Bernie Sanders, Joe Biden et Elizabeth Warren, lors du troisième débat de la primaire démocrate. © m. blake/reuters

Biden, Sanders, Trump, Warren… Aux USA, une présidentielle de vieux

Le Vif

Le prochain locataire de la Maison-Blanche ne sera probablement pas un jeunot. Trump et les trois favoris démocrates ont plus de 70 ans. Du jamais-vu.

Avec un humour dévastateur, l’animateur du Late Late Show sur CBS – une des nombreuses émissions vespérales de divertissement – a dit quelque chose d’important.  » Voir débattre Joe Biden et Elizabeth Warren, c’est un peu comme regarder ses grands-parents à la maison : ils sont globalement d’accord sur tout… et pourtant, ils sont constamment en train de se chamailler !  » Cette saillie de James Corden, le 12 septembre, juste après le troisième débat de la primaire démocrate, venait souligner que les trois favoris – Joe Biden, Bernie Sanders et Elizabeth Warren – ont tous trois atteint l’âge de la retraite.

A la même heure, sur Jimmy Kimmel Live !, un programme concurrent de la chaîne ABC, Jimmy Kimmel surenchérissait en soulignant la jeunesse de l’outsider, Pete Buttigieg :  » Eh, en participant au débat de ce soir (qui s’est terminé à 23 heures), il a largement dépassé l’heure d’aller se coucher !  » Cascade de rires dans le public. A 37 ans, Mayor Pete, comme on l’appelle, avec son air juvénile, fait figure de bébé politique à côté des vieux briscards démocrates.

Pour la première fois aux Etats-Unis, tous les favoris de la présidentielle appartiennent au troisième âge. Sauf extraordinaire percée d’un candidat d’ici à la clôture des primaires, en juin prochain, le futur président américain aura depuis longtemps soufflé ses 70 bougies au moment de prêter serment sur la Bible, en janvier 2021.

Soit Donald Trump (74 ans au début de son éventuel second mandat) est réélu, soit l’un des trois démocrates les mieux placés dans les sondages actuellement renverse le sortant. Or, Joe Biden, l’ex-vice-président de tendance centriste, aura alors 78 ans ; le sénateur  » socialiste  » du Vermont Bernie Sanders, 79 ; et la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren, également positionnée à la gauche du parti, 71.

Pas de procès en gâtisme

 » Un duel de septuagénaires pour la présidence est hautement probable, confirme Seth Masket, professeur de sciences politiques à l’université de Denver, où il dirige le Center on American Politics. Pourtant, tous les sondages et études à notre disposition montrent que les électeurs préfèrent des candidats plus jeunes.  » A condition, bien sûr, qu’ils n’aient pas l’inélégance d’attaquer les aînés au- dessous de la ceinture, comme l’a fait Julian Castro, 44 ans, lors du débat télévisé.

Le candidat texan d’origine cubaine a en effet remis en question les capacités cognitives de Joe Biden, l’accusant de se contredire et d’oublier les détails techniques de son propre projet d’assurance maladie.  » Vous vous contredisez vous-même ! Avez-vous oublié ce que vous avez dit il y a deux minutes ?  » martèle l’ancien secrétaire au Logement et au Développement urbain sous Barack Obama. Mais l’attaque lui revient comme un boomerang. Non seulement Biden n’a pas dit ce que Castro l’accuse d’avoir dit mais, de plus, les Américains n’apprécient guère de tels procès en gâtisme.  » Les agressions de ce genre risquent toutefois de se multiplier car Biden est à la fois le favori des sondages – c’est-à-dire l’homme à battre – et le candidat le plus âgé après Sanders, reprend Seth Masket. En revanche, passé les primaires, si l’ex-vice-président d’Obama remporte l’investiture démocrate pour affronter Trump, l’âge ne sera plus un facteur déterminant car, en ce domaine, lui et l’actuel président sont proches.  »

En attendant, le vétéran Biden, qui a quatre décennies de vie politique derrière lui, s’efforce de rester  » dans le coup « . Pas toujours facile… Au détour d’une argumentation sur la réduction des inégalités sociales qui touchent les enfants afro-américains, Biden, lors du même débat, suggère l’idée qu’allumer la radio et enclencher les tourne-disques à la maison pourrait permettre d’enrichir le vocabulaire des enfants isolés.  » Il parle de tourne-disques, non mais je rêve !  » s’étrangle Steve Wagner, un avocat sexagénaire new-yorkais prêt à voter pour l’ex-procureure Kamala Harris.  » Les magnétocassettes, les CD, l’iPod et maintenant le streaming : depuis les années 1970, Biden a sans doute loupé quelques épisodes « , ironise-t-il.

Une certitude : à l’écran,  » Sleepy Joe « , c’est-à-dire  » Joe le Somnolent « , selon le méchant surnom inventé par Trump, a perdu de sa superbe. Son âge se lit sur son visage, son élocution n’est plus tout à fait fluide, ses yeux bleus ont perdu l’éclat de l’époque Obama. Et sa façon de forcer sa voix afin de paraître combatif ne fait que souligner son âge. Le timbre de Bernie Sanders, lui aussi, est altéré, un brin chevrotant. Et lorsque ce dernier se lance dans une tirade, son visage s’empourpre facilement. Seule l’ex-prof de Harvard Elizabeth Warren paraît quinze ans de moins que son âge.

Biden, Sanders, Trump, Warren... Aux USA, une présidentielle de vieux

L’avantage de l’expérience

Mais, en politique, la vieillesse n’est pas rédhibitoire.  » Quand Reagan s’est engagé dans la campagne pour son deuxième mandat, en 1984, il avait 73 ans et cela ne l’a pas empêché d’être réélu « , rappelle, à Washington, Michael Kazin, qui enseigne l’histoire à l’université Georgetown.  » Aujourd’hui, les gens vivent plus vieux et en meilleure santé. Beaucoup d’Américains travaillent jusqu’à 70, voire 80 ans. Si vous avez une bonne couverture santé et si vous prenez soin de votre corps et de votre esprit, il n’y a pas de raison de s’arrêter à 70 ans « , pointe Kazin (qui en a 71). Aussi, le statut de vice-président constitue un atout dans un pays qui fait traditionnellement confiance aux anciens nos 2 de l’exécutif, depuis Harry Truman, vice-président de Roosevelt entre 1945 et 1949, jusqu’à Bush père, qui servit Reagan de 1981 à 1989, en passant par Lyndon B. Johnson, auprès de JFK (1961-1963), ou encore Gerald Ford,  » VP  » de Nixon en 1973-1974. Et demain, peut-être, Biden…

Plus que l’âge en soi, la différence d’âge peut se révéler problématique dans un duel final. En 1996 et 2008, les républicains Bob Dole et John McCain, respectivement opposés aux quadras Bill Clinton et Barack Obama, avaient tous deux dépassé les 70 ans… et ils ont été battus. De ce point de vue, face à Trump, robuste mais septuagénaire, les démocrates n’ont pas de complexes à avoir.

 » En 2016 déjà, les deux candidats finals, Donald Trump et Hillary Clinton, approchaient les 70 ans « , note la politologue Jennifer Nicoll Victor, de l’université George-Mason, à Fairfax (Virginie).  » Les candidats déjà connus et expérimentés partent avec un avantage évident, poursuit-elle, surtout s’ils ont déjà mené des campagnes politiques, comme Biden et Sanders. Pour autant, si Warren est nouvelle dans le paysage, elle réussit à se démarquer et à s’installer dans l’esprit du public.  » C’est la seule à progresser dans les sondages depuis six mois, lentement mais sûrement, alors que Biden (le leader) et Sanders (qu’elle talonne) subissent une érosion au même rythme, inversement proportionnelle.

Reste qu’à ce stade tout pronostic serait vain. Le processus des primaires démocrates prévoit encore trois débats en 2019 et six en 2020. Et cela sans compter les joutes qui opposeront le vainqueur du Parti démocrate à Donald Trump. D’ici là, mille choses peuvent encore influer sur la campagne, comme l’évolution du cours du brut après les attaques de drones contre deux raffineries de pétrole en Arabie saoudite, le 14 septembre, ou une éventuelle récession, que 60 % des Américains disent redouter dans le courant de l’année 2020. L’âge du capitaine est assurément une donnée du scrutin. Mais il n’est pas la seule.

Par Axel Gyldén et Corentin Pennarguear.

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