Chelsea Clinton © Reuters

Chelsea, l’atout majeur d’Hillary Clinton

La fille des Clinton est devenue l’un des piliers de la fondation familiale. A la fois lisse et « people », elle devrait jouer un rôle clef dans la campagne des primaires de Hillary. Au risque d’exposer à de nouvelles critiques un clan jamais à l’abri des controverses.

Maman est en vadrouille. Ce 23 avril, dix jours après avoir lancé sa campagne pour l’élection présidentielle de 2016, Hillary Clinton sillonne les routes de l’Iowa, suivie par un convoi de gardes du corps et de conseillers stratégiques, pour une « tournée d’écoute ». La presse est tenue à distance, par crainte qu’elle ne trouble sa « rencontre avec le peuple américain ». Le même jour, la fille de Hillary s’adresse à l’élite. Restée à New York, Chelsea Clinton défend avec aplomb la réputation cérébrale du clan Clinton à la tribune du Council on Foreign Relations, le nec plus ultra des cercles de réflexion américains. Vêtue d’une robe d’un rouge tonique, un sourire diplomatique aux lèvres, la jeune coprésidente de la Bill, Hillary and Chelsea Clinton Foundation, une ONG philanthropique forte de 2 milliards de dollars, décline minutieusement le nouveau plan afin de mesurer les progrès de l’égalité des sexes et la promotion sociale des femmes dans le monde. Tout y passe. Si l’humaniste surdiplômée bombarde l’assistance de concepts à trois syllabes, servis avec une pointe d’accent sudiste, l’autre Chelsea, formée à Wall Street pendant six ans, ne lésine pas sur les chiffres: elle égrène les taux de scolarisation en Inde tout en balayant de son regard bleu un parterre de sociologues, tout aussi captivés que les journalistes.

Hillary, Chelsea, Bill Clinton montant à bord d'Air Force One, en septembre 1997
Hillary, Chelsea, Bill Clinton montant à bord d’Air Force One, en septembre 1997© Reuters

La fille de Bill et Hillary a su prendre son temps avant de se dévoiler au monde. L’enfant unique du couple politique le plus célèbre de la planète aura attendu de devenir la mère comblée d’une petite Charlotte, née en septembre dernier à New York, pour poser, à 35 ans, en Gucci en une de Elle, après s’être vu consacrer des portraits dans les magazines People, Vogue et même dans le journal économique Fast Company. Mais des détails en disent plus encore sur cette volonté calculée de se placer sous les projecteurs: sa page Facebook bondée, qui mentionne « personnage public »; ses apparitions dans les talk-shows et devant les conseils d’administration de six organismes philanthropiques; ses discours dans les think tanks; son apparition sur la scène du festival culturel South by Southwest (Texas).

Née en 1980, quand Bill était déjà depuis un an gouverneur d’Arkansas, l’enfant était tellement protégée des médias qu’une majorité d’Américains ignorait encore son existence en 1992, plusieurs mois après l’entrée de son père dans la course à la présidentielle. L’Amérique l’a vue grandir, de loin, sur les pelouses de la Maison-Blanche, pré-ado frisottée et affligée d’un appareil dentaire ingrat, perdue malgré ses gorilles parmi les rejetons de la gentry dans la très chic école Sidwell Friends, à Washington. De cette enfance sans histoires, seule une photo a marqué la légende. Elle date de 1998, en pleine affaire Lewinsky, et montre Chelsea de dos, avançant entre ses deux parents vers l’hélicoptère, à destination d’une résidence d’été de Martha’s Vineyard. Un trait d’union innocent entre Bill et Hillary, image orchestrée de rédemption d’un couple ravagé. On ne s’étonne pas qu’elle ait pris le large dans la foulée. Elle s’inscrit à Stanford en Californie, une fac choisie autant pour sa réputation que pour son éloignement de 4000 kilomètres des affres de Washington, avant de rallier… Oxford, en Angleterre, pour un master en relations internationales.

Derrière la façade, une question subsiste: à quoi peut servir Chelsea?

Ses débuts professionnels confirment ce besoin d’émancipation. En 2003, à l’âge où sa mère, étudiante à Yale, entendait changer le monde et participait à l’éviction de Richard Nixon au sein de la commission d’enquête sur le Watergate, Chelsea, revenue à New York, entre au cabinet de conseil McKinsey comme jeune analyste du secteur médical et pharmaceutique, puis, trois ans plus tard, rejoint un hedge fund de Wall Street. « Mes parents ont tous deux passé leur vie dans le service public et je ne pouvais entrevoir mon avenir qu’ailleurs, dans le privé, confie-t-elle à Fast Company. J’ai longtemps tenté de m’intéresser à l’argent sans jamais réussir à y voir une vraie mesure de la réussite. » En quittant Wall Street, au début de 2011 pour achever un doctorat en santé publique à la New York University, Chelsea poursuit sa quête identitaire, mais sans renier son milieu. Un an plus tôt, elle a épousé Marc Mezvinsky, un espoir de Goldman Sachs, aujourd’hui patron de son propre hedge fund. Un fils d’amis de longue date des Clinton, aussi. Le jeune couple a acheté pour un peu plus de 9 millions de dollars en 2013 un appartement palatial de 500 mètres carrés dans le Whitman Building, un joyau immobilier de Manhattan. Ce foyer cossu, niché sous le penthouse à 22 millions de dollars de la voisine, la chanteuse Jennifer Lopez, recèle une bibliothèque pléthorique, à la mesure d’une universitaire érudite, un temps employée dans la hiérarchie de la New York University, et encore enseignante à la prestigieuse fac Columbia. Ses joggings incognito sur les berges de l’Hudson, sur West Street, ses arrêts éclair au coffee-shop chez Birch, ses promenades avec Marc et leur chienne, Soren (en hommage au philosophe Kirkegaard), derrière le landau de Charlotte s’inscrivent dans la banale chronique quotidienne des idoles new-yorkaises. Tout comme les spéculations des tabloïds, en 2012, sur un passage à vide de leur mariage. Derrière la superbe façade du Whitman, une question reste pourtant sans réponse: à quoi peut servir Chelsea Clinton?

Dorothy Rodham, sa grand-mère maternelle, maltraitée pendant son enfance, l’avait gentiment taraudée à son retour d’Oxford, rappelant à la jeune nantie que « le sort avait fait d’elle Chelsea Clinton, et qu’il lui appartenait à son tour d’en faire quelque chose ». Dont acte. Est-ce le souvenir de l’adulation des foules de supporters démocrates, lorsqu’elle accompagnait sa mère sur les tribunes des primaires de 2008? Ou le souvenir du délire médiatique autour de son mariage princier à 3 millions de dollars, offert par ses parents en juillet 2010 dans la vallée de l’Hudson? Chelsea avoue dans Vogue qu’elle souhaite maintenant profiter de cette attention pour « promouvoir des causes d’importance ».

« Inattaquable et immaculée »

Son premier choix est plutôt malvenu. La chaîne NBC, qui avait déjà embauché Jenna Bush, l’une des filles de l’ex-président, comme reporter, lui propose à son tour une contribution régulière dans un nouveau magazine d’information, où elle doit célébrer les bonnes actions d’Américains ordinaires. De ses trois ans de prestations parfois fort ennuyeuses, limitées à des interviews d’enfants malades soutenus par des collectes publiques, on a surtout gardé en mémoire son salaire, l’équivalent de près de 500 000 euros annuels pour de rarissimes apparitions à l’écran.

Tant qu’à user de son star power, la nouvelle Chelsea semble avoir trouvé sa voie à la tête de la Fondation Clinton, où elle secondait Hillary depuis 2013. Mais le début de la campagne des primaires fait déjà saliver les stratèges électoraux. « Leur fille est inattaquable, immaculée, clame Hank Sheinkopf, consultant démocrate lors de la campagne pour l’élection au Sénat de Hillary en 2000. Sa présence en campagne ajoute une touche « famille » qui neutralise la controverse. Ensuite, elle offre un accès précieux aux électeurs de sa génération, prisée par le camp de Hillary, tandis que les plus âgés, qui l’ont connue enfant, retrouvent en elle le souvenir des années 1990. Cette époque où l’économie allait bien! »

« Pour lever les fonds de campagne, elle vaut de l’or »

Chelsea et Hillary Clinton
Chelsea et Hillary Clinton© Reuters

Soit. Chelsea, baignée depuis l’enfance dans la stratégie politique, pourrait se voir confier un rôle plus actif que celui des primaires de 2007. Bill Clinton a déclaré en 2013 que sa fille l’avait convaincu de revenir sur son refus du mariage homosexuel, aujourd’hui à nouveau au centre de l’actualité en raison d’auditions décisives à la Cour suprême. Ses interventions sur l’égalité des femmes, au nom de la Fondation Clinton, pourraient séduire les jeunes électrices.

Pour avoir vu George W. Bush participer à la campagne de son père en 1987, Doug Wead, ancien de la Maison-Blanche républicaine et auteur d’un best-seller sur les enfants de présidents, ne doute pas que Chelsea sera au coeur de la campagne de Hillary. « Peut-être pour veiller au grain en tant qu’alter ego de la patronne, assurément pour court-circuiter ses conseillers afin de dire la vérité à sa mère, si nécessaire, confie-t-il. Surtout, elle vaut de l’or pour les levées de fonds de campagne. Si vous souhaitez donner 2000 dollars pour soutenir Hillary, préféreriez-vous être pris en photo avec le sénateur Tartempion ou avec Chelsea? » L’argent est le nerf de la guerre électorale, mais il pourrait nuire à l’image virginale de la fille Clinton. Déjà raillée pour son salaire à la NBC, elle est aussi épinglée pour son rôle croissant au coeur du réseau financier de ses parents. Malgré une réelle expérience acquise à Wall Street, sa nomination, en 2011, au conseil d’administration de IAC, la firme de Barry Diller, pour des jetons de présence d’une valeur de 50 000 dollars par an et 250 000 dollars en actions, a pu être interprétée comme un geste des plus amicaux envers ses parents, autant que comme une confirmation de l’attrait de sa célébrité.

Depuis la démission de sa mère de la tête de la Fondation Clinton, en avril dernier, pour cause de campagne, le rôle de Chelsea s’y est renforcé, au point de l’exposer potentiellement aux controverses liées à l’immense réseau de donateurs de l’organisation. Chelsea n’a pas démérité, commandant, avec l’accord de son père, en 2013, un audit massif sur la gestion et sanctionnant les conflits d’intérêts d’un des dirigeants. Les investissements philanthropiques ont été sériés, épurés de leurs doublons, soumis à des objectifs chiffrés. Cette spécialiste de la santé publique s’est rendue au Nigeria afin d’organiser les négociations sur la baisse des prix de médicaments indispensables au traitement des diarrhées infantiles. Aux Etats-Unis, elle travaille sur l’amélioration de la nourriture dans les prisons pour mineurs. Il n’empêche: l’annonce par le New York Times que des intervenants russes, désireux de racheter des mines d’uranium américaines, avaient multiplié les donations à la Fondation entre 2009 et 2013, apparemment dans l’espoir d’obtenir les bonnes grâces de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, a troublé le début de campagne de la candidate. Comme les révélations sur le cachet d’un demi-million de dollars payés à la même époque à Bill Clinton par une banque russe pour un discours prononcé à Moscou.

Chelsea Clinton, à la tribune du Council on Foreign Relations, le 23 avril, n’a pu échapper à une question sur le sujet. Avec un talent atavique, elle a botté en touche d’une voix suave et posée, promettant « plus de transparence encore ». Le lendemain, un communiqué annonçait son départ prochain, avec son père, pour une tournée opportune en Afrique au nom de la Fondation, loin des médias. La campagne présidentielle a commencé. Pour Chelsea, la période de réserve vient de s’achever. Elle aura duré trente-cinq ans.

Par Philippe Coste

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