© Michael Haggerty, Wikicommons

Bosnie: le premier recensement depuis la fin de la guerre met à jour la cruauté du nettoyage ethnique

Le Vif

Le premier recensement organisé en Bosnie depuis la fin de la guerre de 1992-95 va révéler la cruelle réalité instaurée par le nettoyage ethnique dans ce pays jadis décrit comme une « peau de léopard » en raison du mélange de ses communautés serbe, croate et musulmane.

Ce recensement a débuté mardi et sera organisé jusqu’au 15 octobre. « Pour la première fois après 22 ans, nous allons avoir une image complète de la population de Bosnie. On aura des données démographiques, économiques et sociales et des indicateurs sur la migration » des personnes, a déclaré le directeur de l’Agence des statistiques, Zdenko Milinovic.

Les résultats de ce recensement organisé en cette première quinzaine du mois d’octobre vont faire état d’une image entièrement différente de la Bosnie par rapport à celle d’avant le conflit, quand elle était la république « la plus multiethnique » de l’ex-Yougoslavie.

La réalité est « qu’il n’y a plus de localités multiethniques en Bosnie et qui si elles existent, elles sont très rares », explique l’analyste politique Tanja Topic.

Pendant la guerre, près de 100.000 personnes ont été tuées et plus de deux millions avaient quitté leur foyers pour aller à l’étranger ou pour chercher abri dans les territoires contrôlés par l’une des armées des trois principales communautés.

Le dernier recensement en Bosnie a eu lieu en 1991 lorsqu’elle faisait partie de la fédération yougoslave. Il avait chiffré la population locale à 4,4 millions d’habitants, dont 43,5% de Musulmans, 31,2% de Serbes et 17,4% de Croates.

Le nombre actuel d’habitants est estimé à 3,8 millions.

L’accord de paix qui a mis fin à la guerre avait prévu que tous les réfugiés regagnent leur foyers, mais une division du pays en deux entités, l’une serbe et l’autre croato-musulmane, a fait échouer ce processus.

Ainsi, Serbes, Croates et Bosniaques (musulmans) se sont regroupés là où leurs communautés étaient majoritaires. Le mélange avec d’autres communautés est très faible.

« Le recensement va montrer une image réelle des conséquences de la guerre. Les effets du nettoyage ethnique et les années d’obstructions au retour des réfugiés seront maintenant officiellement certifiées », soulignait mardi le quotidien indépendant Oslobodjenje.

Des mois avant le recensement, les élites politiques, religieuses et intellectuelles des trois principales communautés ont incité les membres de leurs camps respectifs à déclarer au recensement leur appartenance ethnique.

Cela s’explique par le fait que l’essentiel du pouvoir est concentré dans les mains des représentants politiques des peuples « constitutifs », à savoir serbe, croate et bosniaque (musulman).

Quelque 184.000 postes dans l’administration publique sont distribués entre ces trois communautés.

Cette campagne a particulièrement animé la communauté musulmane, la plus nombreuse, déchirée entre le choix d’une identité nationale ou ethnique et religieuse.

Pour la plupart des Serbes et des Croates de Bosnie, la question de leur appartenance ethnique ne se pose même pas.

Mais les musulmans pourraient faire les frais d’une confusion, ne sachant s’ils devraient se déclarer Bosnien, c’est-à-dire citoyen de la Bosnie, ou Bosniaque (Bosnjak), c’est-à-dire musulman, un terme qui leur a été imposé par leurs élites durant le conflit.

« Nous, les Bosniaques, nous dirons que nous sommes Bosniaques! « , titrait mardi à la Une le grand quotidien Dnevni Avaz, citant l’appel du grand mufti, Husein Kavazovic. C’est d’ailleurs ainsi que sont désignés les musulmans de Bosnie par la Constitution.

Alors que les Serbes et les Croates s’identifient à la Serbie et la Croatie voisines, les musulmans de Bosnie sont les seuls attachés à l’idée d’une nation « bosnienne ».

L’analyste politique Enver Kazaz souligne toutefois que les résultats du recensement, quels qu’ils soient, ne conduiront pas à des changements de l’organisation de l’État. La structure « monstrueuse » actuelle de l’État « ne pourra être changée que par une nouvelle conférence internationale ou par une autre guerre sanglante », fait-il valoir.

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