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Comment Silvio Berlusconi va réaliser un incroyable come-back

Le Vif

Condamné pour fraude fiscale, déchu de son mandat de sénateur… On le pensait fini. Mais, à 81 ans, le Cavaliere réalise un incroyable come-back. Sa coalition pourrait l’emporter aux législatives, le 4 mars.

Il est partout. Le 18 janvier dernier, sur la chaîne Rete 4, il présente son programme électoral, entre deux barzellette, ses célèbres blagues de potache qui ravissent ses fidèles. Le soir même, au palais Grazioli, sa résidence romaine, il officialise son pacte avec les deux formations d’extrême droite, Frères d’Italie et la Ligue (ex-Ligue du Nord). Le 22, à Bruxelles, il rencontre le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, pour évoquer sa  » conviction européenne « . Deux jours plus tard, dans sa villa d’Arcore, près de Milan, il peaufine sa stratégie avec son état-major. Les élections législatives ont lieu le 4 mars, il ne reste que quelques heures pour finaliser les listes de candidats.

Silvio Berlusconi est de retour ! On le pensait hors jeu. Condamné pour fraude fiscale, l’ex-président du Conseil, une trentaine de procès au compteur, ne peut pas se présenter à une élection avant 2019. Qu’importe : son parti, Forza Italia, est l’un des grands favoris du scrutin. En Italie comme à Bruxelles, le Cavaliere est même considéré, à 81 ans, comme l’ultime rempart contre l’inquiétant mouvement populiste 5 étoiles, qui ne cesse de progresser dans les sondages. Berlusconi, sauveur de l’Italie ? Il faut se pincer pour le croire. Mais, parfois, en politique, tout arrive. Même le plus incroyable des come-back.

La coalition menée par Silvio Berlusconi semble aujourd'hui la mieux placée pour battre le Mouvement 5 étoiles.
La coalition menée par Silvio Berlusconi semble aujourd’hui la mieux placée pour battre le Mouvement 5 étoiles.© g. mangiapane/reuters

Ses adversaires politiques devraient pourtant le savoir : on ne tend jamais la main à un caïman – surnom de Berlusconi, immortalisé par un film de Nanni Moretti. En 1997, Massimo D’Alema en a fait l’amère expérience. Pour conquérir le pouvoir, cet ancien communiste, leader de la gauche, avait décidé de réformer la Constitution. Un moyen habile, pense-t-il alors, d’acquérir une stature d’homme d’Etat. Mais D’Alema commet une terrible erreur : il propose à Silvio Berlusconi de venir travailler à ses côtés. Sans doute se dit-il alors que son adversaire se trouve hors d’état de nuire. De fait, Berlusconi est au plus mal. Sa fulgurante conquête du pouvoir, trois ans plus tôt, a tourné court. Son gouvernement a été balayé au bout de huit mois. Son empire financier, Fininvest, est criblé de dettes. Les enquêtes judiciaires pleuvent de toutes parts, et son leadership, au sein de la droite, est fortement remis en question. Le Cavaliere gît à terre et personne n’imagine qu’il puisse revenir dans le jeu politique. Mais D’Alema va le remettre en selle.  » En proposant à Berlusconi de récrire avec lui la Constitution, une mission prestigieuse et régalienne, il lui a redonné une légitimité « , commente Dario Rivolta, l’un des fondateurs de Forza Italia. Devenu président du Conseil, en 1998, à la place de Romano Prodi, D’Alema réalise à quel point il s’est montré naïf. En peu de temps, le Caïman retrouve tout son mordant. En 2001, il balaie la gauche aux législatives et reprend le pouvoir. Croqué, D’Alema !

Seize ans plus tard, l’histoire se répète avec Matteo Renzi. Nommé président du Conseil en février 2014, après une victoire fulgurante, le leader du Parti démocrate se sent tout-puissant. Il a écrasé la droite et ringardisé son leader. A 77 ans, Berlusconi fait bien pâle figure devant le bouillant Florentin. Les électeurs ne s’y trompent pas. Ils basculent, en masse, dans le camp du jeune Renzi. Autour de Berlusconi, tout s’écroule. Les procès s’accumulent. Déchu de son mandat parlementaire, il est condamné à des travaux d’intérêt général dans un hospice pour personnes âgées. Ses collaborateurs désertent.  » Sa crédibilité était au plus bas, raconte Giovanni Orsina, politologue à l’université romaine Luiss. Chassé du pouvoir en 2011, sous la pression des marchés et de Bruxelles, il laisse le pays au bord de la banqueroute. Deux ans plus tard, il perd sa majorité parlementaire et est éclaboussé par le scandale des soirées « bunga-bunga ». Un désastre…  »

Son accord avec la Ligue, de Matteo Salvini (à dr.), pourrait lui permettre d'atteindre 40 %.
Son accord avec la Ligue, de Matteo Salvini (à dr.), pourrait lui permettre d’atteindre 40 %.© matarazzo/fotogramma/ropi-REA

Mais Renzi a un grand projet en tête : réformer la Constitution. A qui en parle-t-il ? A Berlusconi, bien sûr ! Que pourrait-il craindre d’un vieux saurien aux dents émoussées ?  » Renzi avait besoin des voix de Forza Italia, car il voulait mobiliser tous les partis du centre contre le Mouvement 5 étoiles, en plein essor « , poursuit Giovanni Orsina.

En janvier 2014, Renzi et Berlusconi signent un pacte, dit  » de Nazareno « , du nom du palais qui abrite le quartier général du Parti démocrate, au coeur de Rome. Tout à côté se trouve d’ailleurs le siège de Mediaset, l’empire télévisuel de Berlusconi. Entre voisins, on devrait s’entendre. Pourtant, l’accord fait long feu. Début 2015, les deux hommes se brouillent au moment de choisir un nouveau président de la République, une fonction principalement honorifique. Enivré par son succès aux élections européennes, Renzi impose son candidat, Sergio Mattarella, sans consulter son allié Silvio. Furieux, le Cavaliere claque la porte. Le pacte est rompu. Ironie du sort, Berlusconi revient pour la seconde fois dans le jeu politique… grâce à la gauche.

Pour remporter les élections, il s’est allié aux deux partis d’extrême droite

En 2016, celle-ci commence à montrer des signes d’essoufflement. Lors des élections municipales, le Parti démocrate perd la ville de Turin. Trop sûr de lui, Renzi ne voit pas venir le danger. Son référendum sur la réforme constitutionnelle, à la fin de l’année, vire au désastre. Désavoué, il démissionne. En face, Berlusconi jubile. Il en oublierait presque son coûteux divorce et ses soucis cardiaques. De nouveau, il se retrouve dans l’arène. Prêt à livrer son ultime combat.

En 2001, le Caïman a croqué tout cru le leader de la gauche Massimo D'Alema (ici, en 1994).
En 2001, le Caïman a croqué tout cru le leader de la gauche Massimo D’Alema (ici, en 1994).© fotogramma/ropi-rea

Pour remporter les législatives, le 4 mars, Berlusconi s’est allié aux deux partis d’extrême droite : les Frères d’Italie, formation postfasciste, et la Ligue, dirigée par le Milanais Matteo Salvini. Fortement ancré dans les riches régions du Nord, ce parti souverainiste, farouchement opposé à l’immigration, à l’islam et à l’Union européenne, ne cesse de progresser. Il taquine aujourd’hui les 13 % – trois points de moins que Forza Italia. Face à eux, deux blocs : le Parti démocrate (23 % des suffrages), très affaibli par ses divisions, et l' » épouvantail  » 5 étoiles (28 %), incarné par son jeune candidat, Luigi Di Maio. Ce mouvement  » antisystème « , dont on cerne mal les contours idéologiques, donne des sueurs froides à l’establishment italien et à Bruxelles.

C’est justement cette carte que joue Berlusconi.  » Ce vieux briscard de la politique refait, avec les 5 étoiles, le coup de 1994, lorsqu’il s’était érigé en rempart contre la menace communiste, raconte un ancien compagnon de route. Et ça marche : il passerait presque pour un vieux sage !  »  » Berlusconi ne fait plus peur, confirme Lucio Malan, sénateur Forza Italia et candidat dans le Piémont. A trois reprises, il a dirigé le pays et n’en a pas pour autant instauré de dictature ! Il est très rassurant, surtout pour les personnes âgées, qui constituent le coeur de notre électorat.  »

Même à l’étranger, Berlusconi a redoré son blason. Pardonnées, ses moqueries envers Angela Merkel ou ses insultes envers Martin Schulz, traité de  » kapo  » en 2003. Oublié, son refus de créer un mandat d’arrêt européen, parce qu’il craignait d’être poursuivi pour corruption ou fraude fiscale sur le sol européen… L’enfant terrible de l’Europe se fait passer pour un parangon de vertu. Certains de ses contempteurs font même amende honorable. Auteur, en 2001, d’une célèbre couverture,  » Pourquoi Berlusconi est incapable de gouverner l’Italie « , le magazine The Economist reconnaît aujourd’hui qu’il pourrait être le  » sauveur de la péninsule « .  » Mieux vaut Berlusconi que Luigi Di Maio, juge, de son côté, Eugenio Scalfari, le fondateur du quotidien de gauche La Repubblica. Le Mouvement 5 étoiles n’a aucun programme, sinon tuer les autres partis. Il est dangereux.  »

Comment Silvio Berlusconi va réaliser un incroyable come-back
© F. MONTEFORTE/AFP

Improbable, il y a encore quelques mois, ce consensus résulte de deux circonstances. D’abord, l’instauration, en octobre dernier, d’une nouvelle loi électorale. D’une complexité diabolique (voir l’encadré plus bas), elle favorise largement les alliances, c’est-à-dire… Berlusconi lui-même. Sa coalition de droite est en effet la seule qui semble capable d’atteindre le seuil des 40 %, et de décrocher la  » prime de majorité « . Autrement dit, Forza Italia peut se retrouver au pouvoir, alors qu’il plafonne à 16 % !

Ensuite, Berlusconi n’a pas de réel concurrent.  » Il est très aidé par le grand vide de la politique italienne « , reconnaît Dario Rivolta. Cette absence de débat sidère Marco Travaglio, directeur du quotidien indépendant Il Fatto quotidiano. Selon lui, les Italiens sont tellement rassurés par une  » solution Berlusconi  » qu’ils en oublient de lui demander des comptes :  » Les électeurs ont la mémoire courte ! s’exclame-t-il. En tout, Berlusconi a passé plus de neuf ans à la tête de l’Etat. Quel est son bilan ? Qu’a-t-il laissé derrière lui, sinon une soixantaine de lois qui lui ont permis de protéger ses intérêts privés ?  » A croire que c’est la principale raison de son retour au premier plan :  » Berlusconi a encore des procès en cours, et il sait qu’il n’y a pas de meilleur moyen de se défendre et de préserver les intérêts de ses entreprises que d’assumer un rôle public « , confirme Dario Rivolta.  » Vous voulez entrer en politique, parce que, sinon, vous irez en prison « , assène au Caïman un des protagonistes du film de Nanni Moretti.

Luigi Di Maio, candidat du Mouvement 5 étoiles, inquiète l'establishment italien et l'Union européenne.
Luigi Di Maio, candidat du Mouvement 5 étoiles, inquiète l’establishment italien et l’Union européenne.© R. CASILLI/REUTERS

Mais, finalement, qui s’en soucie ? Et qui s’inquiète vraiment du coût astronomique de son programme ? Virtuose du double langage, Berlusconi est capable d’affirmer le matin, à Bruxelles, que le déficit public italien ne dépassera pas 3 % du PIB, et, le soir même, de multiplier les effets d’annonce sur l’une de ses chaînes de télé : instauration d’un  » minimum vieillesse  » de 1 000 euros, abolition des droits de succession, mise en place d’une taxe unique sur les revenus… Autant de vieilles recettes qu’il avait, déjà,  » vendues  » en 2001. Pas plus que ses concurrents, experts eux aussi dans l’art de la surenchère, il n’évoque toutefois la façon dont il va les financer. Selon certaines estimations, le programme de Forza Italia coûterait une centaine de milliards d’euros annuels. Où trouver l’argent, alors que la dette nationale dépasse déjà 155 % du PIB ?

Au fond, dans ces élections, une seule chose semble compter pour les partis traditionnels : barrer la route au Mouvement 5 étoiles. Et personne ne semble mieux placé que Berlusconi pour y parvenir.  » Paradoxalement, sa faiblesse fait sa force, analyse Ilvo Diamanti, professeur en sciences politiques à l’université d’Urbino. Berlusconi n’a plus le même poids électoral que par le passé, il est donc beaucoup moins « clivant » qu’à l’apogée de sa puissance. Aujourd’hui, il apparaît comme une sorte de médiateur, le seul qui soit capable de mener une coalition à la victoire.  » Berlusconi risque donc d’être un vainqueur  » par défaut « . Ou, dirait Machiavel, un moindre mal qu’il faut estimer comme un bien…

Par Charles Haquet et Vanja Luksic.

Et Silvio devint l’ami des bêtes

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© Capture d’écran

Pour les beaux yeux de sa nouvelle fiancée, Francesca, le  » Caïman  » est devenu végétarien. Il nourrit des agneaux au biberon et se passionne pour la cause animale. Pour sa septième campagne électorale, Silvio Berlusconi, 81 ans, a bien fait les choses. Les rides dissimulées sous une épaisse couche de fond de teint, la démarche alerte, il s’est préparé pendant plus d’un mois dans un centre de remise en forme. Et il a peaufiné son discours.  » Il a une incroyable capacité de communiquer avec les gens simples, remarque Lucio Malan, sénateur Forza Italia. Hier, par exemple, il parlait de Malte à la télévision. Tout de suite, il a précisé qu’il s’agissait d’une « île de la Méditerranée, plus petite que la Sicile ». Cela paraît évident, mais c’est justement là-dessus que Berlusconi fait la différence : il fait en sorte que personne ne se sente exclu quand il parle…  »

Berlusconi au centre du jeu

Elle donne des migraines aux juristes, tant elle est complexe. Savant dosage de proportionnelle et de scrutin uninominal, la nouvelle loi électorale, instaurée par le Parti démocrate, a été taillée sur mesure pour barrer la route du pouvoir au Mouvement 5 étoiles. Elle favorise en effet les alliances, ce que ce parti populiste a, jusqu’ici, toujours refusé d’envisager. Ironie du sort : la gauche, minée par les divisions, risque de ne pas profiter du système qu’elle a mis en place. Le grand gagnant ? Silvio Berlusconi. Son pacte avec les partis d’extrême droite Frères d’Italie et la Ligue lui permet en effet d’approcher le seuil des 40 % (condition pour obtenir la  » prime de majorité « ). En cas de victoire, Berlusconi devra toutefois composer avec le turbulent chef de la Ligue, Matteo Salvini. S’il échoue,il pourrait alors envisager une  » grande coalition  » avec le Parti démocrate.  » Nous ne le souhaitons pas, car nos programmes sont très différents, réfute Maurizio Gasparri, vice-président du Sénat. Mieux vaudrait avoir de nouvelles élections…  » Hypothèse possible, si personne n’atteint ces fameux 40 %. Autre scénario, qui donne des sueurs froides à Bruxelles : une alliance surprise entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles. Et une grande plongée dans l’inconnu. Verdict le 4 mars prochain.

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