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Brexit: « Dehors, c’est dehors ! »

Auteur de Goodbye Europe (Flammarion), la députée européenne française Sylvie Goulard, qui a travaillé auprès de Romano Prodi lorsqu’il présidait la Commission, estime qu’il faut changer les institutions de fond en comble.

Quelle est votre réaction au Brexit du 23 juin ?

C’est un événement historique grave. Pendant une soixantaine d’années, l’objectif européen a été de consolider la paix et de développer des coopérations de plus en plus poussées avec un nombre croissant de nations. Durant cette période, nous avons sans doute commis des erreurs. Il n’en reste pas moins que l’enjeu demeure : faire exister l’Union européenne aux yeux du reste du monde.

Comment jugez-vous l’attitude des 27 depuis le  » non  » britannique ?

Je suis effarée qu’ils laissent la balle dans le camp des Britanniques. Il n’y a pas eu de discours conjoint de François Hollande et Angela Merkel ni aucune initiative franco-allemande. Imagine-t-on, dans la même situation, les couples Giscard-Schmidt et Mitterrand-Kohl s’en abstenir ? En réalité, le  » Franco-Allemand  » est en état de mort clinique. Le fait est que nos politiciens n’ont pas défendu l’Europe  » avant  » ; ils n’ont pas de vision pour  » l’après  » ; et ils gèrent le présent au jour le jour.

Comment va s’organiser la sortie des Britanniques ?

Selon l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, la procédure peut durer jusqu’à deux ans. Il faut tout faire pour que ce processus – dont toutes les conséquences sont difficiles à évaluer – soit rapide. De nombreuses questions se posent, auxquelles les gens n’ont pas réfléchi, par exemple sur la libre circulation des personnes. Les Français résidant à Londres peuvent-ils y rester dans les mêmes conditions ? Les équivalences entre diplômes universitaires sont-elles maintenues ? Des interrogations hétéroclites vont apparaître, avec des implications diverses, allant de la géopolitique jusqu’à des sujets de vie quotidienne. Une chose est primordiale : réaffirmer qu’il n’y a qu’une seule procédure possible. Il faut être clair avec les Britanniques : dehors, c’est dehors, dedans, c’est dedans !

Le Brexit ne permet-il pas, au fond, de clarifier les choses ?

Sylvie Goulard, eurodéputée et auteur de 'Goodbye Europe'.
Sylvie Goulard, eurodéputée et auteur de ‘Goodbye Europe’.© W. DABLOWSKI/PICTURE-ALLIANCE/AFP

A quelque chose malheur est bon : il nous aide à regarder la réalité en face. Jusqu’à présent, l’Europe et les pays membres étaient dans le déni des enjeux et de la gravité de la situation mondiale. Si ce vote permet de faire comprendre que l’outil européen est certes imparfait mais précieux et perfectible, alors nous aurons avancé. Mais, de grâce, arrêtons le jeu de massacre contre Bruxelles. Cette campagne référendaire a été marquée par des outrances déconnectées de la réalité politique européenne. Cela a créé un climat délétère : l’assassinat de la députée anglaise Jo Cox est, hélas, lié à cette atmosphère qui n’est pas celle d’un cadre démocratique normal. Le Premier ministre, David Cameron, a agi avec beaucoup de légèreté (en déclenchant un référendum). Quoi qu’il en soit, nos dirigeants doivent maintenant produire leur propre vision de la construction européenne. On ne peut pas laisser des pays décider du destin de l’Europe à la roulette russe, comme l’ont fait les Britanniques, et improviser.

Comment relancer le  » rêve européen  » et l’ancrer dans le XXIe siècle ?

Commençons par éclairer l’opinion publique sur les dangers de la disparition de l’UE et aussi sur le potentiel extraordinaire de nos peuples s’ils font équipe. Et faisons en sorte que l’Europe revienne dans le débat. Pour cela, il est nécessaire d’inventer une forme de gouvernement qui soit compris et élu par les citoyens européens. Actuellement, l’exécutif de l’UE possède deux têtes. Avec, d’une part, la Commission européenne (composée de  » commissaires  » qui ne forment pas un  » gouvernement  » à proprement parler, mais pilotent l’exécutif), laquelle est jugée illégitime par la plupart des gens du fait que ses membres ne sont pas élus. Et, d’autre part, le Conseil européen (réunissant les chefs d’Etat ou de gouvernement nationaux), qui a pris beaucoup trop d’importance par rapport à ce que prévoient les traités. En principe, le Conseil se contente de définir des grandes lignes, des orientations, des impulsions stratégiques. Or, ces dernières années, depuis le début de la crise, il se mêle de tout, prenant des décisions très techniques, par exemple sur les banques grecques, sans aucun mandat ni légitimité pour cela. Pis, son fonctionnement est erratique : les chefs d’Etat ou de gouvernement se réunissent pour traiter un ordre du jour, puis se séparent et retournent dans leurs pays respectifs, sans que personne ne se charge du suivi ni n’assume les décisions. Ce système permet à tout le monde de se défausser sur la Commission, mais ne fait pas avancer grand-chose. Résultat, l’UE n’est pas gouvernée, elle n’est pas respectée, elle est même parfois détestée.

Existe-t-il un fossé générationnel qui expliquerait le divorce d’avec l’idéal européen ?

Un profond renouvellement est nécessaire. Les partis politiques pourraient enfin donner des investitures à la  » génération Erasmus  » plutôt qu’à des messieurs qui appartiennent au XXe siècle. Les classes politiques nationales sont trop repliées sur elles-mêmes pour les défis d’aujourd’hui. Trop de responsables politiques ne maîtrisent aucune langue étrangère et n’ont pas d’expérience internationale. A cela s’ajoute, souvent, un autre fossé générationnel de compréhension des enjeux du monde numérique.

L’abondance de règlements européens n’est-elle pas un problème en soi ?

Les règles sont à la fois honnies et réclamées par l’opinion, par exemple les normes sanitaires ou environnementales. Mais, surtout, l’UE ne peut pas agir, faute d’avoir reçu des compétences dans des domaines essentiels comme la sécurité, la défense commune, le contrôle des frontières où le budget européen est ridiculement faible. En fait, il faut maintenant étudier les dossiers l’un après l’autre et se demander s’il vaut mieux les traiter en commun ou nationalement. Dans le premier cas, il faut constituer une  » équipe d’Europe  » ad hoc, accepter de transférer des compétences sérieusement, de se doter de moyens de décision et de financement appropriés. Dans le second cas, on peut laisser les Etats se débrouiller… Mais cessons d’accuser l’Europe de ne pas accomplir ce que l’on ne veut pas lui confier, comme on le fait aujourd’hui.

Entretien: Axel Gyldén

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