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Comment le « good guy » Justin Trudeau a été piegé par son image

Le Vif

A sept mois des élections fédérales, le Premier ministre est fragilisé par sa difficulté à contrer des accusations d’ingérence dans la justice.

Une pierre jetée dans un lac.  » C’est ainsi qu’un observateur averti de la scène politique canadienne résume l’affaire SNC-Lavalin, dans laquelle le Premier ministre libéral est englué depuis bientôt deux mois. De fait, Justin Trudeau avait plutôt bien mené sa barque, depuis son élection, le 19 octobre 2015, à la tête du pays. Incarnant une nouvelle génération de politiques, jeune, moderne et progressiste, soignant sa relation directe avec les citoyens à coups de selfies et d’assemblées publiques, il s’était imposé comme l’anti-Trump. A la fin de 2018, il était même parvenu à renégocier avec son ombrageux voisin l’accord de libre-échange Etats-Unis-Mexique-Canada. Seuls ses revirements sur l’environnement avaient entaché son image de leader en phase avec son époque.

A force de jouer les good guys, Trudeau aurait-il oublié que la politique est un champ de mines, y compris dans son propre camp ? Le 7 février dernier, la Une du Globe and Mail mettait directement en cause le chef du gouvernement : selon le quotidien anglophone, la ministre fédérale de la Justice a subi durant plusieurs semaines des pressions au plus haut niveau afin de l’encourager à éviter un procès au groupe d’ingénierie SNC-Lavalin, au coeur d’un scandale de corruption avec la Libye. Très vite, l’affaire a tourné à la crise politique, provoquant la démission de quatre membres du cabinet Trudeau : Jody Wilson-Raybould, à l’origine des révélations ; la présidente du Conseil du trésor ; le greffier du Conseil privé (le plus haut fonctionnaire du gouvernement) ; ainsi que Gerald Butts, le plus proche conseiller de Trudeau, son éminence grise.

Il a fallu attendre le 7 mars, soit un mois, pour que le Premier ministre s’exprime sur le dossier. Un silence dévastateur pour sa crédibilité. Et son intervention devant la presse n’a rien arrangé, car il n’a guère montré de pugnacité pour défendre sa version des faits. De quoi s’interroger sur sa capacité à mener les libéraux à la victoire lors des élections législatives en octobre prochain. Depuis les révélations, les conservateurs ramassent la mise dans les sondages, malgré le faible charisme de leur leader, Andrew Scheer. La présentation, le 21 mars, du dernier budget de la mandature, extrêmement généreux pour toutes les couches de l’électorat, n’a pas permis d’inverser la tendance, et encore moins de reléguer au second plan médiatique l’affaire SNC-Lavalin.

Rude début de campagne

Empoisonnée et empoisonnante, celle-ci ravive aussi les tensions récurrentes entre le Québec et les autres provinces : SNC-Lavalin, dont le siège est à Montréal, est une star du Québec Inc., même si elle emploie deux fois plus de salariés dans le reste du Canada que dans la Belle Province, laquelle représente un territoire clé pour la réélection de Trudeau. Selon l’ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, c’est l’une des raisons qui expliqueraient les pressions du Premier ministre et de son cabinet à son égard pour éviter à tout prix un procès à l’entreprise. Députée de Colombie-Britannique, la province la plus à l’ouest du pays, Jody Wilson-Raybould est d’origine autochtone – un élément fâcheux de plus pour Trudeau, dont l’un des objectifs était de parfaire la réconciliation avec les Premières Nations. A sept mois des élections fédérales, la campagne est déjà lancée. Elle s’annonce bien plus rude qu’en 2015 pour le good guy d’Ottawa.

Par Valérie Lion.

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