Thierry Fiorilli

C’est beau comme les chercheurs d’Eden, par Thierry Fiorilli (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Ce n’est pas toute la misère du monde. C’est tout le courage de l’humanité.

C’est l’un des clichés sélectionnés pour le Sony World Photography Awards 2021, dont les gagnants seront connus le 15 avril prochain. Il a été pris l’an dernier par Elif Öztürk, une photographe turque, à Edirne, près de la frontière grecque. Plus de 3 000 migrants bivouaquaient, espérant passer ensuite en Europe. Mais on a démantelé le camp et on a embarqué ses occupants pour ailleurs en Turquie. Et puis? Allez savoir ce qu’ils sont devenus, tous ces gens.

Comme ce garçon, là, celui au milieu de la photo, avec ses dreadlocks qui dépassent du capuchon de son anorak délavé par le soleil, l’eau, les vents, l’odyssée. Ce garçon tout serré entre tous ces hommes, qui font la file dans le froid parce qu’il y a distribution d’aide humanitaire. Ce garçon qui est le seul à nous regarder, les autres détournent ou baissent la tête – réflexe, ou nécessité ; expérience de tous ces kilomètres parcourus, tous ces murs franchis, tous ces océans avalés, tous ces passeurs, toutes ces patrouilles, tous ces miradors ; ou entraînement, parce que quand on passera de l’autre côté, il faudra se rendre invisible, longtemps puisque le sol grec n’est qu’une étape, après il faut remonter, c’est le Nord qui est la Terre promise.

Ce n’est pas toute la misu0026#xE8;re du monde. C’est tout le courage de l’humanitu0026#xE9;.

Comme l’a fait, début février, un autre garçon. La police néerlandaise l’a découvert dans le train d’atterrissage d’un Airbus A330 venant d’arriver à Maastricht en provenance de Londres. Elle dit qu’on ne lui a trouvé aucun papier d’identité mais qu’il est Kenyan, qu’il a 16 ans et que, même s’il se trouvait dans un état d’hypothermie sérieux, c’est un miracle qu’il ait survécu. Sans doute parce que le trajet était court et que le cargo volait à basse altitude. L’appareil avait décollé 24 heures plus tôt de Nairobi, la capitale du Kenya, pour Istanbul, puis Londres et enfin Maastricht. On a ouvert une enquête. Pour savoir où s’est caché ce garçon durant tout ce trajet, s’il était seul, s’il était au centre d’un trafic d’êtres humains, si on l’a aidé. En tout cas, il y est parvenu. Et vivant.

Comme ce Nord-Coréen d’une vingtaine d’années qui a nagé durant six heures pour contourner la frontière ultramilitarisée de la Corée du Sud. Il était « vêtu d’une veste matelassée sous sa combinaison de plongée et portait des palmes, a expliqué Séoul. Ses habits l’ont aidé à rester au chaud et à le maintenir à flot. » Les courants de marée auraient joué en sa faveur. Une fois touché terre, il a abandonné son équipement et s’est faufilé dans une canalisation d’évacuation d’eau passant sous les barbelés.

On sait que ce n’est pas parce qu’on quitte un enfer qu’on trouve un paradis. Mais la détermination des chercheurs d’Eden est époustouflante. Covid ou pas, barbelés ou non, qu’importent les risques et l’inconnu. Ces gens-là ne symbolisent pas toute la misère du monde. Ils incarnent, avec une humilité et une dignité folles, tout le courage de l’humanité. L’accueillir à bras ouverts, et puis le célébrer, s’en inspirer, s’y nourrir, ne peut qu’élever nos sociétés. Que la pandémie a révélées si tristement étriquées.

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