Jan Cornillie

« Comment se fait-il que ce soient les pays d’Europe de l’Est qui adoptent une position aussi dure dans la crise des réfugiés ? »

Jan Cornillie Directeur du bureau d'étude du sp.a

« Les états membres d’Europe de l’Est sont coincés entre la peur de la migration de leurs propres citoyens et l’immigration de nouveaux venus qui pourrait les appauvrir », écrit Jan Cornillie (sp.a) à l’occasion du referendum organisé dimanche en Hongrie.

« Voulez-vous que l’Union européenne décrète une relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie sans l’approbation du Parlement hongrois ? ». C’est littéralement la question qui sera posée aux Hongrois dimanche dans un referendum lancé par Viktor Orban. Le premier ministre hongrois s’oppose depuis des mois à l’intention de la Commission de relocaliser (comprenez : répartir équitablement) 120 000 réfugiés – qui se trouvent actuellement en Grèce et en Turquie – ailleurs en Europe. L’issue du référendum est pratiquement certaine. Sur les neuf partis du parlement, seul un – le libéral – appelle à voter contre. Quatre autres, dont les socialistes, boycottent le referendum.

Bien que l’effet concret du referendum soit assez faible – la Hongrie doit accueillir à peine 1 294 réfugiés – la nature de la question suggère qu’il y a d’autres facteurs en jeu. À savoir que les relations entre l’Ouest et l’Est sont loin d’être au beau fixe. Il faut dire que l’attitude des pays d’Europe de l’Est dans l’UE est pour le moins ambiguë. D’une part, les pays du Visegrád (la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie) refusent de prendre leurs responsabilités dans la question des réfugiés, mais d’autre part, ils défendent bec et ongle leur droit de libre circulation au sein de l’Union. Uniquement des droits et pas de devoirs ? C’est la nouvelle devise ?

Un référendum pour lutter contre le dumping social

Entre-temps, nous avons l’habitude des referendums. Mais un referendum pour dire : « Nous ne participons pas à cette partie de l’UE, malgré notre accord au traité de l’UE », c’est nouveau. Les Britanniques ont eu au moins le courage de résilier le traité complet de l’UE, car sinon, chaque pays peut inventer quelque chose.

Pour lutter contre le dumping social, nous pourrions organiser un referendum qui pose la question « Voulez-vous que l’UE puisse contraindre la Belgique à l’emploi de non Belges sans l’approbation du Parlement national ? ». Les Irlandais pourraient demander à leur population si l’UE peut obliger l’Irlande à demander plus de taxes à Apple. Si on procède ainsi, il n’y aura plus beaucoup d’Union.

Comment se fait-il que ce soient les pays d’Europe de l’Est qui adoptent une position aussi dure dans la crise des réfugiés ?

Indépendamment de la question de l’approbation du Parlement national, la question qui se pose, c’est pourquoi ce sont justement les pays de l’Europe de l’Est qui adoptent une position aussi dure dans la crise des réfugiés. Faut-il chercher une raison psychologique, historique ? La réponse est oui, sans aucun doute, car la crainte de l’émigration de la population est une constante de l’histoire de l’Europe de l’Est. Il est regrettable de constater qu’on en tire si peu de leçons. Justement aujourd’hui.

Le scénario de l’exode

Dans son livre intitulé « Great Departure: Mass Migration from Eastern Europe and the Making of the Free World », l’auteure Tara Zahra explique comment, avant la Première Guerre mondiale, l’empire austro-hongrois s’est vidé vers les États-Unis. Après la Première Guerre mondiale, il fallait surtout « renforcer » les nouvelles nations. Comprenez : éviter que les habitants s’en aillent et que d’autres peuples viennent s’installer. Le contrôle de l’émigration et de l’immigration était vu comme une question de survie par les nouveaux États-nations.

Juste après la Seconde Guerre mondiale et avant la prise de pouvoir communiste, les pays de l’Europe de l’Est craignaient un nouveau dépeuplement. C’est pourquoi les gouvernements d’unité nationale ont instauré une interdiction de sortie pour leurs citoyens. Une fois que le Rideau de fer était là, on a durci l’emprise sur la migration. Quand le Mur de Berlin a fini par tomber, c’est justement ce scénario tant redouté qui s’est réalisé : après 1989 pas moins de 20 millions d’habitants ont quitté l’ancien Bloc de l’Est, une bonne moitié issue des 10 pays devenus membres de l’Union. Huit sur dix ont cherché une nouvelle vie en Europe occidentale.

Les états membres d’Europe de l’Est sont coincés entre leur peur de la migration de leurs propres citoyens et l’immigration de nouveaux venus, ce qui les appauvrit. Une note récente du FMI prouve que la nouvelle émigration a coûté beaucoup d’argent : une croissance plus faible, une compétitivité amoindrie et une moins bonne administration. Ceux qui partent sont plus jeunes et mieux formés que la population qui reste.

La prospérité en Occident et la faible administration de ces pays sont – toujours selon le FMI – les principales raisons de départ. Aussi n’est-il pas étonnant que le FMI conseille d’investir en un climat socio-économique attrayant, en création de jobs, en enseignement et en « climat plus accueillant à l’égard des immigrants ». Autrement dit, le FMI demande d’oeuvrer à une économie plus ouverte et à un État-providence solide et institutionnalisé. C’est cependant la seule leçon que Orban et co ne tirent pas de leur histoire.

Renforcement de l’État-providence et approche plus sévère du dumping social

Seuls le renforcement de l’État-providence et une approche plus stricte du dumping social peuvent apaiser les tensions entre l’Est et l’Ouest. Les referendums opportunistes ne sont pas la solution. Les pays de Visegrád feraient mieux de se dépêcher de faire ce choix avant de renégocier les fonds structurels européens, car Orban ne voudrait pas d’un referendum qui pose la question « Permettez-vous que l’UE oblige la Belgique à transférer de l’argent du contribuable en Hongrie sans approbation de notre parlement national ? ».

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