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Conflit au Yémen: ce qu’il faut savoir

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Des pourparlers de paix pour le Yémen auront lieu début décembre en Suède. La guerre au Yémen fait partie des conflits les moins médiatisés. La situation y est pourtant préoccupante. Voici quelques clés pour comprendre le conflit qui agite le pays depuis plusieurs années.

Des discussions entre le gouvernement yéménite et les rebelles Houthis seront organisées en décembre. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis « sont à fond derrière » ces négociations, d’après Washington. Les derniers pourparlers, organisés sous l’égide de l’ONU à Genève en septembre, avaient échoué, les rebelles n’ayant pas fait le déplacement, disant craindre pour leur sécurité.

Les acteurs en présence dans la région

La guerre au Yémen oppose des forces progouvernementales, soutenues par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, à des rebelles, appuyés par l’Iran et qui ont pris le pouvoir dans la capitale Sanaa début 2015. On y retrouve :

Les rebelles Houthis. Les Houthis sont d’obédience zaïdite, branche du chiisme qui se concentre dans le nord du Yémen et représente environ un tiers de la population. S’estimant marginalisés après l’insurrection de 2011 contre l’ex-président Ali Abdallah Saleh, les Houthis ont lancé une offensive fulgurante. Ils ont pris totalement Sanaa, la capitale, en janvier 2015. Forts de leur succès, ils ont ensuite avancé dans les autres parties du pays. Cible régulièrement de missiles balistiques tirés par les Houthis, l’Arabie saoudite accuse l’Iran, son principal rival régional, et le Hezbollah libanais pro-iranien, de conseiller et d’armer les Houthis. L’Iran dément. Mais selon des rapports américains, l’Iran aurait bien fourni des armes aux Houtis, violant de facto l’embargo sur les armes imposé par l’ONU. Certains analystes tempèrent cependant, arguant que la relation n’est pas aussi étroite qu’avec d’autres groupes, comme les milices chiites en Irak ou le Hezbollah au Liban.

Des soldats yéménites.
Des soldats yéménites.© REUTERS

Le parti de Saleh. Ali Abdallah Saleh, qui a été au pouvoir pendant 33 ans, a été allié aux Houthis de 2014 à 2017. Mais en décembre 2017, de violents combats ont opposé ses partisans aux Houthis qui lui ont reproché une ouverture vers l’Arabie saoudite. Saleh a été tué par des Houthis et ses fidèles se sont éparpillés, mais son parti, le Congrès populaire général (CPG), qui a longtemps dominé la vie politique, reste une force avec laquelle il faut compter.

Le président Hadi. Impuissant au début face à la rébellion, le président Hadi n’a repris l’initiative qu’à l’été 2015, grâce à l’intervention de la coalition sous commandement saoudien. Les Saoudiens ont réuni une coalition comprenant les Émirats arabes unis, Bahreïn et d’autres alliés traditionnels. Ils ont entamé une campagne militaire en mars 2015, le prince héritier Mohammed ben Salmane leur promettant une victoire rapide et facile. Leur soutien militaire a été le fer de lance du président Hadi et de son gouvernement.

Mohammed bin Salman
Mohammed bin Salman © AFP

Ryad et Abou Dhabi ont fourni aux partisans de M. Hadi des équipements ultramodernes et déployé des forces spéciales. La contre-offensive a permis la reconquête de points stratégiques. En 2017, les forces progouvernementales ont lancé une vaste opération dans le sud-ouest avec l’objectif de reconquérir toutes les zones sur la mer Rouge. Mais ces offensives piétinent, notamment autour du port de Hodeïda (voir encadré).

Les groupes jihadistes. Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa) a profité de l’affaiblissement du pouvoir central pour renforcer son emprise dans le sud et le sud-est du Yémen. Aqpa mène des opérations à la fois contre les Houthis et contre les forces progouvernementales. Il organise ponctuellement des attaques à l’étranger, comme celle qu’il a revendiquée contre Charlie Hebdo en 2015. Le groupe Etat islamique (EI) a signé ses premiers attentats en mars 2015 contre des mosquées chiites à Sanaa. Il a ensuite élargi ses opérations dans le sud, s’en prenant aux symboles de l’État et aux forces de sécurité.

Hodeïda, principal front de la guerre au Yémen

Hodeïda, sur la mer Rouge, est contrôlée depuis 2014 par les rebelles. Le port de cette ville est le point d’entrée de plus de 75% des importations et de l’aide humanitaire internationale. L’Arabie saoudite et ses alliés accusent les rebelles de faire transiter clandestinement des armes venues d’Iran par Hodeïda et ont imposé un blocus quasi total au port. Les Houthis et l’Iran nient ces accusations. La coalition anti-rebelles a lancé en juin une offensive pour reprendre la ville.

Un site détruit par des frappes aériennes.
Un site détruit par des frappes aériennes.© REUTERS

Où en est-on aujourd’hui ? D’un côté, la coalition progouvernementale a pénétré de quelques kilomètres dans l’est de la ville ce mois-ci et cherche actuellement à conserver ces gains. Ses atouts: elle est soutenue par les États-Unis -même si ces derniers ont récemment arrêté de ravitailler en vol les avions saoudiens-, elle dispose sur le terrain de forces yéménites entraînées par les Émirats arabes unis et dans les airs des forces aériennes saoudiennes. De l’autre côté, les Houthis maîtrisent les combats de type guérilla, ce qui représente un avantage dans les affrontements. Les rebelles ont aussi confirmé avoir recours à des mines dans les secteurs sous leur contrôle. Leur chef a souligné que ses hommes étaient prêts à se battre jusqu’au bout. Pour le moment, il n’y a ni vainqueur ni vaincu. « Les perdants, ce sont les civils yéménites », souligne Kristine Beckerle, chercheuse sur le Yémen à Human Rights Watch.

Victimes, famine et urgence humanitaire

Le nombre de victimes est difficile à déterminer, notamment à cause de la difficulté à les signaler. Le conflit a déjà fait quelque 10.000 morts et plongé 14 millions de personnes dans une situation de préfamine, selon l’ONU. En réalité, ces chiffres sont probablement largement sous-estimés.

Protestation contre l'effrondement économique du pays.
Protestation contre l’effrondement économique du pays.© REUTERS

Bien que le Yémen soit historiquement plus pauvre que ses voisins, la guerre a aggravé la situation et généré une crise humanitaire. L’économie s’est effondrée, et peu de personnes peuvent désormais se permettre d’acheter des produits de première nécessité. L’envoyé spécial de l’ONU estime que le conflit yéménite « reste la plus grande catastrophe humanitaire au monde » qui nécessite une « action urgente ».

Dans une étude publiée cette semaine, l’ONG Save The Children a estimé à 85.000 le nombre d’enfants morts de faim ou de maladie depuis 2015. « Nous sommes horrifiés par le fait qu’environ 85.000 enfants soient morts de faim. Pour chaque enfant tué par des bombes et des balles, des douzaines meurent de faim et on peut l’éviter », a déploré Tamer Kirolos, directeur de Save The Children pour le Yémen.

Réaction prudente de la communauté internationale

Les puissances occidentales se sont intéressées davantage au conflit au Yémen après l’affaire Jamal Khashoggi, ce journaliste saoudien tué début octobre au consulat saoudien à Istanbul. Les Houthis et la coalition menée par l’Arabie saoudite sont accusés par l’ONU de crimes de guerre. Les Saoudiens ont notamment été accusés d’avoir bombardé des civils sans discernement.

Martin Griffiths , envoyé spécial de l'ONU.
Martin Griffiths , envoyé spécial de l’ONU.© REUTERS

L’ONU a fait pression pour la tenue d’un nouveau round de négociations, qui aura finalement lieu en décembre. Les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont appelé à la fin des hostilités. Les États-Unis, qui ont fourni pendant des années un soutien militaire et ont partagé des renseignements avec l’Arabie saoudite, ont mis un terme au ravitaillement en vol des avions saoudiens après l’affaire Khashoggi. L’émissaire de l’ONU Martin Griffiths va se rendre vendredi à Hodeïda avec l’objectif de demander une véritable accalmie avant les consultations de paix.(avec AFP)

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