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Chine-Japon: une flambée nationaliste savamment contrôlée

Les tensions nationalistes de ces dernières semaines entre la Chine et le Japon ne sont pas le fait du hasard. Les autorités chinoises sont coutumières de l’instrumentalisation du patriotisme, expliquent deux spécialistes de la Chine.

Les manifestations de ce 18 septembre ont constitué le point d’orgue de la récente montée de tensions entre la Chine et le Japon. Des milliers de Chinois ont protesté massivement devant l’ambassade nippone dans la capitale chinoise, des groupes d’étudiants chinois ont scandé « A bas le petit Japon! » et exprimé leur colère par des jets d’oeufs, de tomates et de bouteilles. Aucun rassemblement statique n’était toutefois autorisé sur l’avenue Liangmaqiao, fermée à la circulation sur plus d’un kilomètre.

Le défilé durait depuis plusieurs jours, sous le contrôle de centaines de policiers militaires. La date du 18 septembre correspond à « L’incident de Moukden », déclenché en 1931 par l’armée japonaise pour envahir la Mandchourie qui fut un prélude à la longue guerre sino-japonaise et à la Seconde Guerre mondiale.

Ce nouvel épisode des tensions sino-japonaises n’est pas vraiment une surprise pour Jean-Philippe Béja, directeur de recherche au CNRS: « Ce type de poussée de fièvre a déjà eu lieu en 1972à l’époque la Chine de Mao s’était tenue à l’écart), en 1996, en 2005, puis en 2010. »

En cause cette fois: la récente décision de Tokyo de nationaliser le petit archipel dénommé Senkaku par les Japonais et Diaoyu par les Chinois, huit îlots inhabités de la mer de Chine orientale revendiqués par les deux grands voisins. Annexées par le Japon à la fin de XIXe siècle, les îles, passées sous administration américaine au cours de la seconde guerre mondiale, ont été restituées au Japon en 1972, au grand dam de la Chine et de Taïwan.

« Renforcer l’unité autour du régime » « En fait, l’objectif du Japon, en décidant de racheter les îles à des particuliers auxquels ils appartenaient, était d’apaiser les tensions », explique Valérie Niquet, responsable du département Asie à la Fondation pour la recherche stratégique. « Il s’agissait justement d’empêcher des débarquements intempestifs comme celui opéré par des ultranationalistes japonais fin août ». Tokyo a en effet agit sous la pression des nationalistes emmenés par Shintaro Ishihara, connu pour ses provocations et ses sorties antichinoises: le gouverneur de la préfecture de Tokyo avait annoncé il y a quelques mois son intention d’acheter les îles grâce à une souscription pour le compte de la préfecture.

Le gouvernement chinois ne pouvait pas paraitre en reste, alors que le pays connaît de fortes tensions sociales depuis plusieurs années, les « laissés pour compte du miracle chinois manifestant de plus en plus souvent leur mécontentement. A ce malaise s’ajoute les rivalités politiques, ponctuées d’une série de scandales impliquant plusieurs hauts dirigeants, à quelques semaines du XVIIIe congrès du Parti communiste chinois qui doit voir le renouvellement des principaux cadres. « Le ressort nationaliste est donc le bienvenu pour renforcer l’unité autour du régime », observe Valérie Niquet. Pékin en a usé vis à vis du Japon mais aussi des Philippines et du Vietnam. « Pendant de nombreuses années, Le PCC et l’armée chinoise utilisaient la rivalité avec Taïwan pour resserrer les rangs ». Mais depuis que l’île est gouvernée par le Kuomintang, le parti pro-Pékin, cet instrument ne fonctionne plus.

On a aussi évoqué, pour expliquer la montée des tensions entre Tokyo et Pékin, la présence d’hydrocarbures et les eaux du secteur riches en poisson, mais cet aspect est secondaire pour Valérie Niquet. « Les ressources en hydrocarbures ne sont pas prouvées » fait-elle valoir. D’une façon générale, il y a une claire volonté de la Chine de manifester son émergence comme deuxième puissance économique mondiale, qui s’est traduite par une extension de ses capacités navales, ce qui préoccupe d’ailleurs l’ensemble de la région. « Pékin veut exercer son contrôle sur l’ensemble de la Mer de Chine et pas seulement sur ses eaux territoriales » analyse Valérie Niquet. « La Chine joue de cette stratégie de la tension et cherche à voir jusqu’où elle peut aller face aux Japonais et Aux Etats-Unis », l’autre grand parrain régional.

Mais les autorités chinoises, qui se sont montrées très habiles pour encourager la fièvre nationaliste sur internet et dans la rue, savent aussi qu’il ne faut pas trop souffler sur ces braises. Il s’agit surtout de « ne pas perdre le contrôle de manifestations qui pourraient se retourner contre le régime », explique Valérie Niquet. « Pékin va très probablement signer très vite la fin de la récréation nationaliste, prédit Jean-Philippe Béja, et plaider pour que les ‘Chinois transforment en force leur colère’ selon la phraséologie en vigueur à Pékin ».

Catherine Gouëset, L’Express.fr

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