tweeté.

Trop proche de la Chine

Que reproche donc le président américain à l’agence ? Dans une lettre adressée au patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, Donald Trump énumère des exemples de ce qu’il considère comme des erreurs de l’OMS dans sa gestion de la pandémie, notamment en ignorant les premiers rapports sur l’émergence du virus et en étant trop proche et indulgente avec la Chine : « Il est clair que les faux pas répétés de votre part et de votre organisation pour répondre à la pandémie ont coûté extrêmement cher au monde. La seule voie à suivre pour l’Organisation mondiale de la santé est de pouvoir prouver son indépendance vis-à-vis de la Chine. »

Un peu plus tôt, Donald Trump avait déclaré « ne pas être content de l’Organisation mondiale de la santé » et accusé l’agence d’être « une marionnette de la Chine ». S’adressant à la réunion de l’OMS, le secrétaire d’Etat américain à la Santé, Alex Azar, a assuré que son « échec » avait coûté de « nombreuses vies », réclamant une OMS « bien plus transparente » et qui « rende davantage de comptes ». Les Etats-Unis avaient déjà suspendu mi-avril leur financement de l’OMS, pour les mêmes raisons.

Qui finance l’OMS ?

Le budget de l’OMS est fixé par périodes de deux ans. Pour les années 2018 et 2019, il s’élève à 5,62 milliards de dollars (5,1 milliards d’euros). En matière de sommes effectivement versées, les Etats-Unis sont de loin le premier bailleur de l’agence onusienne avec 553,1 millions de dollars. La contribution de la Chine sur ces deux ans s’élève à 7,9 millions de dollars.

Le budget provient de deux sources : les contributions fixées pour les Etats membres, qui représentent presque 20% du budget de l’OMS et des contributions volontaires, pour les 80% restants. Concernant les contributions fixées, chaque Etat verse un pourcentage : pour la période en cours, 22% des Etats-Unis et 12 % de la Chine (12%).

Les contributions volontaires peuvent être versées par des Etats membres mais aussi par des organisations internationales, des organisations non gouvernementales, des acteurs publics ou privés. La Fondation Bill & Melinda Gates est, par exemple, le plus gros contributeur volontaire non étatique.

Une réponse trop tardive ?

La Chine a accusé Donald Trump de « se soustraire à ses obligations » envers l’OMS. Un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a estimé que la démarche américaine visait à « salir les efforts de la Chine face à l’épidémie ». Il a exhorté Washington à « cesser de rejeter la faute » sur son pays et à se concentrer plutôt sur l’endiguement du virus, qui a contaminé plus de 1,5 million de personnes aux Etats-Unis et fait plus de 90.000 morts.

Les Etats-Unis et l’Australie ont réclamé l’ouverture d’une enquête sur la manière dont le coronavirus, identifié pour la première fois l’an dernier dans la ville chinoise de Wuhan, s’est ensuite propagé à travers la planète. Ces deux pays accusent notamment la Chine de ne pas avoir réagi de manière efficace dans les premières semaines de l’épidémie et d’avoir minimisé ses conséquences sur son territoire. Lors de l’assemblée mondiale de l’organisation, Tedros Adhanom Ghebreyesus a réaffirmé que l’OMS avait sonné l’alarme « rapidement » et « souvent », et qu’il lancerait une enquête « indépendante » sur la réponse à la pandémie « le plus tôt possible au moment approprié ».

Le soutien à l’OMS

La Commission européenne a soutenu l’OMS après les menaces du président américain. « C’est le moment où il faut faire preuve de solidarité, et non pas montrer du doigt ou saper la coopération multilatérale », a déclaré une porte-parole de la Commission européenne, Virginie Battu. « L’UE soutient la coopération internationale pendant cette crise », a-t-elle dit, soulignant que « les efforts multilatéraux étaient les seules options viables pour gagner cette bataille ».

La Russie a pour sa parrt dénoncé les tentatives américaines de « casser » l’OMS. « Nous sommes contre une casse (de l’OMS), qui irait dans le sens des intérêts politiques ou géopolitiques d’un seul Etat, autrement dit les Etats-Unis », a déclaré le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov. « Oui, il y a des possibilités de l’améliorer, des appels à sa réforme, et nous abordons ces appels de manière responsable et constructive et sommes prêts, comme auparavant, à participer énergiquement aux travaux pertinents en ce sens », a ajouté M. Riabkov. Le responsable indiqué que Moscou s’opposait à une « politisation de tout ce qui est lié à l’épidémie de coronavirus » et à « l’affaiblissement de l’OMS et sa transformation en plateforme pour les règlements de comptes politiques ».

La très grande majorité des hauts dignitaires ayant pris la parole à l’occasion ont par ailleurs chanté les louanges de l’OMS et de son patron, tout en reconnaissant la nécessité de renforcer cette agence spécialisée des Nations unies.

Le multilatéralisme dans le viseur américain

L’épidémie de coronavirus continue d’isoler les Etats-Unis au niveau de la coopération mondiale. Ils ont notamment été absents de toutes les tentatives pour coordonner une réponse globale à la crise, alors que le pays est lui-même particulièrement touché par le Covid-19.

Depuis son élection, Donald Trump ne cesse de prôner une Amérique sur le devant de la scène (« America First »), souvent au prix d’un retrait diplomatique et d’un abandon progressif du multilatéralisme. Bien avant la crise du coronavirus, les alliés européens ont été rabroués par le président américain, pas toujours de manière très diplomate, et les institutions internationales, notamment l’ONU, ont été pointées du doigt et accusées. La décision de suspendre le financement à l’OMS n’est qu’un symbole de plus du repli, volontaire, des Etats-Unis sur la scène internationale. (avec AFP)

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