" Ils rivalisent avec les ministres et dictent une bonne partie de l'agenda politique. " Autour de leur père Jair, en bleu marine, de g. à dr. : Carlos, conseiller municipal de Rio de Janeiro, Flavio, sénateur, et Eduardo, député fédéral. © A. MILENA/ABRIL COMUNIÇACIONES SA

Bolsonaro et fils: quand famille et politique font bon ménage

Le Vif

Le président ultraconservateur a fait de ses trois fils aînés les fers de lance de sa politique. Un mode de gouvernance clanique qui commence à inquiéter les Brésiliens.

Chez les Bolsonaro, famille et politique font bon ménage, et le spectacle est permanent. A l’automne 2019, en délicatesse avec la formation politique qui l’a porté au pouvoir, le Parti social-libéral (PSL), Jair Bolsonaro tente d’en évincer la direction au profit d’Eduardo, l’un de ses cinq enfants. Le ton monte et, après des semaines de brouille, le président ultraconservateur tranche. Il quitte la formation et en crée une nouvelle, Alliance pour le Brésil, véritable PME familiale. Il en assumera la présidence, son aîné, Flavio, sera vice-président, et l’équipe dirigeante comprendra son quatrième fils, Renan, 21 ans, surtout connu jusque-là pour sa passion du jeu vidéo. En juillet dernier, le leader d’extrême droite avait même prévu de confier le poste d’ambassadeur aux Etats-Unis à Eduardo, qui n’a pourtant aucune expérience diplomatique. Quatre mois auparavant, celui-ci avait d’ailleurs supplanté le ministre des Affaires étrangères dans le bureau Ovale, lors de la première entrevue de Jair Bolsonaro avec Donald Trump.

Père et fils pratiquent le même vagabondage partisan.

Depuis son élection à la tête du plus grand pays d’Amérique latine, en octobre 2018, le dirigeant d’extrême droite s’appuie sur ses trois aînés pour gouverner. Des fils qu’il a baptisés  » Zéro un « ,  » Zéro deux  » et  » Zéro trois « , comme c’est l’usage dans l’armée brésilienne : Flavio, 38 ans, sénateur, Carlos, 37 ans, conseiller municipal de Rio de Janeiro, et Eduardo, 35 ans, député fédéral. Avec eux, on passe allègrement du domaine public à la sphère privée. Lorsque, en février dernier, le chef de l’Etat remercie brutalement Gustavo Bebianno, secrétaire général de la présidence, qui avait pourtant coordonné avec succès sa campagne électorale, il évoque une décision appartenant au  » domaine de l’intimité « . Pour beaucoup, l’homme de confiance paie surtout sa mauvaise entente avec Carlos, alias  » Zéro deux « .

Le quotidien Estadão s’interroge alors sur le risque que prend le pays à être dirigé par ce quadriumvirat.  » Une gestion aussi clanique de l’Etat est inédite dans le pays, observe Sergio Praça, professeur de sciences politiques à la Fondation Getulio Vargas de Rio de Janeiro. Alzira, une des filles du président Getulio Vargas, figure fondatrice du Brésil moderne, a bien été conseillère de son père, mais, là, ils sont trois !  »

Quand le père joue le fils contre la mère

Le mélange des genres vient de loin. En 1992, Jair Bolsonaro, député fédéral depuis deux ans, lance en politique son épouse d’alors, Rogéria Nantes Nunes Braga. Bénéficiant de la notoriété locale du capitaine de réserve, elle est élue au conseil municipal de Rio. Le temps passant, la mère des trois  » Zéros  » se prend au jeu et cesse de consulter son mari lors des votes à l’assemblée locale.  » Je l’avais fait élire, elle devait se conformer à mes idées « , confie, vexé, le député à un magazine peu de temps après leur divorce. En 2000, alors qu’elle postule à un troisième mandat, Jair Bolsonaro pousse Carlos, 17 ans, à se présenter contre sa propre mère, qu’il bat largement. Ambiance.

Député du  » bas clergé « , comme sont appelés au Brésil les élus de second rang, Jair Bolsonaro acquiert vite une certaine renommée sur le plan national par ses outrances verbales – apologie de la dictature, injures racistes, sexistes et homophobes -, mais reste un parlementaire marginal pendant ses sept mandats successifs. Les choses changent avec la crise économique, les affaires de corruption qui fragilisent l’image du Parti des travailleurs (PT), au pouvoir depuis 2003, et la montée de l’insécurité, en particulier dans l’Etat de Rio, où vivent alors les Bolsonaro. Résultat ? Aux élections législatives de 2014, Jair Bolsonaro obtient le meilleur résultat de son Etat. Son fils Flavio y est réélu député pour la troisième fois, tandis qu’Eduardo remporte un siège dans celui de São Paulo.

Jair Bolsonaro a été élu en 2018 sur le rejet de la corruption. Son propre clan, pourtant, commence à être rattrapé par les affaires.
Jair Bolsonaro a été élu en 2018 sur le rejet de la corruption. Son propre clan, pourtant, commence à être rattrapé par les affaires.© U. MARSELINO/REUTERS

Entre-temps, les fils ont tissé leurs propres réseaux. Ils s’entichent d’Olavo de Carvalho, écrivain et philosophe auto- proclamé, basé aux Etats-Unis, totem de la nouvelle droite brésilienne. C’est sous l’influence de ses  » gamins  » que Jair Bolsonaro, jusque-là champion de la défense de la caste militaire, adopte le credo  » olaviste  » : haro sur le multiculturalisme, le mariage pour tous et le  » globalisme « .

Père et fils pratiquent le même vagabondage partisan. Le capitaine de réserve aura changé huit fois de formation politique en trente ans. En 2016, il rallie le Parti social-chrétien (PSC), où deux de ses enfants l’ont précédé.  » Eduardo a rejoint le PSC sur les conseils de Jair « , se souvient Rodrigo Sias, un économiste proche de la famille. Sans doute pour se rapprocher de l’électorat évangélique, en plein essor. Entre-temps, Jair Bolsonaro s’est marié pour la troisième fois, avec Michelle Reinaldo, adepte de cette branche du christianisme. Hélas, le PSC n’est pas intéressé par le rêve présidentiel du député de Rio. Aussi versatile qu’ambitieux, celui-ci jette alors son dévolu sur le minuscule Parti social- libéral (PSL), doté d’un député fédéral.  » Il voulait être certain de pouvoir imposer sa volonté en choisissant les candidats pour les différents scrutins « , se remémore Paulo Gontijo, un ancien du PSL, qui, rebuté par le sulfureux capitaine de réserve, a claqué la porte du parti à son arrivée.

Le clan Bolsonaro passe plus de temps à alimenter des controverses qu’à impulser des mesures concrètes.

Dans cette saga familiale,  » la relation entre père et fils reste à double sens, relève Sergio Praça. Les garçons sont loyaux envers leur géniteur, à qui ils doivent tout. Hissés au rang de conseillers, ils rivalisent avec les ministres et dictent une bonne partie de l’agenda politique « . Cette position les oppose de plus en plus souvent aux différents cercles qui ont soutenu l’ascension du dirigeant d’extrême droite : les militaires ; le clan des juges anticorruption, qui, autour de Sergio Moro, actuel ministre de la Justice, a fait tomber l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva ; les ultralibéraux proches du ministre de l’Economie, Paulo Guedes ; les évangéliques ; et les antiglobalistes, adeptes d’Olavo de Carvalho.

Beaucoup, à l’instar de la caste militaire, font profil bas. S’en prendre au quatuor peut coûter cher : en six mois, quatre ministres et le président de la Banque publique de développement ont été limogés sans raison apparente. Et pourtant…

Un an après l’investiture de l’ex- capitaine, sa gouvernance est erratique. Donnant le sentiment d’être en campagne perpétuelle,  » le clan Bolsonaro passe plus de temps à alimenter des controverses qu’à impulser des mesures concrètes « , observe Maria do Socorro Braga, professeure de sciences politiques à l’université fédérale de São Carlos. La réforme des retraites, remaniée par les deux chambres du Congrès avant d’être adoptée, ne correspond plus vraiment aux voeux de son parrain, Paulo Guedes. Le  » paquet sécurité  » a été amputé par les parlementaires, au grand dam du président, peu enclin au marchandage politique. En parallèle, la réforme de l’administration, qui prévoit de lourds dégraissages, a été repoussée, de crainte que la fronde sociale inédite dans plusieurs pays du continent ne s’étende au Brésil. Porté au pouvoir après avoir surfé sur le rejet de la corruption, le quatuor n’est pas épargné par les affaires. Journaliste au groupe Globo, Juliana Dal Piva, qui enquête sur des soupçons de détournements de fonds publics, a identifié  » des irrégularités concernant 37 fonctionnaires associés aux quatre Bolsonaro « . Enfin, à l’international, isolé après les gigantesques incendies du mois d’août 2019 en Amazonie, en partie imputés à sa connivence avec les acteurs de la déforestation, Bolsonaro a renoué avec la Chine. Un an plus tôt, à l’image de son idole Donald Trump, il vouait pourtant aux gémonies le principal partenaire commercial de son pays.

Les récents signaux d’éclaircie économique après des années de crise laissent cependant Jair Bolsonaro et les siens croire en leur bonne étoile. Alliance pour le Brésil, le nouveau parti taillé sur mesure pour l’ex-capitaine et les siens, a déjà pour cap un second mandat présidentiel en 2022. Il s’ancrera dans  » le respect de Dieu et de la religion « , la  » défense de la vie, de la légitime défense et de la famille « . A commencer par la leur.

Eduardo,  » Zéro trois « , l’héritier politique

Bolsonaro et fils: quand famille et politique font bon ménage
© M. BONOMI/AGIF/AFP

Admirateur de l’ex-conseiller de Donald Trump Steve Bannon, Eduardo, 35 ans, est un champion des outrances. Cet été, il partage sur Twitter une vidéo qui traite Macron d' » idiot « . A un journaliste qui l’interroge sur les LGBT, il rétorque :  » Si l’amour suffit pour former une famille, alors on peut dire que mon chien et moi sommes une famille.  » En octobre, il évoque un possible recours aux mesures d’exception adoptées par la dictature militaire en 1968, si jamais  » la gauche se radicalise  » au Brésil, sur le modèle de l’agitation en cours au Chili. Et, un mois plus tôt, il pose avec le geste paternel, la main en forme de pistolet, devant une sculpture dédiée à la non-violence, près du siège de l’ONU, à New York. Favorisé par le patronyme familial et la vague dégagiste de l’automne 2018, le représentant de São Paulo a été l’an passé le député fédéral le mieux élu de l’histoire du pays avec 1,8 million de voix. Un an plus tard,  » Zéro 3  » gagne les galons d’héritier politique de son père en organisant la première édition brésilienne de la Conférence d’action politique conservatrice, inspirée du rendez-vous annuel de la droite nord-américaine. Il y est acclamé au nom de  » petit mythe « , référence au surnom donné au président par ses fans.  » Il est encore plus à droite que son père « , souligne le politologue Sergio Praça. Pour ses 35 ans, son géniteur lui promettait le poste d’ambassadeur à Washington. Népotisme ?  » C’est un ami des enfants de Trump, justifiait le père, il parle anglais, espagnol, et il a une large expérience dans le monde.  »

Carlos,  » Zéro deux « , le  » pitbull  »

Bolsonaro et fils: quand famille et politique font bon ménage
© U. MARSELINO/REUTERS

 » Bête des réseaux sociaux  » , Carlos, 37 ans, a construit l’image de son père pour la présidentielle de 2018.  » Il devrait avoir un poste de ministre, c’est grâce à lui que je suis ici « , clame Jair Bolsonaro. Son rôle de coordinateur des comptes Facebook, Twitter et Instagram paternels est un secret de polichinelle. Conseiller municipal de Rio depuis près de vingt ans, il est, des trois  » Zéros « , le plus proche du pater familias. Diplômé de sciences aéronautiques, Carlos est lui aussi expert en esclandres. En septembre dernier, cet habitué des clubs de tir affirme sur Twitter qu’une transformation rapide du pays est impossible  » par la voie démocratique « . Puis traite de  » canailles  » les journalistes, qui, dit-il, ont caricaturé ses propos. Le  » pitbull « , comme l’appelle Jair Bolsonaro, aboie sur quiconque manque de respect à la figure paternelle, y compris dans son camp : il éreinte tour à tour le secrétaire de la présidence Gustavo Bebianno, les généraux Hamilton Mourão, vice-président, et Carlos Alberto dos Santos Cruz, secrétaire du gouvernement, le gouverneur ultraconservateur de l’Etat de Rio, Wilson Witzel, ou encore les membres du PSL, parfois à coups d’émojis. La disparition de  » Carluxo  » des réseaux sociaux pendant un mois, en novembre, interroge. Elle coïncide avec les auditions de la commission parlementaire d’enquête sur les fake news qui ont circulé pendant la campagne présidentielle. Il est accusé par ses anciens alliés d’avoir piloté une armée de  » bots  » informatiques dans le but d’attaquer les adversaires de la famille.

Flavio,  » Zéro un « , le discret

Bolsonaro et fils: quand famille et politique font bon ménage
© M. BONOMI/AGIF/AFP

Le moins agité des trois, Flavio, sénateur de l’Etat de Rio, n’est pas pour autant un modéré. A 38 ans, l’aîné des Bolsonaro est, comme son père et ses frères, partisan de la peine de mort et du port d’armes pour les  » bons citoyens « . Il aimerait baisser l’âge de la responsabilité pénale et considère que défendre le respect des droits humains revient à encourager le crime. En 2004, préoccupé par la croissance démographique carioca, le jeune député de l’Etat de Rio est l’auteur d’un projet de loi sur la gratuité de la stérilisation. En 2013, il dépose un recours contre une loi qui réserve 20 % des postes dans les concours publics aux Noirs et aux Indiens. Quant à la surpopulation carcérale, chronique au Brésil, voici ce qu’il en dit :  » Il faut juste les serrer un peu plus.  » Depuis un an, Flavio est un caillou dans la chaussure familiale. Il a d’abord été éclaboussé par une enquête sur des transactions suspectes de son ex-chauffeur et garde du corps, le policier à la retraite Fabricio Queiroz, qui fut son assistant parlementaire. En novembre,  » Zéro un  » fait l’objet d’une enquête pour emplois fictifs. Autre source d’interrogation, la nature des liens entre le même Queiroz et une milice de Rio accusée d’être impliquée dans l’assassinat de la militante des droits humains Marielle Franco, en mars 2018. Beaucoup se demandent si la proximité entre le clan Bolsonaro et ce groupe paramilitaire n’était qu’idéologique.

Par Catherine Gouëset et Lena Lopes, à Rio de Janeiro

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