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Cambodge : un procès pour l’Histoire

A Phnom Penh, trois hauts responsables du régime khmer rouge sont jugés pour génocide. D’une importance capitale, la procédure, à peine commencée, concentre déjà toutes les critiques.

Après une série de retards et une ouverture toute symbolique en juin dernier, le procès des anciens dirigeants khmers rouges est enfin sur les rails à Phnom Penh. Plus de trente ans après les faits, trois des plus hauts responsables politiques encore en vie du régime totalitaire de Pol Pot (1975-1979) doivent répondre de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide. L’événement est historique: la procédure, qui devrait durer des années, concerne quelque 4000 parties civiles. Pour en donner la mesure, le ministre cambodgien de l’Information a donné pour consigne aux radios et télévisions du pays de diffuser les premières journées d’audience.

C’est le Kampuchea démocratique et sa folie meurtrière – 1 Cambodgien sur 4 y a perdu la vie – qui seront jugés à travers ces trois grand-pères: Nuon Chea le trublion, 85 ans, dit « Frère numéro 2 » dans la hiérarchie khmère rouge; Ieng Sary le hiératique, 86 ans, ancien chef de la diplomatie de Pol Pot; Khieu Samphan l’attentif, 80 ans, ex-chef d’Etat du régime. Ce dernier est défendu par Me Paul Vergès, son vieil ami, prêt à exposer à la barre sa version de l’histoire qu’il a déjà consignée par écrit. Les trois accusés plaident innocent.

Les Khmers rouges en procès
A la veille de l’ouverture des débats au fond, un quatrième inculpé devait comparaître… Ieng Thirith, ministre des Affaires sociales de Pol Pot et seule femme poursuivie, a été déclarée  » inapte à être jugée « . Elle souffre de pertes de mémoire et de la maladie d’Alzheimer, selon les médecins. Toutefois, de nombreux Cambodgiens expriment des doutes quant à son état de santé: la tromperie est un art consommé chez les Khmers rouges, assènent-ils en choeur. Que l’épouse de Ieng Sary échappe à un jugement suscite la consternation, et la perspective qu’elle puisse être libérée dans quelques semaines provoque la colère.

Cette procédure est la deuxième à se tenir devant le tribunal parrainé par les Nations unies: en juillet 2010, Douch, alias Kaing Guek Eav, chef de la prison S21 à Phnom Penh, où environ 15000 personnes ont été torturées et tués, a été condamné à 30 ans de prison. Ce nouveau procès, d’une importance capitale, sera sans doute le dernier concernant cette période. Mais beaucoup redoutent sa complexité, sans équivalent, dit-on, depuis les procès de Nuremberg, au lendemain de la Seconde guerre mondiale.

Le temps est compté, car les accusés sont âgés et souffrants. Or, à peine la procédure a-t-elle démarré que la cour a semblé naviguer à vue: ses décisions tardives – comme celle portant sur Ieng Thirith – ont pris de court des parties passablement irritées. La Chambre de première instance a retenu une formule originale, celle d’un découpage de la procédure en plusieurs mini-procès, chacun réduit à une partie des chefs d’accusation. La disjonction des poursuites constitue peut-être le seul espoir d’aboutir à un jugement, même partiel, avant le décès des accusés – une échéance que beaucoup redoutent. « Si les accusés meurent avant d’être jugés, aurons-nous obtenu justice? », interroge le médiatique survivant Chum Mey, 80 ans. Par ses choix, la cour a pris le risque de se heurter à des blocages ultérieurs.

Stéphanie Gée (correspondance à Phnom Penh)

Course financière

Pris dans les mailles d’une polémique autour d’allégations d’interférences politiques et d’impéritie de certains de ses juges, le tribunal compte néanmoins sur l’ouverture officielle de la procédure pour restaurer une confiance ébranlée et convaincre les pays donateurs de délier leurs bourses. En principe, le budget de la juridiction sera épuisé à la fin de l’année.

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