Actuellement, la Colombie exporte 70% de son charbon vers l'Europe © REUTERS

Ce « charbon de sang » qui alimente toujours les entreprises énergétiques européennes

Stagiaire Le Vif

Entre 1996 et 2006, des factions paramilitaires ont semé la terreur dans la région du César, en Colombie, au profit des intérêts de deux entreprises charbonnières, Drummond et Prodeco, une filiale de Glencore. Les conséquences désastreuses sont encore bien présentes malgré la décennie écoulée.  » Le charbon de sang  » est en effet toujours exporté massivement en Europe.

Ce jeudi 12 mai, Maira Mendez Barboza, une colombienne dont le père fût tué par un groupe paramilitaire en 2001, était à Paris pour y interpeller les dirigeants d’EDF lors de l’assemblée générale du groupe français. Le groupe importe toujours du charbon colombien dont l’extraction a été associée à des milliers d’assassinats, déplacements et autre climat de terreur.

Elle raconte, au journal Libération: « Mon papa travaillait depuis sept ans pour l’entreprise américaine Drummond, il conduisait des camions. Une nuit, à 2 heures du matin, en février 2001, environ 30 paramilitaires sont arrivés chez nous. Ils ont ordonné à mon père de sortir de la maison, en menaçant d’y jeter une grenade s’il ne s’exécutait pas. Après avoir volé nos objets de valeur, ils ont accusé mon père d’être syndicaliste. Mon père a dit : « Oui, je suis syndicaliste« . Et ils lui ont tiré neuf balles dans le corps, sous nos yeux. J’avais 15 ans. Ils ont tué aussi le président et le vice-président de ce syndicat, un autre responsable syndical, beaucoup de villageois ».

Cela fait un mois que Maira Mendez Barboza se déplace en Europe, à travers sept pays dont des compagnies énergétiques importent le « charbon de sang ». Un long périple pour conscientiser les actionnaires, les politiques et les populations européennes aux massacres qui se sont déroulés pendant 10 ans et qui restent, pour le moment, toujours impunis.

Aucune compensation pour les victimes

En effet, son histoire symbolise les 3.100 décès et les 55.000 personnes qui ont été déplacées à cause des violences paramilitaires durant cette période. En outre, près de 300 personnes sont toujours portées disparues. Les victimes ou les survivants n’ont jamais reçu aucune reconnaissance ou compensation vis-à-vis des souffrances infligées.

« Je vais demander aux dirigeants d’EDF d’agir car ils sont aussi complices. Je vais leur demander de reconnaître publiquement notre statut de victimes, de suspendre les liens du groupe avec le charbon provenant de Drummond ou Prodeco, et de s’assurer que ces entreprises s’engagent à réparer leurs actes« , ajoute la jeune femme, dans l’espoir que les victimes obtiennent réparation. Par ailleurs, la situation ne semble toujours pas s’être détendue, malgré le départ des factions paramilitaires : « Nous avons toujours peur. Le président d’une association de victimes a reçu des menaces de mort, quand les personnes déplacées réclament de pouvoir revenir sur leurs terres, elles font l’objet d’intimidations. Il faut que les gens, en Europe, sachent d’où vient le charbon qu’ils achètent et qu’ils comprennent que ces violations des droits de l’homme ne sont pas qu’une affaire du passé, elles sont toujours d’actualité« .

Elle est soutenue dans sa démarche par les ONG PAX et les Amis de la Terre. La première représente les victimes et considère que les compagnies énergétiques européennes devraient arrêter d’acheter du charbon venant de la région du César jusqu’à ce que Drummond et Prodeco/Glencore se décident à offrir des compensations aux victimes. Cette ONG a d’ailleurs annoncé qu’une campagne publique serait initiée dans le courant du mois de mai si les compagnies énergétiques ne changeaient pas d’attitude.

Actuellement, environ 70% de la production du charbon extrait par ces deux entreprises est vendue à desénergéticiens européens, rapporte une note de l’ONG, les Amis de la Terre. Un business juteux pour le pays d’Amérique latine sachant que le pays exportera, dans les prochaines années, environ 100 millions de tonnes par an selon le ministre de l’Énergie Tomas Gonzalez.

Pas de changement prévu du côté d’EDF

Interpellé hier, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, reconnait le drame vécu par la famille de Maira, néanmoins, il dit ne pas voir le lien entre EDF et les exactions commises dans la région de César et nie toute responsabilité pour l’entreprise dans la réparation des violences passées et la garantie de non-répétition, rapporte l’Observatoire des multinationales. Une déclaration contradictoire avec la Charte éthique de l’entreprise. Cette dernière met en avant la protection des droits de l’Homme. La société avait déjà fait un premier pas vers la sortie du charbon en s’engageant avant la COP21 à ne plus ouvrir de centrales à charbon tout en mettant en avant sa responsabilité dans la lutte contre le changement climatique. Cependant, cela reste toujours mieux que l’attitude de l’italien Enel, qui a tout simplement refusé de recevoir Maira et les représentants d’ONG, selon ces derniers.

Pour le moment, seule la compagnie danoise Dong a choisi de prendre des mesures et stopper l’importation du « charbon de sang ». Dès 2006, l’entreprise avait cessé tout échange avec Drummond et a annoncé fin-avril son intention d’arrêter son importation de charbon extrait par Prodeco. Histoire de fonctionner à partir d’une approche plus responsable. À voir si d’autres suivront la même voie…

Par F.Ca.

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