Le maintien en prison des dirigeants indépendantistes par Madrid ne fait, localement, que conforter le sentiment d'injustice (ici, à Barcelone, le 11 novembre). © A. Gea/reuters

Avant les élections du 21 décembre, le dilemme catalan

Le Vif

En Catalogne, l’indépendantisme ne s’avoue pas défait. Même s’il ne paraît pas en mesure de renverser la donne lors des élections du 21 décembre.

Après deux mois de crise aiguë, la Catalogne peut-elle revenir à la sérénité à l’issue des élections du 21 décembre ? Les péripéties survenues depuis l’organisation d’un référendum unilatéral sur l’indépendance, les tentatives de dialogue avortées, la proclamation du divorce avec Madrid, aussitôt suivie de la mise sous tutelle de la région autonome (le fameux article 155 de la Constitution), ont-elles refroidi les ardeurs des séparatistes ?

 » La fable de l’indépendantisme est à bout de souffle « , s’est félicité le président du gouvernement, Mariano Rajoy, au début de décembre, lors d’un déplacement en Catalogne en soutien au candidat de sa formation, le Parti populaire (PP).

Le sentiment d’improvisation laissé par les organisateurs du référendum semble pourtant n’avoir ébranlé qu’à la marge leurs partisans.  » Ce qui s’est passé nous conforte dans nos idées. Nous voulons gérer nous-mêmes nos affaires, nous voulons une république « , proclament de concert Xavier Folch et Oriol Hosta, deux responsables d’une association de quartier, Los Lluïsos, dans le bastion indépendantiste de Gracia, à Barcelone.  » La crise a eu un écho international ces deux derniers mois, mais, pour nous, elle dure depuis sept ans « , précisent-ils, en allusion à la suspension du statut d’autonomie en 2010 qui a attisé la flamme catalaniste.

Poursuivi par la justice, Carles Puigdemont n'est pas près de retourner dans son fief catalan (ici, le 25 novembre, en Belgique).
Poursuivi par la justice, Carles Puigdemont n’est pas près de retourner dans son fief catalan (ici, le 25 novembre, en Belgique).© Y. Herman/reuters – A. Gea/reuters

Le mouvement nationaliste catalan s’appuie sur une société civile très active et un  » récit  » national alimenté par une génération de jeunes intellectuels omniprésents dans les tertulias, les débats à la radio et à la télévision.  » La sévère crise économique et les scandales de corruption ont provoqué un rejet de l’élite politique. Dans d’autres pays européens, cela a profité aux mouvements anti-immigration ou à la gauche radicale. Ici, ce populisme a été transposé dans la sphère nationaliste, analyse Juan Rodriguez Teruel, professeur de science politique à l’université de Valence. C’est pourquoi beaucoup de gens ont du mal à accepter que le « processus » (indépendantiste) ait été un échec.  »

Le scénario le plus probable est l’absence de changement

Avec leurs centaines de milliers d’adhérents, l’Assemblée nationale catalane (ANC) et Omnium Cultural, deux associations de masse indépendantistes dont les dirigeants sont en prison, sont plus mobilisées que jamais contre ce qu’ils nomment le  » bloc bourboniste « . Ont-ils été déçus par le soutien de l’Union européenne à l’intégrité de l’Espagne ?  » Bien sûr. Mais nous ne renoncerons pas à notre objectif, insiste Agusti Alcoberro, vice-président de l’ANC, l’instauration d’une république. Si l’Espagne poursuit sur la lancée de la répression, le problème catalan va s’enkyster. Bruxelles ne pourra continuer à l’ignorer.  »

 » Les partisans de la république se sont tellement investis dans le « processus » que reconnaître les erreurs de leurs dirigeants, à commencer par le référendum du 1er octobre, est douloureux, note la politologue Berta Barbet. Le maintien en prison des principaux dirigeants indépendantistes, annoncé le 4 décembre par la justice espagnole, n’a fait que conforter le sentiment d’injustice et retarder la réflexion autocritique.  »

L’indépendance avortée a peu modifié l’équilibre entre les camps  » unioniste  » et  » républicain  » – selon le lexique emprunté par ces derniers au conflit nord-irlandais. Il ne manquerait, selon les sondages, qu’un ou deux sièges au bloc indépendantiste pour atteindre la majorité de 68 élus, plus encore pour les  » constitutionnalistes « .

Inès Arrimadas élue première femme présidente de la région autonome ? C'est ce que veulent croire les militants du parti libéral Ciudadanos.
Inès Arrimadas élue première femme présidente de la région autonome ? C’est ce que veulent croire les militants du parti libéral Ciudadanos.© Y. Herman/reuters – A. Gea/reuters

La gauche républicaine (ERC), sur le point de ravir au parti de l’ex-président Carles Puigdemont sa place de champion de la famille indépendantiste, se voit à la tête de la Catalogne. Le doute sur sa capacité à réunir une majorité la contraint à courtiser la coalition de gauche Catalogne en commun (CatECP), alliée à la branche catalane de Podemos. Opposée à l’indépendance, CatECP réclame un référendum d’autodétermination légal, ce qui en fait un partenaire acceptable, mais elle reproche à l’ERC d’avoir privilégié le graal séparatiste et négligé la question sociale.  » Faux, rétorque Sergi Sabria, porte-parole de la gauche républicaine : le gouvernement sortant est celui qui a mené le plus d’actions sociales et de gauche depuis la transition. On a mis en place un revenu minimum (équivalent du RSA) – suspendu par l’article 155 -, instauré l’accès universel à la santé, permis l’ouverture des fosses communes de la guerre civile…  »

Dans le camp adverse, la progression dans les intentions de vote du parti libéral Ciudadanos, qui a su attirer les Catalans réfractaires au discours séparatiste, fait rêver Sonia Sierra :  » Il est temps d’en finir avec le « processus », qui n’a créé que chaos, fracture sociale, fuite des entreprises, hausse du chômage, recul de la consommation et du tourisme « , fustige la députée libérale. L’enseignante imagine déjà la tête de liste du parti, Inès Arrimadas, première femme présidente de la région autonome. C’est compter sans le système électoral espagnol : vestige de la transition, en 1977, il favorise le vote rural, conservateur dans la péninsule, régionaliste en Catalogne.  » Raison pour laquelle les gouvernements nationalistes successifs se sont gardés de le modifier « , relève Juan Rodriguez Teruel. En tête en nombre de voix, Ciudadanos n’obtiendrait pas plus de députés que la gauche républicaine, soit 31 à 32.

En l’état, la formation anti-indépendantiste ne réunit pas suffisamment de voix, même en s’unissant au Parti des socialistes de Catalogne (PSC), convalescent (il est crédité de 21 à 25 sièges, soit de 5 à 10 de plus qu’aux dernières élections, en 2015) et au PP, affaibli, pour atteindre la majorité.

Tiré d'affaire ?
Tiré d’affaire ?  » La fable de l’indépendantisme est à bout de souffle « , s’est félicité le président du gouvernement, Mariano Rajoy.© Y. Herman/reuters – A. Gea/reuters

Enclins à s’identifier aux petits Etats du nord de l’Europe, les Catalans voient dans la série télévisée danoise Borgen la clé de la recomposition politique : une personnalité d’une formation minoritaire devient Première ministre parce qu’elle est celle qui suscite le moins de rejet de potentiels partenaires de coalition.  » Inès Arrimadas n’est pas la présidente qu’il nous faut en cette période troublée, assure le socialiste Ferran Pedret. La raison d’être de Ciudadanos, c’est le conflit.  » Le parti a été fondé en 2005 par des intellectuels hostiles au  » nationalisme obligatoire  » catalan.  » Elle mènerait une politique revanchiste, poursuit le député. La meilleure solution pour sortir de la crise serait un gouvernement dirigé par Miquel Iceta, le chef du PSC.  » Les socialistes estiment pouvoir s’allier à la fois à Ciudadanos et à la gauche radicale.

Catalogne en commun, pourtant en recul, apparaît ainsi, avec sa dizaine d’élus, comme un potentiel arbitre si aucun des deux blocs n’emporte une victoire claire. Et elle aussi est séduite par le modèle Borgen :  » Pour sortir du marasme, une seule issue, un gouvernement transversal autour de nous, alliant l’ERC et le PSC « , assure Joan Josep Nuet, porte-parole de la mouvance de gauche, dans son bureau de la bien nommée avenue de la Porte-de-l’Ange.  » Si l’un ou l’autre camp l’emporte, on replongera dans une crise sans fin « , prédit-il.

Pour la plupart des experts, le scénario le plus probable est l’absence de changement. Les vagues d’immigration en provenance du reste de l’Espagne étant achevées, la démographie catalane ne laisse pas augurer d’un recul des indépendantistes, comme c’est le cas au Québec.  » Que cela plaise ou non à Bruxelles et à Madrid, proclame Oriol Hosta, les 7,5 millions de Catalans ne vont pas disparaître. Il faudra faire avec nous. « 

Par Catherine Gouëset.

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