Matteo Salvini © REUTERS

Comment la droite radicale italienne met toute l’Union européenne sous pression

Kamiel Vermeylen Journaliste Knack.be

Le nouveau ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini de la droite radicale Lega veut réécrire les règles européennes en matière de migration. Ce n’est guère prometteur pour le sommet européen sur les migrations qui se tiendra bientôt à Bruxelles.

Le 3 février 2018, à Macareta, l’Italien Luca Traini tire sur six personnes. Si toutes sont d’origine africaine, ce n’est pas une coïncidence. Traini affirme qu’il a voulu se venger du meurtre de Pamela Mastropietro, une jeune fille de dix-huit ans. Le meurtrier présumé, un Nigérian de 29 ans, a été placé en examen jeudi par un procureur italien.

Mais bizarrement ce n’est pas l’attaque de Traini qui a mis le pays en ébullition. Le président de la droite populiste et droite Lega Matteo Salvini a souligné l’échec de la politique migratoire italienne. « La migration non contrôlée déclenche simplement un conflit social », déclaré Salvini pour défendre le coupable qui est un ancien membre de son parti. En soi, la réponse de Salvini n’est guère surprenante. En tant qu’ancien secrétaire du parti et actuel président de la Lega, l’ancien journaliste s’érige en seul sauveur d’une Italie culturelle catholique menacée par les réfugiés.

Cependant, Salvini se montre très sélectif. Lorsque l’an dernier, des demandeurs d’asile ont violé une touriste polonaise, le Milanais s’est fait passer pour le sauveur du pays. Mais quand cinq Italiens ont été arrêtés fin mai pour avoir drogué et abusé d’une touriste britannique, Salvini n’a pas mentionné la nationalité italienne des auteurs. Une telle antithèse s’inscrit parfaitement dans le discours populiste que Salvini utilise pour convaincre l’électeur de ses opinions. Pendant ce temps, règne en Italie l’idée que le pays est inondé par les migrants.

Selon le dernier Eurobaromètre sur l’intégration, les répondants italiens pensent que près d’un quart de la population est constituée de migrants nés en dehors de l’Italie. En réalité, il ne s’agit que de sept pour cent.

Mais la Lega ne se concentre pas exclusivement sur les migrants. Jusqu’en 2000, le parti se focalisait principalement sur les habitants du centre et du sud de l’Italie, mais après les attentats du 11 septembre 2001, il s’est mis à viser les immigrés. En raison de la prétendue crise des réfugiés en Europe, le parti a le vent en poupe depuis 2014.

Victoire électorale

Pour des raisons électorales, Salvini a décidé cette année de modifier le nom du parti « Lega Nord » en « Lega ». Après tout, ce sont surtout les populations du Sud qui gémissent sous la pression migratoire. Électoralement, les déclarations controversées et le changement de nom portent leurs fruits. Deux mois avant les élections du 4 mars 2018, la Lega a explosé dans tous les sondages. Étonnamment, le parti laisse également la Forza Italia de Silvio Berlusconi derrière lui. Le million d’électeurs au sud de l’Italie prouvent que la Lega est devenue un parti national.

Après une formation gouvernementale difficile, le parti unit ses forces au Mouvement Cinq étoiles, la formation anti-establishment du président Luigi Di Maio. Bien que les partis n’aient pas les mêmes programmes, ils se sont trouvés dans une aversion commune à l’égard de l’Union européenne. Di Maio souhaite se concentrer principalement sur l’intérieur et opte pour le portefeuille de Développement économique, entre autres pour introduire un revenu de base pour les chômeurs de longue durée.

Les deux partis choisissent Giuseppe Conte comme Premier ministre. L’avocat et le professeur d’université a admis lors de son discours qu’il surveillerait principalement l’accord de coalition. Plutôt technocrate, le Premier ministre technocrate doit garantir les bonnes relations entre les deux partis populistes.

Le pouvoir politique du gouvernement ne se situe donc pas tant au niveau du Premier ministre, qu’à celui de Di Maio et Salvini. Ce dernier n’a pas attendu pour faire parler de lui sur la scène européenne. Immédiatement après sa nomination, il a téléphoné au Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Ensemble, ils veulent mettre en place un réseau d’États membres européens qui s’opposent à la politique d’immigration de Bruxelles. Le ministre de l’Intérieur allemand Hirst Seehofer et le chancelier autrichien Sebastian Kurz, tous deux partisans d’une politique d’immigration stricte, peuvent compter sur l’approbation de Salvini.

Vu ce contexte, il est frappant que Salvini, dont le parti a surtout grandi en raison d’un manque de consensus européen en matière de migration, décide à présent de miner davantage cette solidarité.

L’échec de la solidarité européenne

Pourtant, cette solidarité européenne est primordiale pour comprendre la victoire électorale de la Lega. Depuis 2015, il apparaît de plus en plus clairement que les accords de Dublin approuvés en 2013 ne sont plus tenables pour la périphérie méridionale de l’Union européenne. C’est pourquoi la Commission européenne propose en mai de répartir les réfugiés depuis l’Italie et la Grèce sur le reste des États membres européens.

Les ministres européens de l’Intérieur, dont Jan Jambon, ont approuvé la proposition de la Commission en septembre 2015. Ils ont élaboré une clé de répartition sur base de laquelle les États membres doivent recueillir ensemble 120 000 réfugiés, en plus des 40 000 déplacements volontaires promis précédemment. Sur la base du produit intérieur brut, du taux de chômage, du nombre de demandeurs d’asile déjà reçus et du nombre d’habitants, il a été déterminé combien de réfugiés chaque État membre devrait recevoir. Pour chaque réfugié replacé, l’État membre concerné reçoit une somme de 6 000 euros du budget européen.

Mais cette solidarité obligatoire n’a pas été très respectée. Des pays comme la Pologne, la République tchèque, la Hongrie et la Slovaquie refusent toujours d’autoriser même un seul réfugié sur leur territoire. En outre, dans l’Union européenne, à l’exception de Malte et de l’Irlande, aucun État membre n’a actuellement tenu ses promesses. La Belgique s’est engagée à accueillir un total de 3 812 réfugiés, mais actuellement elle ne dépasse guère les 1 171 relocalisations.

Comme les États membres européens n’ont pas tenu leurs promesses, la pression migratoire en Italie n’a fait qu’augmenter, sachant que depuis 2014 pas moins de 700 000 réfugiés sont arrivés via la Méditerranée sur le continent. Comme l’accord européen controversé avec la Turquie s’appliquait seulement à la Grèce, les demandeurs d’asile se sont tournés encore davantage vers l’Italie comme alternative à la Grèce. Rien qu’en 2016, plus de 180 000 réfugiés sont arrivés en Italie, un record depuis le début de la crise des réfugiés.

L’Italie prend les rênes en mains

Ensuite, l’ancien Premier ministre italien Paolo Gentiloni a conclu un accord bilatéral avec le gouvernement libyen soutenu par les Nations Unies. L’Italie a promis beaucoup d’argent, de formation et de matériel en échange d’un meilleur contrôle des frontières libyennes. Le soi-disant « mémorandum d’accord » ne semble pas manquer son effet. Selon les derniers chiffres, 15 556 réfugiés sont arrivés en Italie cette année, soit une baisse de 76% par rapport à la même période l’année dernière.

Mais pour certains Italiens la coupe est pleine et pour Salvini aussi, la baisse de cette année ne suffit pas. « Pour les migrants clandestins, la belle vie est bientôt terminée », a déclaré Salvini, à Lampedusa. Il a annoncé que, à la fin de son mandat, 500 000 migrants seraient expulsés du pays. En outre, la semaine dernière, Salvini a refusé d’accueillir l’Aquarius, un navire d’ONG accueillant 629 réfugiés. Il a refilé la patate chaude à Malte, qui a renvoyé la balle tout aussi rapidement. Finalement, l’Espagne s’est déclarée prête à recevoir les réfugiés.

Salvini s’est heurté à de vives critiques de la part de l’Allemagne et la France. Le président français Emmanuel Macron, entre autres, a accusé l’Italien d’éviter ses responsabilités. Mais Salvini a sauté sur l’occasion pour riposter à Macron. « L’Italie n’a absolument aucune leçon à recevoir de la France », a-t-il dit. En soi, Salvini a raison. À l’heure actuelle a France n’accueille qu’un quart des réfugiés dans le cadre du mécanisme de relocalisation obligatoire. Si la France voulait éviter de tels scénarios, elle aurait dû mieux remplir ses obligations de réinstallation et préconiser une politique migratoire différente.

Et maintenant, l’Europe?

Pour conjurer la crise de réfugiés et d’accueil, les dirigeants européens et les chefs d’État ont décidé en février 2018 de prévoir 3,7 milliards de plus via la banque d’investissements européenne. Cet argent doit permettre à des initiatives publiques et privées d’attaquer les causes de fond de la migration en Afrique et de diminuer la pression migratoire à long terme. En outre, la Commission européenne a proposé mardi que le budget européen pour le prochain budget pluriannuel (2021-2027) soit triplé. Un fonds de 9,3 milliards d’euros est ainsi créé pour mieux protéger les frontières extérieures européennes.

D’un autre côté, la Commission européenne veut mettre les États membres sous pression pour coopérer au mécanisme de solidarité. La première proposition de budget pluriannuel prévoyait notamment que les États membres recevraient moins de budget s’ils ne veulent pas recevoir de réfugiés.

À la fin de ce mois, un nouveau sommet européen aura lieu à Bruxelles entre les chefs de gouvernement. La migration y sera notamment à l’ordre du jour. Les dirigeants négocieront entre autres la nécessaire réforme du règlement Dublin III. Celle-ci implique que l’État membre où le réfugié a posé pied la première fois est responsable de l’examen de la demande d’asile dans l’espace Schengen. Cela signifie non seulement que l’Italie doit traiter une grande quantité de demandes d’asile, mais qu’elle doit également s’occuper d’une montagne de rapatriements sur papier. Cependant, les réformes de la Commission européenne réalisées le 4 mai 2016 ne sont pas encore très populaires. Pas moins de 16 États membres sur 27 indiquent désapprouver la proposition actuelle. L’Italie a également annoncé qu’elle élaborerait une proposition.

Reste à savoir si un compromis peut être trouvé entre les différents États membres. Les pays qui préconisent un arrêt complet de la migration et qui sont prêts à mettre en péril la libre circulation de personnes dans la zone Schengen se sentent déjà plus forts maintenant que l’Italie, sous l’impulsion de Salvini, joue la même carte. La crise du gouvernement allemand se déroule également dans ce contexte. La victoire électorale de Salvini a en tout cas permis à ces pays de peser plus lourd au sommet.

Les pays qui ne veulent abandonner la zone Schengen sous aucun prétexte auront la tâche extrêmement difficile de proposer un compromis convaincant. Lors de la visite de Guiseppe Conte au président français Emmanuel Macron, ce dernier a proposé de créer des centres de migration dans les pays d’origine pour alléger la pression sur les pays d’Europe du Sud. Mais pour l’instant, on ignore si suffit pour mettre tous les États membres sur la même longueur d’onde. Conte s’entretient ce lundi avec la chancelière Angela Merkel pour accorder les violons.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire