Thierry Fiorilli

C’est beau comme les allégories capillaires de Laetitia Ky, par Thierry Fiorilli (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Ses tresses créent des scènes, des cours d’histoire, des cris de ralliement, des manifestes, des recueils de poésie, des documentaires et des listes de voeux.

Le corps n’est que sédiment de lignes du temps. C’est un livre aussi. Et un confessionnal. Un relevé topographique. Et un dazibao. On le traîne comme une faute, on l’exhibe comme sauf-conduit, on le sait arme ou cible, piège ou étendard. Des femmes, surtout, s’en servent, depuis longtemps, comme mégaphone pour sonner la prise de toutes les bastilles érigées autour d’elles. Les Femen et leurs seins, Coco Chanel et sa coupe, Deborah De Robertis et son sexe, celles-ci et leurs tatouages, celles-là et leurs aisselles. Laetitia Ky utilise ses tresses. Sans relâche depuis cinq ans.

Elle est Ivoirienne. Actrice et mannequin mais surtout sculptrice et féministe. Avec 453.000 abonnés sur Instagram et 69.000 sur Facebook. Parce qu’elle raconte, dénonce, mobilise et rêve à travers ses allégories capillaires. Y défilent des scènes, des cours d’histoire, des cris de ralliement, des manifestes, des recueils de poésie, des documentaires et des listes de voeux pour un monde enfin purgé de sa mécanique de dominations.

Avec ses mèches, des extensions, du tissu Wax, de la laine, du fil métallique, des cintres et des aiguilles, elle sculpte. A l’inspiration ou la demande. Apparaissent alors, en orbite tout autour de sa tête, des animaux, des personnages, des objets, des logos, des corps. Des bourreaux et des victimes, des instruments de musique ou de torture, des Guernica et des Imagine. Cette fille hisse au rang d’art total et militant le nappy hair, port assumé du cheveu crépu, qui affirme l’identité des femmes noires et leur droit à disposer de leur corps. Elle renoue aussi avec ces antiques traditions qui donnaient aux coiffures féminines le pouvoir de la narration, de la traduction des émotions et des convictions, de la symbolique, où le deuil côtoie la puissance, les étoiles la poussière, les larmes la fête, l’âme la chair.

Ses tresses cru0026#xE9;ent des scu0026#xE8;nes, des cours d’histoire, des cris de ralliement, des manifestes, des recueils de pou0026#xE9;sie, des documentaires et des listes de voeux.

Ses coiffes haranguent. Contre les violences sexistes, sexuelles, domestiques et raciales. Contre les mutilations génitales. Pour « que les petites filles soient élevées de la même façon que les petits garçons », « que les salaires soient équitables », « que nos corps et notre nudité ne soient pas immédiatement associés à la sexualité », « que les féminicides cessent et soient punis plus durement », « que la culture du viol soit abolie et les violeurs considérés seuls responsables », « que le corps de la femme et ses attributs ne soit plus stigmatisés (les règles, les seins, les poils, l’âge) »… Elles célèbrent aussi « cette biologie qui fait de moi une femme, qui me fait vivre tant de discriminations mais qui est un beau cadeau ».

Sur Twitter, en mai 2017, Laetitia disait que «  »les génies » sont juste ceux qui ont eu l’opportunité de choisir la voie qui coïncidait avec les tendances profondes de leur âme« . Elle avait 21 ans. Elle avait déjà trouvé la sienne.

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