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Bettencourt: fin d’une instruction à rebondissements après une ultime polémique

L’enquête sur l’affaire Bettencourt s’est refermée jeudi au terme d’une semaine folle et après plus de deux ans d’instruction, tandis que Nicolas Sarkozy, dernière personne mise en examen (inculpée, ndlr) dans cette affaire, a tenté de calmer le jeu après une polémique en marge de laquelle le juge Gentil a reçu des menaces de mort. François Hollande est intervenu sur ce point jeudi soir, en défendant les magistrats.

Jean-Michel Gentil et ses deux collègues, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël, ont « estimé que l’information (l’enquête, ndlr) était terminée », avait annoncé un peu plus tôt le procureur de la République de Bordeaux Claude Laplaud, ils ont « communiqué le dossier de la procédure » au parquet, et ils en ont avisé « les 12 mis en examen, les 5 parties civiles et leurs avocats ».

D’ici quatre mois environ, après que chacun aura encore pu faire des demandes procédurales qui pourraient entraîner des rebondissements, le parquet dira qui doit être jugé, et qui doit bénéficier d’un non-lieu, les juges pouvant toutefois passer outre ces réquisitions.

L’affaire avait été transmise à Bordeaux le 17 novembre 2010, depuis Nanterre où l’atmosphère entre magistrats était devenue délétère. Le 17 décembre suivant, les trois juges étaient désignés.

Depuis, ils ont clos les deux autres parties, moins volumineuses, de cette affaire : l’une concernant un possible trafic d’influence et impliquant l’ex-homme de confiance de Liliane Bettencourt Patrice de Maistre et l’ancien ministre et trésorier de campagne de Nicolas Sarkozy Eric Woerth, l’autre visant l’enregistrement et la publication de conversations privées chez Mme Bettencourt.

Le volet achevé jeudi est énorme. Il concerne les possibles malversations commises aux dépens de Mme Bettencourt, considérée comme faible psychologiquement depuis septembre 2006, par son entourage.

Le premier de ces douze mis en examen est François-Marie Banier, l’homme par qui tout le reste arrive, l’ancien ami de Mme Bettencourt – aujourd’hui la femme la plus riche du monde – qui en a reçu environ un milliard d’euros de cadeaux au fil du temps, et contre lequel la fille de la milliardaire, Françoise, avait porté plainte en décembre 2007.

Réalisés dans la foulée de cette plainte, les enregistrements effectués par le majordome en 2009 et 2010 chez l’héritière de l’Oréal ont révélé d’autres faits, impliquant notamment M. de Maistre, qui a dû accomplir 88 jours de détention provisoire dans cette affaire.

D’autres encore, avocat, notaire, gérant d’île paradisiaque, sont concernés. Ils ont été remplacés quand le scandale des écoutes a éclaté, mais les juges pensent que les suivants ont encore essayé d’abuser de la vieille dame, aujourd’hui sous tutelle de sa famille et âgée de 90 ans : un nouvel homme de confiance, Pascal Wilhelm, un client de celui-ci, l’entrepreneur Stéphane Courbit, dont la milliardaire est devenue actionnaire de la société, un infirmier, encore un notaire…

Puis, les politiques. Faute de pouvoir poursuivre quiconque pour des faits de financement illicite de la campagne présidentielle en 2007 en raison de la prescription des faits, les juges ont recherché des « abus de faiblesse », une incrimination malaisée à manier. C’est ainsi que l’ancien trésorier de campagne de Nicolas Sarkozy, Eric Woerth, a été mis en examen en février 2012 et l’ancien président lui-même, la semaine dernière.

Cette mise en examen pour abus de faiblesse, le 21 mars, inattendue alors que l’ex-chef d’Etat avait été placé sous le simple statut de témoin assisté le 22 novembre, a créé un véritable choc.

Ses amis, notamment son ancienne plume Henri Guaino, sont montés au créneau, surtout contre le juge Gentil, accusé par M. Guaino d’avoir « déshonoré la justice ». Des propos contre lesquels le juge a fait annoncer une plainte.

L’avocat de M. Sarkozy, Me Thierry Herzog, a lui aussi contesté une mise en examen « incohérente sur le plan juridique », et « injuste », avant d’annoncer le dépôt « immédiat » d’un recours. Puis de mettre en doute, ce week-end, l’impartialité du juge Gentil, co-signataire en juin 2012 d’une tribune mettant en cause la politique pénale des dix dernières années.

M. Sarkozy lui-même, pour son troisième message seulement sur Facebook depuis son départ de l’Elysée, a déploré lundi une mise en examen « injuste et infondée ».

Conséquence de ces polémiques, ont estimé de nombreux politiques de gauche et magistrats, le juge Gentil s’est retrouvé mercredi dans la cohorte des personnalités ayant reçu récemment des menaces de mort assorties de cartouches à blanc de gros calibre, de la part d’un certain groupe « IFO – Interaction des forces de l’ordre » – après notamment la semaine dernière deux journalistes, Jean-Pierre Elkabbach et Mickaël Darmon.

Le parquet antiterroriste de Paris a été saisi de l’enquête, confiée à la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ). A Bordeaux, la Chancellerie a fait mettre en place « une grande vigilance » autour des juges.

Parallèlement, mercredi, la ministre de la Justice Christiane Taubira, a saisi l’instance suprême de la magistrature, le CSM (conseil supérieur de la magistrature) pour qu’il donne prochainement son avis sur « les conséquences pour le bon fonctionnement de la justice » des propos tenus récemment dans le cadre de cette affaire.

Jeudi soir, le président François Hollande a revendiqué sur France 2 cette demande de saisine du CSM. Nicolas Sarkozy « est présumé innocent », a-t-il rappelé. Pour autant « les juges doivent être respectés pour leur indépendance (…), je ne peux accepter qu’un juge puisse être suspecté ».

Quelques heures plus tôt et comme pour siffler une fin de partie, Nicolas Sarkozy a fait publier un très bref communiqué par son avocat Me Herzog : « M. Nicolas Sarkozy, respectueux des institutions de la République, m’a demandé de suspendre tout recours, en l’attente de l’avis du CSM ».

M. Sarkozy savait-il déjà que les magistrats avaient clos leur dossier? Qu’on ne risquait donc plus de lui opposer de nouvelles trouvailles des juges? Etait-il donc ainsi rasséréné?

Car, depuis le 21 mars, un bruit courait avec insistance : hors de toute considération politique, la mise en examen de M. Sarkozy reposerait sur des éléments factuels extrêmement ténus, et le parquet aurait l’intention de requérir un non-lieu à son égard. Voire, si les juges d’instruction voulaient quand même le renvoyer devant un tribunal correctionnel, de faire appel de cette décision.

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