Hervé Hasquin

Congo belge: humiliations congolaises

Hervé Hasquin historien, écrivain, académicien

Un exemple de bourrage de crâne ? Revoyez la collection Nos gloires éditée à la fin des années cinquante par la société Historia, 6 volumes. Réédités en un seul en 2019. Une assertion parmi d’autres. Les Belges ont fait du Congo « la plus belle colonie du monde ». « Civiliser un peuple, c’est mieux. Civiliser veut dire : guérir les corps et élever les âmes. Ce fut l’oeuvre de nos médecins et surtout de nos missionnaires », etc.

Le Congo devient officiellement une colonie belge le 15 novembre 1908. Quelques mois avant le décès de Léopold II. C’est le résultat d’âpres négociations et de difficiles débats parlementaires. Ce n’est pas l’enthousiasme. N’est-ce pas un trop lourd fardeau ? La Commission d’enquête a laissé des traces tant à l’intérieur qu’à l’international. C’est à contrecoeur que fin 1906, le « roi souverain » envisage de laisser son immense propriété à la Belgique. Son « domaine » africain compte environ 11 millions d’habitants. Quatre de moins qu’en 1885 ! Ultime vengeance du potentat à l’égard du monde protestant et anglo-saxon. En 1906, l’Etat indépendant du Congo signe une Convention scolaire avec le Vatican. Les missions catholiques ont la quasi exclusivité des écoles primaires et professionnelles destinées aux indigènes. Pendant un demi-siècle, la Belgique continuera à l’appliquer. Pour nombre de bons esprits, instruction et évangélisation vont de pair …La politique belge dans la colonie en matière d’instruction publique ? Freiner autant que possible le développement de l’enseignement secondaire et supérieur des Noirs. Un enseignement officiel ne leur sera accessible qu’à partir de 1955. Il n’existe qu’une voie royale pour la progression intellectuelle : la prêtrise. Un premier prêtre congolais en 1917. Environ 500 et deux évêques à la fin des années cinquante ! Voir germer l’idée que des Africains puissent remplacer des Européens dans les cadres de l’administration mise en place après la première guerre mondiale ? Pas avant 1959 ! Cette année-là, dans les trois niveaux supérieurs de l’administration, on dénombre 4875 Européens et 3 Africains. Il en va de même dans la Force publique. Un progrès. Elle est composée de Congolais et plus de mercenaires africains comme au temps du « potentat ». Mais même le grade d’adjudant est réservé aux seuls Européens. En 1960, il n’y a aucun Congolais ingénieur civil, médecin, juriste ou diplômé en sciences exactes. Pas étonnant. A la fin des années cinquante, notamment au sein de l’Académie royale, des professeurs d’université soutiennent que « le Noir n’est pas, ou si l’on veut, n’est pas encore doué pour les sciences mathématiques ni pour le raisonnement logique et rationnel … » ; il est donc vain de les pousser « dès à présent dans la voie des connaissances universitaires ». La création de l’université Lovanium (1954) favorise tout de même la diplomation de quelques licenciés en psychologie, pédagogie à partir de 1958.

La Belgique a mis un point d’honneur à éliminer les abus les plus inqualifiables de l’époque léopoldienne. Un début d’Etat de droit voit le jour. Mais que d’inégalités et de discriminations … Vers 1930, on distingue les indigènes civilisés, dénommés évolués à partir de 1947. L’appellation s’applique à de petits fonctionnaires, à des assistants médicaux, à d’anciens séminaristes, notamment. Un extraordinaire privilège leur est octroyé la même année. Il sont soustraits pour la plupart à la chicote (fouet) ! La Carte du mérite civique (1948) n’est attribuée que parcimonieusement : 1557 Congolais sur 13 millions la détiennent en 1958. Nouvelle catégorisation en 1952 pour les plus méritants des évolués, le statut d’immatriculé. Il correspond à une quasi assimilation au Blanc. On en compte 217 en 1958 ! Evolués et immatriculés ont quelques privilèges qui les distinguent de la « masse arriérée » (sic). Deux exemples. Ils ne sont pas interdits de circulation, à la différence des autres indigènes, dans les quartiers européens des villes entre 22 heures et 4 heure et demie du matin. Dans les églises, ils peuvent utiliser des prie-Dieu, derrière ceux des Européens. Les autres ne peuvent que s’agenouiller à même le sol. Etc, etc.

La colonisation belge ne fut ni pire ni meilleure que la française ou l’anglaise. Le Congo a hérité d’un imposant réseau d’infrastructures, d’un bon réseau en soins de santé. Mais la Belgique a totalement négligé, à la différence d’autres puissances coloniales, l’émergence de cadres indigènes. Elle a fait preuve d’un évident mépris à l’égard des Africains.

Les humiliations laissent toujours des traces indélébiles. Elles alimentent les rancoeurs et les préjugés. Une brochure vient de paraître à Kisangani (Stanleyville). Elle émane de la faculté de droit. Un message d’esprit critique. Il s’adresse aussi bien aux colonisateurs cyniques et un rien racistes qu’aux indigénistes haineux :

« L’Europe, y compris la Belgique, sont confrontées entre le refus de l’apologie de la colonisation et le risque de falsification de l’histoire ».

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