© REUTERS/Victor Ruiz Caballero

Chili : un mois après le sauvetage des 33 mineurs

Le Chili s’était passionné pour le sort de ces mineurs bloqués au fond d’une mine pendant 70 jours. A leur sortie, ils étaient acclamés comme des héros. Le 25 octobre dernier, les « 33 » de San José étaient reçus au Palais de la Moneda, siège du gouvernement chilien à Santiago. Et depuis, que deviennent-ils ? Et comment va le pays, une fois l’émotion retombée?

Les 33 mineurs rescapés, des stars nationales

De simples mineurs, ils sont devenus des stars nationales. Si l’un des 33 mineurs, Franklin Lobos, avait connu l’attention médiatique quand il faisait partie de l’équipe nationale de football présente aux JO de 1984, les autres n’y avaient jamais goûté.

On leur a fait les cadeaux les plus fous. Des chèques, des motos, des voyages,… Les « 33 » ont accepté, à condition de pouvoir voyager soit en famille, soit en délégation de 70 personnes.

On leur a fait des propositions alléchantes pour écrire leur histoire : même un psychologue de l’aventure devrait céder aux sirènes de l’édition. D’autres propositions visaient à porter cette histoire sur petit et/ou grand écran. Sous forme de feuilletons hollywoodiens agrémentés d’un happy end lacrymal, bien sûr… Même l’industrie pornographique espère s’emparer de l’histoire de Yonni Barrios, de sa femme et de sa maîtresse, qui attendaient toutes deux le retour de leur homme à la surface, au camp Esperanza.

Trop c’est trop

Une semaine après leur sauvetage, certains des 33 mineurs commençaient à se plaindre des médias. « Parfois, je pense que j’étais bien mieux à l’intérieur de la mine, parce que toute cette situation me rend très nerveux et je ne peux pas dormir correctement », a même affirmé Omar Reygadas au journal chilien El Mercurio. Il est aussi apparu dans une émission vedette de la télévision publique chilienne aux côté de Mario Gomez. Ce dernier, le doyen des mineurs, s’est dit « super fatigué du harcèlement de la presse, des engagements avec les autorités, des voyages ».

« Je ne suis qu’un mineur. Cette histoire de la célébrité n’est pas pour moi », a estimé pour sa part le mineur Mario Sepulveda, considéré comme l’animateur du groupe… tout en accordant une interview exclusive à la chaîne américaine ABC. Quatre autres, Ariel Ticona, Victor Segovia, Esteban Rojas et Pablo Rojas, sont allés jusqu’en Espagne pour participer à une émission de quatre heures sur la chaîne de télévision privée Antena 3.

Après une semaine d’agitation, la bulle médiatique a cependant dégonflé pour la plupart d’entre eux. Et bientôt, leur vie devrait revenir à la normale. « C’est une illusion de penser que cela va changer leur vie. Dans un mois ou deux, beaucoup vont penser à retourner à la mine », estime le psychologue Alberto Iturra, qui a suivi les mineurs.

Un pacte du silence ?


Leur vie, leur profil, leur parcours, ont été passés en revue pendant leur odyssée souterraine. A leur sortie, ce sont les conditions de vie par 700 mètres sous terre que les médias ont voulu connaître de façon aussi détaillées que les trois plans de sauvetage que les autorités avaient mis en place!

Mais il est des secrets qui doivent rester enfouis sous terre. La venue d’un conseiller juridique lors de l’opération du sauvetage à San José le 13 octobre dernier, a fait naitre certains soupçons. « C’est une façon d’assurer le secret, de s’engager à ne pas raconter ce qui s’est passé en bas mais qu’ils ne veulent pas que l’on sache », avait alors commenté Alberto Segovia, frère d’un des « 33 ».

Pourquoi ce pacte de silence? Pour assurer le succès des dérivés écrits ou filmés de leur odyssée? Ou pour cacher certains détails peu glorieux de leur séjour forcé, notamment pendant les 17 premiers jours, alors que le monde extérieur ignorait s’ils étaient vivants ou morts?

Une autre visite rendue au bout de 30 jours d’enfermement pour les mineurs est susceptible d’entraîner des rumeurs. Celle de quatre anciens rugbymen uruguayens, survivants de ce que l’on a appelé le « miracle des Andes ».

En octobre 1972, alors qu’ils franchissaient la cordillère pour aller disputer un match au Chili, leur avion s’écrasait. Pour survivre pendant 72 jours, les rescapés avaient dû manger leurs compagnons décédés dans l’accident. Leur témoignage, et notamment cet épisode d’anthropophagie, avait choqué l’opinion publique.

Retour à la mine San José


Les salariés de la compagnie San Esteban, qui gère la mine San José qui s’occupe de l’extraction de l’or et du cuivre, ont rapidement rappelé qu' »à San Esteban, nous ne sommes pas 33, nous sommes 300″. Des salariés qui réclament leur dû: « 70 jours sans argent et travail ; ça suffit maintenant. Ne nous volez pas », pouvait-on lire sur des banderoles brandies quelques jours après l’opération de sauvetage.

Les responsables de San Esteban ont répété pendant des semaines que leur entreprise ferait prochainement faillite. Ce qui leur aurait permis d’éviter de « payer les dettes, les frais de personnel et les frais de secours liés à l’accident survenu le 5 août ». Ces frais ont été estimés « entre 10 et 20 millions de dollars » (7 à 14 millions d’euros) par la présidence chilienne.

« Manque de bol, raconte Rue89.com, un technicien qui a travaillé plus de deux mois autour des machines de sondage qui se sont affairées nuit et jour pour faire sortir les 33 mineurs, a lâché l’information à la presse locale: les forages ont mis à jour de nouvelles veines de la mine San José. D’or et de cuivre. Les patrons de la mine ne pourront plus parler de faillite. Il va falloir payer. Et payer cher ».

Mais payer qui? C’est tout le problème, expliquent les représentants des mineurs de San José : « L’entreprise a des arriérés à verser à ses salariés. Elle dispose de ressources financières, mais elle ne peut pas y toucher… parce qu’un tiers a mis une option dessus après le sauvetage des 33 mineurs : le fisc chilien ». Du coup, les salariés se tournent vers l’Etat pour lui demander de les rémunérer directement. Réponse du ministre des Mines, Laurence Golborne, dont la cote de popularité a explosé en octobre: c’est une affaire « entre acteurs privés », le gouvernement n’a pas à s’en mêler.

Les autorités chiliennes ont en revanche entrepris d’enquêter sur l’accident de San José : certains mineurs ont affirmé que la direction avait été avertie d’un risque souterrain quelques heures avant l’éboulement du 5 août. La direction, tout en s’excusant pour ces 70 terribles jours, dément. Fallait-il accorder aux mineurs la permission d’abandonner les lieux de façon préventive? Le procureur de Copiapo se penche sur la question. Une enquête parlementaire et une enquête administrative ont également été ouvertes.

Comment va le Chili?


« La tragédie a fait du bien à l’âme du pays », estimait le ministre de l’Intérieur Rodrigo Hinzpeter il y a un mois. Les préparatifs de l’opération San Lorenzo, du nom du saint-patron des mineurs, coïncidaient avec ceux du bicentenaire de l’indépendance chilienne. La vague de fierté nationale devait rapidement déferler sur le pays, gonflant par la même occasion la cote de popularité des hommes politiques. Et notamment du président Sébastian Piñera, fraîchement élu. Il a été critiqué pour sa gestion lente et peu efficace du séisme et du tsunami qui ont touché le pays en février dernier. Mais sa cote de popularité a été gonflée par l’histoire des « 33 ».

Auréolé du succès de l’opération de sauvetage, il entreprenait une tournée européenne. « Le sauvetage des mineurs a transformé le Chili », indique t-il dans le Figaro. « Faire les choses ‘à la chilienne’ est désormais synonyme de faire très bien les choses ».

La preuve, une réplique de la navette ayant permis de remonter les mineurs, un à un, était envoyée à l’exposition universelle de Shanghai avant sa clôture mi-octobre. Aux côtés de la petite sirène danoise ou des toiles impressionnistes du Musée d’Orsay…

Que reste-t-il de cet élan patriotique aujourd’hui? Pas grand chose… « Les apparitions médiatiques des mineurs se font plus sporadiques et, alors que les Chiliens voudraient se sentir acteurs de cet exploit, les problèmes refont surface », écrit le quotidien espagnol El Pais . Pour reconstruire le pays, pour améliorer les conditions de travail, les Chiliens exigent désormais une opération de sauvetage de même envergure que celle du 13 octobre dernier.

Le Vif.be, avec Marie Simon

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