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« Castro savait que Kennedy serait tué »

Le leader cubain savait que Lee Harvey Oswald projetait de tuer JFK, affirme Brian Latell, ancien analyste de la CIA et spécialiste de Cuba, dans Castro’s secrets (Les secrets de Castro) publié ce mardi aux Etats-Unis. Polémique à l’horizon.

Qu’avez-vous découvert au fil de vos recherches sur les services secrets cubains et américains?

Tout simplement que Fidel Castro savait à l’avance que John F. Kennedy allait être la cible d’une tentative d’assassinat le 22 novembre 1963 à Dallas (Texas). Et que, par conséquent, il a menti en affirmant, dès le 23 novembre à la radio cubaine, qu’il ignorait tout de Lee Harvey Oswald, l’assassin du président. Il a d’ailleurs réitéré cette affirmation à l’occasion d’un second discours dans les jours qui ont suivi l’assassinat, avec une curieuse insistance.
Or je pense démontrer, au-delà de tout doute raisonnable, que la Direction générale de l’intelligence (DGI, les services secrets cubains) connaissait l’existence de Oswald depuis 1959 lorsque celui-ci était engagé dans les Marines en Californie. Ce dernier avait alors pris contact avec des officiels castristes à Los Angeles parce que, à l’instar de nombreux jeunes de sa génération, il voulait « se battre pour Fidel ».

Sur quels éléments appuyez-vous ces affirmations?

D’une part, sur des informations contenues dans les archives de la CIA, du FBI et du Pentagone qui n’ont jamais été prises en compte, notamment des témoignages d’anciens agents cubains ayant fait défection. D’autre part, sur des centaines d’heures d’interviews que j’ai réalisées auprès d’officiers du renseignement cubains ayant également fait défection, et auprès d’anciens de la CIA qui n’avaient jamais parlé de ce qu’ils savaient.
Qui fut premier à affirmer que « Castro savait »?
Ce fut l’agent cubain Vladimir Rodriguez Ladera, après sa défection en 1964. Mais ses affirmations, stockées dans les archives de la CIA, n’ont pas été prises en compte. A l’époque, elles paraissaient invraisemblables. Un an plus tard, l’activiste Jack Childs a confirmé les propos de Ladera. Leader du parti communiste américain, Childs s’était lié d’amitié avec Fidel Castro; cependant, il était en réalité une taupe de la CIA [il fut décoré par Ronald Reagan en 1987] .
Autre élément: en 1963, le jeune officier des transmissions Florentino Aspillaga [qui a fait défection en 1987 pour les Etats-Unis] était chargé d’intercepter les conversations de dirigeants américains à Washington et en Floride. Il m’a raconté que le 22 novembre 1963, trois heures avant l’assassinat, ses chefs lui ont soudain demandé d’orienter tout son travail en direction du Texas afin d’intercepter toute information susceptible d’intéresser sa hiérarchie. Ses chefs lui ont dit: « Tu cesses immédiatement d’écouter les communications de la CIA et tu te concentres uniquement sur ce qui émane du Texas ». Lui aussi m’a affirmé: « Castro savait que Kennedy serait tué. »

Comment pouvez-vous être certain de la fiabilité du témoignage d’Aspillaga?

Je l’avais déjà rencontré plusieurs fois après sa défection en 1987. Il vit depuis lors sous une fausse identité aux Etats-Unis. Pour ce livre, je l’ai de nouveau interrogé, pendant une quinzaine d’heures, lors de trois interviews. Aspillaga a fait défection en 1987, il a livré des informations capitales à la CIA et n’a jamais menti. Je suis certain à 100% de la véracité de ses propos.

D’autre part, je détaille les circonstances du voyage de Lee Harvey Oswald à Mexico en octobre 1963. Quelque semaines avant l’assassinat, le futur assassin de Kennedy s’est rendu trois fois au consulat de Cuba, à Mexico, pour faire y effectuer une demande de visa. Il voulait coûte que coûte se rendre à La Havane car il n’avait pas abandonné son idée fixe: se mettre au service du castrisme.
Cependant, bien qu’il ait fait état de ses convictions communistes et bien qu’il ait expliqué avoir vécu de 1960 à 1962 en Union soviétique (ce qui est exact), le consulat lui a refusé son visa. Pour une raison simple: les Cubains n’étaient pas certains à 100% de la sincérité d’Oswald; au contraire, ils craignaient qu’il ne joue double jeu et ne travaille pour la CIA. Il est reparti du consulat furieux, lançant à la cantonnade qu’il allait « tuer Kennedy ».

Dans la mesure où, dans les ambassades cubaines, tout le personnel, depuis le planton jusqu’à l’ambassadeur travaille pour les renseignements, il est douteux que Oswald n’ait pas, une nouvelle fois, attiré l’attention de la DGI ni fait l’objet d’un suivi particulier.

Par ailleurs, la CIA écoutait systématiquement les conversations téléphoniques du consultat de Cuba à Mexico. Or elles montrent que, quelques heures seulement après l’assassinat de JFK, les Cubains connaissaient déjà dans le détail le profil de Lee Harvey Oswald alors que, à cette heure-là, peu d’informations à son sujet avaient filtré dans le presse…

Quelle différence y a t-il entre les informations contenues dans votre livre et la théorie de la conspiration, qui accuse les Cubains?
Moi, je n’accuse pas Castro d’avoir assassiné Kennedy. J’affirme simplement qu’il savait et, donc, qu’il ment lorsqu’il dit qu’il est tombé des nues lors de l’assassinat du président américain. Je n’élabore aucun théorie, je rapporte des propos de protagonistes majeurs du renseignement et je m’appuie sur des documents existants dans les archives de la CIA. Je ne suis pas conspirationniste. Je dis seulement que, de la part de Fidel Castro, il y a eu une conspiration… du silence. Castro savait à l’avance ce qu’il allait se produire et il n’a rien fait pour l’empêcher.

Mais qu’aurait-il dû faire? Téléphoner à Kennedy pour le prévenir du danger? Il ne faut peut-être pas être trop naïf…

Je ne porte aucun jugement moral, je constate les faits. Il est certain que JFK n’était pas particulièrement bien intentionné à l’égard de Castro. Dans mon livre, je suggère même que ce dernier se trouvait en état de légitime défense. Car je détaille les multiples tentatives d’assassinats élaborés par la CIA à son encontre. John et son frère Robert (« Bobby ») Kennedy n’avaient qu’une seule obsession: se débarrasser de Castro « par n’importe quel moyen ».

Pourquoi désiraient-ils si ardemment éliminer le commandant de la révolution cubaine?

Lorsque JFK a été élu en 1960 contre Richard Nixon, il a promis qu’il mènerait une politique très dure à l’encontre de Cuba afin de contenir la menace marxiste qui se trouvait à moins de 200 kilomètres des côtes de la Floride. En avril 1961, il a autorisé l’opération militaire de la Baie des Cochons qui s’est soldée par un fiasco unique en son genre dans l’histoire américaine. Les Kennedy l’ont vécu comme une humiliation personnelle. Jamais au cours de leur existence ni John ni « Bobby » n’avaient été humilié. Ils voulaient se venger. De plus, la campagne électorale de 1964 pour la réélection se profilait à l’horizon. Les Démocrates craignaient que les Républicains n’attaquent Kennedy en affirmant qu’il était trop faible vis à vis du castrisme.

Pourquoi les éléments contenus dans votre ouvrage n’ont-ils pas été connus par la commission d’enquête Warren [sur l’assassinat du président], en 1964, et les trois autres commissions qui se sont succédées jusqu’en 1979?

L’homme qui dirigeait la CIA a l’époque était Richard Helms, lequel travaillait étroitement avec les frères Kennedy. Tout ce que la CIA disait à la Commission était contrôlé par Helms. Sa mission principale consistait à protéger le nom du président défunt afin qu’il n’apparaisse nulle part. Il ne fallait surtout pas que l’on découvre que Kennedy voulait assassiner Castro.
En outre, certains éléments de mon livre n’ont été connus qu’ultérieurement, après la défection d’importants officiers du renseignement cubains.

Selon vous, Lee Harvey Oswald a-t-il agi seul?

Il était le seul tireur de la bibliothèque, située dans la rue de l’attentat. Mais je ne suis pas en mesure de dire si, oui ou non, Oswald a été l’instrument d’une conspiration qui le dépassait. Peut-être les Cubains se sont-ils contentés de suivre de loin les initiatives isolées du futur assassin de Dallas. Pour connaître toute la vérité, il faudrait que certaines archives de l’espionnage cubain soient « déclassifiées » comme c’est le cas pour les archives de la CIA. Ou encore que d’éventuels protagonistes cubains parlent, ce qui est peu probable. Selon moi, la pièce manquante du puzzle se trouve à La Havane.

Le nom de notre magazine, L’Express, apparaît dans votre livre. Pourquoi?

Parce que l’un de vos plus brillants journalistes de l’époque, Jean Daniel [actuellement directeur du Nouvel Observateur] se trouvait à La Havane en compagnie de Fidel Castro lorsque celui-ci a appris la nouvelle de l’assassinat de Kennedy. J’ai rencontré Jean Daniel à New York l’année dernière. Il m’a raconté un récit identique à celui qu’il avait déjà livré par écrit voilà des années: lui, sa femme Michèle et une dizaine d’autres invités cubains se trouvaient en compagnie de Fidel Castro lorsqu’un aide de camp est venu leur annoncer l’incroyable nouvelle en provenance de Dallas.

Fidel Castro a alors marqué une réaction de surprise totale. Il était stupéfait, ce qui, selon Jean Daniel, prouve que Castro ignorait tout de ce qui se tramait à Dallas (Texas). A mon avis, Jean Daniel se trompe: il a été manipulé par Fidel Castro. Ma vision des choses est la suivante: Castro a pris soin de se trouver en présence d’un journaliste de renommée internationale à la réputation impeccable afin d’avoir un témoin incontestable qui pourrait attester de sa réaction de surprise à l’annonce de la mort de Kennedy. Jean Daniel est tombé dans le panneau. J’ai suffisamment étudié la psychologie de Castro depuis plusieurs décennies pour savoir que les talents d’acteurs de ce derniers sont incomparables.

Propos recueillis par Axel Gyldén, L’Express.fr

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